
25 Avr [Picasso 1973-2023] Vallauris, une rencontre décisive
Au cours de ses pérégrinations azuréennes, Pablo Picasso a fait une halte de 7 ans à Vallauris, durant laquelle il réinventa son art en pratiquant la céramique. Pour commémorer le cinquantenaire de la mort de cet homme qui redonna un élan créatif à ce savoir-faire millénaire, Vallauris programme deux expositions au Musée Magnelli et un grand weekend festif, comme savait l’apprécier l’artiste…
Vallauris Golfe-Juan. 26 juillet 1946. L’industrie de la céramique, qui a fait la renommée de la cité azuréenne depuis le XVIIe siècle, est au plus mal. Les nouveaux matériaux des ustensiles de cuisine ont conduit à un lent déclin depuis le début du XXe siècle. Mais ce jour-là, un événement va tout changer… L’exposition annuelle des potiers de Vallauris est relancée en ce jour d’été d’après-Guerre, faisant souffler un vent de renouveau sur la vie culturelle et festive de la ville, notamment grâce à l’arrivée d’une vague de jeunes créateurs (Roger Capron, Robert Picault, Jean Derval, Gilbert Portanier…) bien décidés à faire revivre cet art millénaire au prisme des expressions contemporaines. Chose que Pablo Picasso, en vacances à Golfe-Juan, a bien remarquée, puisqu’il se rend sur place et fait une rencontre décisive avec Suzanne et Georges Ramié, artistes et propriétaires d’une fabrique de céramiques, l’atelier Madoura. Alors au faîte de sa gloire, le peintre espagnol, curieux de tout, s’initie à la céramique auprès du couple. Vallauris devient un pôle d’attraction, les projecteurs se braquent sur la ville, et débute alors un « âge d’or »… Sa présence sera à l’origine d’une véritable émulation artistique, et des peintres et sculpteurs comme Victor Brauner, Marc Chagall ou Édouard Pignon, viendront à leur tour travailler dans les ateliers de céramique azuréens.
Picasso séjourne à Vallauris de 1948 à 1955. Installé dans son atelier du Fournas, ancienne fabrique de parfum, il crée de nombreuses œuvres et expérimente ce qui représente pour lui une technique nouvelle. Qui lui offre aussi de nouvelles perspectives de création : la malléabilité de la terre et l’expérience unique de la cuisson au four qui révèle les coloris de l’émail et la brillance des vernis. Peintre, mais aussi, sculpteur, Picasso façonne son matériau… Il crée ici un faune, là une nymphe. Décore assiettes, poêlons, jarres, de ses thèmes de prédilection : corridas, femmes, chouettes, chèvres… Bien qu’il considère la céramique comme un art majeur, il confiera à André Malraux – sérieusement ou pas ? – vouloir que ses céramiques aient un usage quotidien : « J’ai fait des assiettes ; on peut manger dedans » ! Malraux qui déclara un jour : « Dans le XXe siècle, il n’y a eu que de Gaulle, Chaplin et Picasso…«
Avec la céramique, notre homme ne se contente donc pas de décorer des formes, il souhaite utiliser toutes les potentialités plastiques de cette glaise offerte par les sols vallauréens. Estimées à plus de 4 000, les œuvres céramiques produites par le génie espagnol sont abondantes, novatrices, l’artiste joue avec cette pratique artisanale dont il réinvente les codes.
Formes & métamorphoses
Première des deux expositions attendues au Musée Magnelli, musée de la céramique, l’exposition Formes & métamorphoses : la création céramique de Picasso, inaugurée le 6 mai 2023, propose d’appréhender les recherches formelles et plastiques de Picasso et la manière dont il se les approprie comme moyen d’expression à part entière par la présentation d’un ensemble d’œuvres emblématiques, prêts privés et d’institutions publiques.
Trois thématiques rythmeront le parcours d’exposition. La première sera celle des Sources : que ce soit au niveau des formes ou de l’iconographie, Picasso s’empare du matériau céramique en se nourrissant de l’histoire de cet art ancestral et universel. La seconde Explorations soulignera les possibilités de transformation de l’objet par le façonnage ou par le décor. Enfin, la dernière partie, Dialogue avec Suzanne Ramié, permettra de saisir comment le répertoire de la céramiste, avec l’aide du tourneur Jules Agard, va devenir un support essentiel aux expérimentations plastiques de Picasso.
Picasso & l’orfèvrerie
La seconde exposition du Musée Magnelli, Picasso & l’orfèvrerie, qui débutera le 24 juin, s’intéressera à la collaboration entre Picasso et François Hugo, arrière-petit-fils de l’écrivain, orfèvre ayant œuvré avec de nombreux artistes (Cocteau, Derain, Arp, Ernst…). Débutée en 1956, celle-ci durera jusqu’en 1961. Dans un premier temps, François Hugo transpose en or et en argent des plats en céramique. Puis, des créations spécifiques sont réalisées comme les compotiers. Outre les correspondances entre les empreintes originales en céramique et les plats en argent, l’approche de l’orfèvrerie par Pablo Picasso se rapproche de celle de la céramique dans la manière d’appréhender les spécificités du matériau et d’en exploiter les potentialités. L’exposition, réalisée avec le concours des ateliers Hugo, présente la série complète des plats en or et en argent, mis en correspondance avec les céramiques picassiennes, les compotiers ainsi que des bijoux. La présentation de documents d’archives et de photographies complète le propos.
Picasso fut ainsi très attaché à la cité potière, où il y réalisa aussi de nombreuses sculptures et peintures, dont La Guerre et la Paix, une des œuvres majeures de cette période qui a valu son nom au musée national situé à Vallauris. Il y célébra même ses 70 ans, en 1951, dans une grande liesse populaire ! Durant cette période, une autre technique retient également toute son attention : la linogravure, qu’il a pratiquée avec l’imprimeur Hidalgo Arnera. Il en fait rapidement un autre moyen d’expression total, en mettant l’accent sur les couleurs. Ses premières œuvres sont alors des affiches pour les expositions céramiques de la ville ou… des courses de taureaux.
UN WEEKEND HOMMAGE
Les taureaux… Une fascination pour l’artiste, qui a inspiré à la Ville de Vallauris une programmation événementielle, à l’image des manifestations festives organisées dans les années 50 et 60. Un weekend qui lancera ces célébrations hommage à l’Andalou aux mains d’or, le temps d’un weekend, les 6 et 7 mai prochains.
Cela débutera par un concert d’ouverture en matinée, par le Philharmonique de Vallauris et l’Harmonie d’Antibes, place de la Libération, qui précédera le vernissage de l’exposition Formes et Métamorphoses : la création céramique de Picasso au Musée Magnelli. Au même titre que le dessin pratiqué par Picasso, la musique et la danse sont des langages universels, à même d’exprimer et de transmettre des émotions et des sentiments ; et le flamenco incarne son expression la plus significative en Andalousie, terre de naissance du peintre. Voilà pourquoi, le spectacle Naturalmente Flamenco, présenté par le Ballet Flamenco de Andalucía, conclura cette première soirée au Théâtre de la Mer.
Le lendemain, un défilé musical conduira le public à la plage du Soleil à Golfe-Juan, où l’artiste avait ses habitudes, qui sera rebaptisée Plage Pablo Picasso. L’après-midi des spectacles équestre et de recorte (art traditionnel de la tauromachie) seront donnés au stade des Frères Roustan, avant de se conclure en nocturne par un show son et lumière autour du thème de Picasso et la liberté, avec projections sur la façade de l’Église Sainte-Anne. Un site symbolique, puisque situé entre la statue de L’Homme au mouton – offerte par Picasso en 1949 et inaugurée l’année suivante sur la place choisie par l’artiste lui-même – et la chapelle La Guerre et La Paix…
Expositions Formes & métamorphoses : la création céramique de Picasso (6 mai au 30 oct) – Picasso & l’orfèvrerie (24 juin au 25 sep), Musée Magnelli, musée de la céramique / Weekend festif: 6 & 7 mai, lieux divers. Vallauris. Rens: vallauris-golfe-juan.fr
photo : Pablo Picasso, Homme en costume, 1953, Épreuve unique, Grand vase à deux anses (forme Madoura), Terre cuite blanche (éléments tournés et assemblés), peinte en réserve aux oxydes bleu, vert et jaune, sous couverte partielle, Collection particulière © Succession Picasso