Images d’utopie

Images d’utopie

Tel est le titre de l’exposition de Gilbert & George, sous le commissariat d’Anne Dopffer, directrice des musées nationaux XXe siècle des Alpes-Maritimes, et de Julie Guttierez, conservateur du patrimoine, présentée au Musée National Fernand Léger. Une exposition qui met notamment en parallèle l’oeuvre du peintre, Les constructeurs, et le triptyque du couple britannique, Class war, Militant, Gateway, réalisé en 1986 et confié par la Fondation Louis Vuitton.

La rigidité notariale, le costume cravaté et les lèvres pincées, tout dans le duo Gilbert et George renvoie à cet écart entre l’image et la réalité, le stéréotype et l’identité, l’art et la vie. Or, comme ils le proclament : « L’art, c’est la vie« . Aussi s’agit-il de faire coïncider ces éléments disparates, de juxtaposer l’ordre et le chaos, le sérieux et le dérisoire, l’engagement politique et social quand il se confronte à la plénitude d’un idéal.

L’oeuvre monumentale de Léger obéit à une structuration rigoureuse à partir du contraste entre des aplats de couleurs franches et le dessin cerné de noir. Elle est surtout l’emblème de l’engagement de l’artiste en 1950 pour la cause des travailleurs. Pourtant, elle ne sera pas accueillie favorablement par ceux-ci tant elle déroge aux canons du « réalisme socialiste » qui prévalait alors. Mais peut-on jamais allier le réel et l’idéal ? C’est à ce défi que répondent ici, avec des coïncidences certaines, avec les compositions de Fernand Léger, Gilbert et George… Mais par une outrance ironique qui n’est pas dénuée d’autodérision.

Dans l’obscurité d’une salle revêtue de noir, les trois immenses photo-montages présentés jaillissent comme des vitraux. La couleur rouge coule avec violence, mais l’ensemble est massivement structuré telle une image de propagande. L’iconographie du réalisme socialiste est reprise jusqu’à sa caricature et les prolétaires de Gilbert et George sont aussi de facétieux éphèbes. L’engagement des artistes est pourtant sincère et d’ailleurs déclarent-ils : « Nous savons que nous ne pouvons pas atteindre l’utopie, néanmoins, nous essayons chaque jour« . Ainsi n’est-ce pas tant le résultat qui importe que le chemin que l’on emprunte pour espérer l’atteindre. À la croisée du conceptuel, du pop-art et de la performance, le couple d’artistes défie toutes les conventions dans de rieuses allégories héroïques où le sacrilège se mêle au sacré. Les thèmes sociaux sont revendiqués et scandés à partir de motifs symétriques et de répétitions où s’incrustent physiquement les artistes. L’oeuvre est puissante, elle impose d’emblée le corps comme incarnation d’une volonté et de la liberté. Et l’utopie n’est alors jamais vaine, il suffit d’avancer vers elle.

Jusqu’au 16 nov, Musée national Fernand Léger, Biot. Rens: musee-fernandleger.fr