La sirène de 165 mètres et autres histoires

La sirène de 165 mètres et autres histoires

La sociologie se serait-elle emparée de l’art ou bien celui-ci s’est-il renouvelé par la prise en compte de la dimension sociale qu’il implique ? « L’art est un état de rencontre », écrivait Nicolas Bourriaud, et l’esthétique relationnelle qu’il revendiquait est particulièrement sensible dans l’exposition de l’œuvre de Shimabuku, à la Villa Paloma – Nouveau Musée National de Monaco.

L’artiste japonais, né en 1969, excelle au partage par l’atomisation de la notion d’artiste, par l’intervention du public dans le processus créatif comme, par exemple, lorsque des élèves de CM2 s’intègrent à l’élaboration de l’œuvre en produisant Un musée de la sirène dans une salle de la Villa Paloma. Ou bien lorsqu’il y associe quantité d’acteurs, artisans ou pêcheurs avec le déploiement de tous les médiums en passant par l’écriture ou la performance. Il s’éloigne néanmoins d’un schéma sociologique trop aride en érigeant la fiction, le conte et la poésie comme lieu d’interaction entre lui et le public.

Au début donc, un voyage à partir de l’histoire d’une sirène de 165 mètres de long et Shimaku écrit : « Au cours de ce voyage, j’ai demandé à différentes personnes de réaliser un objet relatif à la sirène, pour développer et enrichir son histoire ». Le fil du récit se dévide alors entre gravité et humour là où l’humain se confronte à toutes les formes du vivant et de l’imaginaire. Il s’ouvre à d’innombrables digressions si bien qu’on y rencontrera une pieuvre et un pigeon, une fleur sur la mer, des étoiles et des pommes de terre. On y croisera des vestiges du réel quand il prélève des fragments architecturaux et végétaux d’une ancienne villa de Monaco. On pense alors, en se déplaçant d’une œuvre à l’autre, que l’humanité déborde du règne de l’humain pour se charger de tout ce monde invisible qui s’imprègne de nos espoirs, de nos rêves et de toutes ces petites choses du quotidien dans lesquelles l’individu se fond.

Pour Shimabuku, l’art est ce moyen de réintroduire une harmonie entre l’homme et l’univers, les lois, le hasard, la contingence… Dans un film numérique, Eriger, avec d’autres intervenants, il place les choses couchées sur une plage, débris d’arbres et pierres, à la verticale. Et il écrit : « Alors peut-être quelque chose en nos cœurs se redressera ».

Sans doute l’art se propose-t-il ici de donner forme au-delà de toute identité. Et de se définir comme expérimentation plutôt que comme processus productif. Mais surtout, il révèle en nous des potentialités nouvelles et si le « je » de l’artiste est le fil conducteur de cette belle errance, il se dissout dans l’énergie collective, la voix informelle de la vie. Commissaire d’exposition, artiste et public, tout est relié, et Shimabuku nous montre avec humilité qu’il n’y a que ce lien dans la chaîne du vivant.

Jusqu’au 3 octobre 2021, Villa Paloma – Nouveau Musée National de Monaco. Rens : nmnm.mc

(photo Une : Shimabuku, Je voyage avec une sirène de 165 mètres,1998 – en cours. Aquarelle sur papier (détail de l’installation). Dessin de Shimabuku, Sydney, Australie, 1998 75x104cm. Collection NMNM, n° 2019.4.1.7 © Shimabuku. Courtesy de l’artiste et Air de Paris, Romainville)