Voyages imaginaires depuis le Sixièmétage

Voyages imaginaires depuis le Sixièmétage

Au mois de mars, l’esprit de Jeff Bizieau était encore rempli d’images de voyages, de paysages tout autant que bouillonnants d’envies de création. Jeff, danseur et chorégraphe, est l’une des deux moitiés créatrices de la Cie Le Sixièmétage, l’autre moitié de cette entité singulière étant Pascal Renault, metteur en scène, acteur et comédien. Les deux artistes se connaissent depuis près de 20 ans et associent à travers leurs créations le mouvement et les mots.

« Le plus souvent, le printemps est une période où l’on se déploie » rappelle le chorégraphe. En effet, les programmations se multiplient permettant d’aller à la rencontre du public. Quand tout s’arrête soudainement, tout doit être reconsidéré ; certains artistes ont alors démontré leur faculté à rebondir. « C’est une période qui a permis de se donner du temps, de réfléchir différemment, d’aller plus profondément dans les projets. À travers l’introspection, elle a ouvert de nouvelles perspectives et des pistes de travail différentes sont apparues. Mais surtout il fallait continuer à créer. Du coup, on a poussé les meubles et le salon est devenu un studio permettant à la fois le travail physique et sur ordinateur ».

Cette force, Jeff Bizieau reconnaît la devoir à l’extraordinaire aventure qu’il a vécue entre décembre et janvier en qualité d’invité de la Biennale Internationale d’Art Fresh Winds qui s’est déroulée en Islande et qui réunissait quelque 45 artistes issus de 16 nationalités, toutes disciplines artistiques confondues (danseurs, plasticiens, musiciens, cinéastes…). Une expérience d’un mois, loin de ses racines, qui lui a permis d’emmagasiner une énergie folle que l’on retrouvera dans la nouvelle création de la Cie Le Sixièmétage. Imaginée autour du « Corps paysage » ou « Body landscapes », elle se composera de plusieurs pièces courtes aux esthétiques diverses, « un archipel fait de plusieurs îlots ». Il s’agit de réfléchir sur le rapport du corps au paysage, dans des univers aussi bien réels qu’inventés en développant également des énergies différentes. Le chorégraphe s’interroge sur la manière dont le corps a la capacité de se métamorphoser pour devenir terre, herbe, bois, nature.

Deux pièces ont déjà vu le jour à l’occasion de la biennale. Niflheimur lui a été inspiré par la mythologie islandaise : le corps du danseur intégralement recouvert de noir évolue sur un tapis d’argile blanche entrainant peu à peu un mélange des matières, symbolisant sa métamorphose inspirée des légendes du royaume des ombres. L’artiste travaille par rapport aux matières que lui offre le paysage comme la pierre noire volcanique de l’Islande contrastant avec la blancheur de la glace. Au-delà, il se penche aussi sur l’histoire de la terre qui l’accueille. Ice dream, la seconde création issue de sa participation à Fresh Winds, est un duo homme-femme pour lequel Jeff Bizieau a imaginé un parallèle entre histoire d’amour et dérive des icebergs : « vêtus de robes de papier, les danseurs voient leur vêtement se désagréger peu à peu jusqu’à les conduire au dénuement, à l’image des glaciers poursuivant leur dernier voyage ».

Après cette merveilleuse expérience, le confinement ne pouvait qu’éveiller des envies d’évasion et de renouveau. Cette période a tout d’abord permis la finalisation de leur premier court métrage Ice land dream, voyage à travers les éléments rapportés d’Islande et mis en images par Pascal Renault. Elle a aussi donné naissance à Zulu Stratum, pièce « home made » basée sur l’idée d’un paysage mental imaginaire construit de façon conceptuelle. Outre la chorégraphie, Jeff Bizieau s’est penché sur la création musicale avec notamment des sonorités électroniques et des boucles de violoncelle. Pascal Renault est l’auteur des textes conçus tant pour être récités qu’être mis en musique. Deux autres pièces viendront compléter ces paysages inédits. Des résidences de création s’organisent. Une invitation au Japon, prévue pour juillet, est déjà décalée à l’été prochain, tandis que d’autres dates plus proches se peaufinent. Ce nouveau projet s’annonce d’ores et déjà comme une création à dimension transversale à travers laquelle les deux artistes se réinventent au contact des autres arts qui leur offrent un espace de liberté totale.

(photo : Zulu Stratum © Pascal Renault)