L’expo qui rend justice à Martine Doytier

L’expo qui rend justice à Martine Doytier

Martine Doytier est une artiste disparue trop tôt, au début de sa notoriété. Très peu a été fait pour faire connaître son œuvre. À contre-courant des tendances créatives de l’époque et mal acceptée par certains machistes, elle décida de quitter ce monde en 1984, à 37 ans. Une lente tombée dans l’oubli s’était alors étrangement engagée comme si la noirceur de certaines de ses toiles était la prémonition de cette décision radicale qui cloua le bec à ses détracteurs. À Nice, cette exposition à L’Artistique, met fin à cette injustice.

Le travail de Martine Doytier, même s’il s’étend sur une période relativement brève, aura été d’une richesse et d’une puissance surprenante. Il s’étend sur quelque 13 années très actives, débute par de petits tableaux séduisants et se conclut par la tentative inachevée d’une véritable performance picturale prévue pour durer, mais que l’artiste décida d’interrompre brutalement en se donnant la mort en 1984.

Femme libre et plasticienne militante, Martine Doytier est née à Clichy en 1947. En 1968, elle s’installe à Nice, et trois ans plus tard, décide de se consacrer à la peinture. Son talent est très vite remarqué : la Fondation de la Vocation, fondée par Marcel Bleustein-Blanchet et actuellement présidée par Élisabeth Badinter, en fait l’une de ses lauréates en 1977. L’année suivante, la Ville de Nice lui confie la création de l’affiche de son tout nouveau musée de Préhistoire de Terra Amata et lui décerne son Prix des Musées de Nice pour sa participation à la Biennale de l’UMAM.

En 1980, elle réalise à la demande de la ville l’affiche de son Carnaval, renouant avec la grande tradition picturale des affiches historiques créées par Gustav-Adolf Mossa ou Jules Chéret. Dans cette œuvre, qui lui a demandé un an de travail, la noire Ratapignata fait face au fier Aigle niçois, un Paillassou en grande tenue est berné par les pêcheurs sous le regard des Grosses Têtes.

En 1982, la Ville de Nice lui propose de peindre l’un de ses autobus à l’occasion du 150e anniversaire du réseau de la ville : par une fausse déchirure peinte, Martine révèle avec humour des entrailles mécaniques improbables. Affecté au service des médiathèques, avec son intérieur aménagé en « Expobus », il a circulé jusqu’en 1997. Depuis il est conservé par l’Association des Tram&bus de la Côte d’Azur. 


César et Martine Doytier devant la galerie de Jean Ferrero, rue du Congrès à Nice, février 1981 © Raph Gatti, Nice

Un an après sa mort, en 1985, en préfiguration des Collections du futur MAMAC, la Direction des Musées de Nice éditera un catalogue intitulé Autour de Nice et utilisera son Autoportrait inachevé de 1984 en couverture ! « Une ‘image’ domine pour moi ce foisonnement et j’ai demandé qu’elle soit le sigle de cette exposition : une toile de Martine Doytier que la mort a empêchée d’achever (mais pouvait-elle être achevable ?) et qui représente, dans un amoncellement insensé, la création niçoise« , écrivait ainsi Claude Fournet, directeur général des Musées de Nice, le 23 avril 1985.

Les toiles étranges et inquiétantes de Martine Doytier ressemblaient quelque peu à du Jérôme Bosch par le foisonnement de personnages tantôt effrayants, tantôt naïfs, qu’elles représentaient. On pouvait y voir aussi les visages de ceux qui l’entouraient, faisant presque toujours face au spectateur ; tous questionnent et dévoilent un peu de leur drame intime en grimaçant parfois un maigre sourire. Son fils Brice était souvent présent tendrement dans ses tableaux.

Elle restera le symbole d’une femme qui tenta de s’imposer dans les milieux machistes de l’Art de l’époque (ne l’est-il pas encore ?) et du Carnaval pour lequel elle aurait tant aimé faire un char… Son décès comme un coup de cutter sur la pellicule d’un film, laisse un goût d’inachevé, mais aussi de mystère pour cette artiste qui semble avoir été rejetée par une partie de Nice et de sa création. Il est vrai que la figuration n’était pas prisée ici à cette époque et que cette femme allant contre le courant du moment fut mise « au piquet » par cette École dont l’anticonformisme, à la lumière de ce drame, pose question. 

Merci à Marc Sanchez d’avoir su, avec l’association des amis de Martine Doytier, refaire vivre ce génie, cette icône du féminisme et du combat pour le droit des femmes à créer. Comme Ian Curtis (Joy Divison), gageons que le sacrifice de Martine Doytier parvienne à rendre à ses toiles le droit à la reconnaissance éternelle, car chaque créatrice et créateur attend de son œuvre qu’elle lui survive et le rende immortel.

3 fév au 31 juil, L’Artistique, Nice. Rens : nice.fr

photo Une : Mariage à la campagne 1973. Huile sur toile 73 x 53 cm, Collection Brice Delacquis Doytier, Nice © Michel Coen, Nice.

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