06 Juin Color dress ou l’art de la trans-parence
À l’invitation de Nathalie Léger, la plasticienne Lou Spry questionne la notion de genre dans l’exposition Color Dress, du 11 au 17 juin, du côté du monastère de Cimiez à Nice.
Dans notre société patriarcale, l’hétérosexualité a toujours été la norme. Soit on naît fille, soit on naît garçon avec une place dédiée et attribuée par les hommes selon son sexe. Cette conception binaire accepte mal les minorités sexuelles dévalorisées et stigmatisées qui ont toujours été effacées, minimisées et invisibilisées dans l’histoire de l’humanité, car non conforme au principe patriarcal établi.
Ce mode d’oppression a conduit à une hiérarchisation de l’identité. Une personne cisgenre, dont l’identité de genre (masculin ou féminin) correspond au sexe assigné à la naissance, sera valorisée. Son contraire, le transgenre (personne qui ne se sent pas en cohérence avec son sexe) sera dévalorisé. Le ou la transgenre se sent du sexe opposé ou agenre (ni homme ni femme).
En France, il n’existe pas de réelles statistiques sur le nombre de personnes transgenres. Elles représenteraient 0,5% de la population, un chiffre sous-estimé d’après les associations. Lou Spry est l’une d’entre elles et exposera ses toiles du 11 au 17 juin à Nice.
Pourquoi avoir choisi l’art comme mode d’expression de votre identité transgenre ?
C’est une évidence pour moi depuis mon enfance. J’ai beaucoup joué de la guitare, du bouzouki et de la contrebasse, pour des concerts, des bals, des performances. J’écrivais aussi de la poésie, des contes. Je peignais, et je travaillais la photo. Une manière pour moi de survivre, car je n’avais aucun modèle sur lequel m’appuyer. La seule référence que j’avais dans ma jeunesse à propos des transgenres était la prostitution, une horreur pour moi ! Mon échappatoire était de créer, une nécessité impérieuse pour moi. Comme si je voulais sublimer ma condition. À l’âge de 20 ans, la police m’a arrêtée alors que je portais des bottes, un joli pantalon et un petit haut sympa. L’homosexualité était alors interdite, on m’a fichée, j’ai passé des heures dans le camion, en jurant que j’étais asexuel. J’ai compris qu’il m’était interdit de vivre en femme.
Y a-t-il de la souffrance dans vos toiles ?
Oui, certaines œuvres montrent un corps morcelé ou absent, divisé, avec un corps qui surgit d’un corps. Au-delà de cette souffrance, mon travail exprime essentiellement la joie de vivre et d’assumer ma différence. À travers la couleur et l’expression de mes personnages. Je dirais de la résilience.
Quelles sont vos techniques picturales utilisées ?
Je me souviens de la classe de 4e où le professeur de dessin m’avait donné la note de 20/20. Il s’agissait d’un feu de joie. J’ai toujours eu un esprit créatif. Mes techniques sont, dans le cas de cette exposition, la photographie, l’aquarelle et des logiciels de retouche d’image. Color Dress est le résultat d’une vie de recherche en photographie, en peinture, en musique, en poésie. Mon identité transgenre s’y exprime dans une œuvre colorée. La couleur affirme ici mon identité de femme artiste non binaire assumée. Des corps fragmentés fusionnent avec le végétal, à la limite de la disparition. Ces enchevêtrements symbolisent ma communion avec la nature et la métamorphose qu’elle a engendrée. J’essaie dans ce travail de sublimer cette nature d’homme-femme autrefois inexistante qui a été souffrance. Les images de mon enveloppe charnelle en deviennent un terrain d’expérimentation par le biais de techniques anciennes et de logiciels. Ce que je célèbre ici, c’est mon chemin de vie.
Estimez-vous que la société française a changé son regard sur la transidentité ?
Oui, mais il y a des personnes mauvaises, j’appelle ça les juges d’instruction sans instruction. Ces personnes font de gros dégâts dans le monde, elles sont parfois influentes. Rien n’est jamais acquis. Il n’y a qu’à voir le rôle des femmes dans le monde, la liberté que l’homme lui accorde ou lui retire. En France, j’ai été confrontée à une transphobie féroce du corps médical, une immense incompétence. Les jeunes que je connais ne vivent pas cela. Ils sont orientés vers des personnes compétentes grâce aux associations, aux réseaux. Très jeunes, ils mettent le doigt sur leur mal-être et ils réagissent rapidement. Les parents comprennent souvent la différence de leur enfant. Globalement, en France, ça va de mieux en mieux. Il y a eu beaucoup de films sur le sujet, la mode s’est emparée de ces personnes. Le regard a donc changé, même s’il reste des combats à mener.
Exposition Color Dress : 11 au 17 juin, Chez Nathalie Léger (25 chemin de St-Yriel – proche du Monastère de Cimiez), Nice
Vernissage : 11 juin 14h (performances poétiques et projections de court-métrages) + 17 juin à 18h30 Apéro organisé par l’association Les Culottées.
Rens : 06 43 67 21 08