Florence Forterre : art, espace public et citoyenneté

Florence Forterre : art, espace public et citoyenneté

Florence Forterre est une professionnelle rare dans le monde de l’art, capable de tisser des liens entre les différentes parties prenantes, qu’il s’agisse des institutions, du marché, ou des publics « empêchés ». Comme Nathalie Masseglia, elle travaille à valoriser un territoire : en l’occurrence un quartier isolé par la stigmatisation à Nice. Elle est également une personne de cœur, et son histoire d’amour l’a amenée à s’installer dans la capitale azuréenne.

Une démarche artistique et citoyenne

Florence est née dans une famille ouvrière de Clermont-Ferrand. Elle a toujours été fascinée par l’art, qu’elle considère comme une voie d’évasion, une source de beauté et de valeur intouchable. Pour elle, travailler dans ce monde particulier était un rêve inaccessible à cette époque. C’est à travers son amour pour l’art que Florence rencontre son futur compagnon, au lycée : Pascal Pinaud. Bien qu’elle n’ait pas de don particulier pour la pratique artistique, elle a étudié l’histoire de l’art, la sociologie et la communication pour mettre ses compétences au service de ce domaine, par le biais de l’analyse et de l’organisation d’expositions.

Après ses études, elle s’installe à Nice, où elle effectue de nombreux petits boulots. Puis, elle a la chance d’être appelée par des galeries de la région comme Art Concept et Catherine Issert pour faire des remplacements. Elle finit d’ailleurs par travailler pour cette dernière quelque temps. Elle apprend ainsi les codes du marché et la rigueur professionnelle qu’il exige. Mais le côté business, la compétition à tout prix, ne lui conviennent pas. Elle respecte toutefois les codes de ce monde pour être la plus professionnelle possible, tout en gardant jalousement le respect des artistes. C’est aussi à cette époque qu’elle rejoint dès qu’elle le peut son compagnon lors de repas ou de rencontres entre amis pour échanger avec des artistes ou intervenants de l’Art contemporain comme Jean-Marc Réol, Noël Dolla ou Christian Bernard. Pour elle, ces rendez-vous sont une source de connaissance inespérée. C’est lors de cette période que Christian Bernard lui confie l’organisation d’une exposition : Espace de l’Art, Espace d’une ville. On est 1991, et cette mission marque alors les prémices de sa volonté de travailler pour tout ce qui touche à l’espace public. C’est à ce moment-là qu’elle prend conscience qu’il est finalement possible pour elle de faire sa vie dans le monde de l’art. Après la problématique de la mise en avant des jeunes artistes à cette époque (une problématique encore très actuelle), le manque de place, et donc d’ateliers, l’amène à cofonder le projet La Station en 1996 (1). Un lieu toujours très actif et où, de façon tout à fait bénévole, elle s’investit pour créer et gérer des locaux. Tout en continuant à organiser des expos. Et décide alors d’abandonner sa thèse. Car le projet de La Station et son emploi chez Catherine Issert semblaient lui faire comprendre que le concret et le réel lui correspondaient le mieux. Le « travail de terrain », déjà… 

Après La Station, elle cofondera Le Dojo, toujours à Nice, dans les locaux de l’agence de communication de Luc Clément. Cette expérience lui a permis de se découvrir de véritables capacités et un goût certain pour l’organisation. Elle y développe l’édition, les expositions, les concerts, le festival Indiscipline, autant de manières de faciliter l’accès du public à ces locaux de bureaux transformés alors en galerie, mais aussi de faire comprendre que l’art contemporain avait changé, que la transdisciplinarité était le futur et que les expositions pouvaient s’accompagner d’une vidéo, d’une performance ou d’une installation. Le festival Indiscipline, au-delà de la vision pour le public, permettait aux artistes de se rencontrer, de travailler ensemble et d’échanger. Toujours ce fameux lien, si cher à Florence.

Son goût pour l’interdisciplinarité artistique et pour le concret la mène à organiser un autre événement : Market Zone, en 2013-2014, manifestation artistique interdisciplinaire et transfrontalière, privilégiant les interventions et recherches artistiques in situ, sur les marchés de la Piazza Seminario à Cuneo et le marché de la Libération à Nice. Florence met ainsi en réseau deux villes intimement liées par l’Histoire et participe à la lisibilité d’un territoire. « On y a vécu des moments d’émotion et de tension extrêmes. Mais ce qui m’a surtout marquée, ce sont les gens qui s’arrêtaient pour venir nous voir, qui descendaient du tramway pour venir danser sur la Place de la Libé. C’est vrai que cette rencontre avec le dehors, hors des « quatre murs”, était jouissive. » La confiance accordée alors par la Municipalité, en lui laissant occuper la Place de la Libération, reste encore pour elle un souvenir incroyable de cette époque.

On peut se demander, si la mise en valeur de ce territoire, où elle vit, n’est pas le début d’une histoire, car à la suite de Market Zone, voilà que Florence se met en tête de faire réhabiliter un jardin de 100 m2, squatté par des artistes au bout de la rue Trachel, l’une des rues du centre-ville les plus stigmatisées de Nice. Pour ce faire, elle décide de faire appel à des artistes afin de créer tous les éléments de mobilier, de circulation, de végétalisation et d’éclairage. Et elle s’est prise au jeu ! Car ce fut le début de son histoire avec ce quartier, très proche de son lieu de vie, qui a donné la Trésorerie et les autres espaces que son association DEL’ART anime pour les gens du quartier.


Soirée 19HLesMercredisetVendredisRueTrachel © Frédéric Pasquini

Le miracle de la rue Trachel

Installée au cœur du quartier prioritaire de « La Libé », autour de la Place de la Libération, dans le centre-ville de Nice, l’Association DEL’ART, créée en 2009, gère plusieurs locaux, dont La Trésorerie, Les Pépites et Les Labos de Tra-Ver, où elle organise des ateliers de sérigraphie, céramique, musique, couture… mais aussi des débats, des concerts, des lectures pour un public qui n’ose pas entrer dans un musée. « Les artistes sont ancrés dans la vie, l’art, en un mot, favorise le vivre-ensemble« , commente Florence, pour qui, en arrière-plan de la création, sont toujours abordées les questions de racisme, de déradicalisation, des violences sexistes, des discriminations… 

DEL’ART soutient également l’édition, l’art contemporain par la programmation d’expositions et d’événements au Narcissio (situé dans le même quartier), ou de manifestations d’envergure pour l’espace public. Elle privilégie les collaborations et coopère tant avec des structures artistiques et culturelles, des structures sociales, éducatives et des collectivités. « C’est compliqué ça avance tout doucement, mais on va y arriver. » À l’échelle d’une rue, parfois mal fréquentée, très stigmatisée par l’ensemble de la ville de Nice, l’idée de départ était de montrer qu’il y avait des capacités, des talents, que chacun était porteur à un moment d’une connaissance, d’un savoir-faire, d’un talent : chanter, lire, ou ne serait-ce que penser… « À partir de là, on pouvait faire quelque chose ensemble. Les gens viennent, on voit ce dont ils ont envie, ce dont ils sont capables, et on les accompagne avec des matériaux, souvent avec des artistes qui viennent « jouer » avec nous. Je dirais que l’on est toujours dans un rapport à l’espace public » Florence Forterre poursuit cette aventure, mêlant arts visuels, théâtre, musique, danse… Car pour elle, l’art vivant est une nécessité.

Florence Forterre s’est vue remettre le Prix Solidarité 2022 qui, à travers la France, est attribué par les quotidiens régionaux et récompense chaque année des actions d’associations portées par des femmes. Parvenir à réunir le monde de l’art contemporain, de l’art vivant et de tous les arts visuels avec le monde du secteur social, dans un quartier en difficulté : c’est ce qu’elle appelle « le terrain », le concret… Convaincue que l’accès à la culture pour tous favorise les valeurs républicaines, de solidarité, de citoyenneté et de vivre-ensemble. Elle participe ainsi à l’amélioration du cadre de vie en impliquant habitants et artistes pour des créations collectives. Comme Nathalie Masseglia, Florence Forterre fait partie de ces militantes qui défendent la culture d’un territoire. Elle ne le fait pas pour être aimée comme elle le dit, car elle espère que son travail et celui de son équipe (2) parlent d’eux-mêmes. Cette récompense en est la preuve !

Avec l’âge, cette acharnée du travail parvient à se poser. Mère de deux enfants, épouse d’un homme artiste et enseignant, qui s’est d’ailleurs aussi pris au jeu et a participé à la mise en place de tous ces lieux. Elle reconnaît qu’elle parvient davantage à consacrer du temps à sa famille aujourd’hui. D’ailleurs, un de ses « défouloirs », c’est d’aller chez son père, tailler des plantes, les entretenir… Elle y trouve la paix… Comme elle le dit, elle a la chance de « travailler sans travailler« , car tous ses amis sont de près ou de loin intéressés par l’art, donc cette immersion permanente ne l’obsède pas. « Ça ne m’a jamais pesé en fait. Il y a pourtant des moments ennuyeux comme la comptabilité, l’administration, les bilans, les réunions pénibles… Il faut bien passer par-là. En réunion, on ne va pas mourir ! Mais ça ne me stresse pas, parce que je sais que moi, comme le public et les personnes avec qui je bosse, trouvent leur compte au niveau humain dans ces actions bienveillantes. »

Rens: de-lart.art, de-lart.org, le-narcissio.fr 

(1) Le projet de La Station est né de l’association de plusieurs artistes, pour la plupart issus de la Villa Arson. Il doit son nom au premier lieu qu’il a investi : une ancienne station-service sur le Boulevard Gambetta à Nice.
(2) Florence Forterre (direction), Isabelle Spitz (administration), Edwige Fourcou et Olivier Gueniffey (médiation, communication), Armelle Trouxe (responsable des Pépites)

photo Une : Florence Forterre © Salado

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