Nathalie Masseglia, militante du droit à la ruralité

Nathalie Masseglia, militante du droit à la ruralité

Nathalie Masseglia est une « pure souche de la Roya« , elle est de ces femmes qui tentent de préserver et de développer la culture d’un territoire, en y vivant et en y travaillant, à l’image de Florence Forterre, sur un quartier défavorisé de Nice, isolé par la stigmatisation (voir article p.15). Cette comédienne, auteure, metteuse en scène, est une femme-orchestre à bien des égards. Et si certains passent leur temps à fabriquer des mensonges, Nathalie, elle, tisse des liens, en militante du droit à la culture en ruralité.

Atypique

Après avoir obtenu un baccalauréat général et une licence d’histoire, Nathalie Masseglia se destinait à l’enseignement, car pour ses parents, comme pour tous les habitants de « campagnes éloignées« , c‘était un « vrai métier« . Elle est née dans une famille atypique : son père d’extrême gauche, fut adjoint d’une mairie communiste dont il avait dû démissionner tant il était en désaccord avec ses colistiers. Très jeune, à l’école, on la surnomma Staline. Elle ne savait pas pourquoi, mais comprenait bien qu’il y avait de l’hostilité dans ce sobriquet. Après deux ans comme enseignante dans le privé, un métier qu’elle abandonnera après « avoir pris sa retraite » à l’âge de 24 ans, car les remarques négatives de ses collègues lui faisaient craindre de ne pas tenir le coup, mais aussi et surtout pour enfin se consacrer au théâtre. C’est au collège qu’elle commencera à fouler les planches, avant de travailler avec plusieurs compagnies, dont Vis Fabula. Elle a également œuvré comme marionnettiste au Théâtre Chou. Elle a progressivement développé sa carrière théâtrale et réussi à obtenir le statut d’intermittente du spectacle, tout en faisant croire à ses parents qu’elle était toujours enseignante ! 

Le clown

La rencontre avec Olivier Debos est un tournant dans sa vie artistique, un coup de foudre professionnel. Il a permis à Nathalie de découvrir son clown (il paraît que chacun a le sien), qui ne la quittera plus, et de sortir de sa zone de confort du théâtre institutionnel. En travaillant avec Debos pendant plus de 15 ans, Nathalie a appris le métier de clown. En 2000, ils décident de créer leur propre compagnie, l’Arpette, et de s’installer dans la région montagneuse de la Roya. Elle renomme ensuite la compagnie l’Embrayage à Paillettes et collabore avec Thomas Oudin. Ensemble, ils donnent des cours et des stages dans la région de la Roya, avec un accent particulier mis sur la transmission en milieu rural.

Mazarine

Le personnage de Mazarine n’est apparu qu’en 2004, grâce à Olivier Debos. C’est LE personnage de clowne que Nathalie ne peut plus abandonner. Elle est dans une campagne électorale permanente et ridicule. Les créations de Mazarine ont évolué et ne se limitent plus aux costumes burlesques. Les spectacles se concentrent sur la vie dans la région de la Roya, abordant des sujets tels que l’immigration et les problèmes politiques. Nathalie s’inspire des événements de la « vraie vie », y compris la tempête Alex qui a frappé la région, pour faire vivre Mazarine. Tout est basé sur l’autodérision et le ridicule, mais toujours en partant du « centre de son monde » qu’est la Roya. 

L’AMACCA de la Roya 

C’est un projet de programmation de spectacles, sur le modèle des AMAP paysannes, créé en collaboration avec Delphine Pouilly, Michaël Allibert et Olivier Debos dans la vallée de la Roya, avec l’aide d’un dispositif d’accompagnement local, et qui a reçu une subvention européenne. Le mythique Didier Super en est le parrain. Cette AMACCA permet à des citoyens de la vallée de produire, acheter et accueillir des spectacles contemporains, ainsi que proposer des enveloppes pédagogiques. L’objectif est de permettre une autonomisation des acteurs locaux. Le projet est désormais indépendant, avec une équipe locale gérant la programmation : chaque année, un comité de programmation élu choisit des spectacles pour l’AMACCA. Le technicien, Raphaël Moni étudie les faisabilités, car il n’y a pas de théâtre dans la vallée. Les spectacles doivent être des créations, les acteurs doivent comprendre l’endroit et sa situation particulière sans seulement chercher à « cachetonner ». Tout est âprement négocié : avec les politiques pour trouver des lieux pour jouer, mais aussi avec les compagnies qui ne comprennent pas toujours les contraintes. La collaboration avec le Forum Jacques Prévert, à Carros, a été importante pour trouver des spectacles. 

Nathalie n’est plus dans l’AMACCA aujourd’hui. Car elle souhaite bénéficier d’une autonomisation en tant qu’actrice locale avec sa compagnie. D’ailleurs sa Cie l’Embrayage à Paillettes se concentre sur la pédagogie auprès des personnes handicapées, les personnes du 3e Âge et les adolescents en situation d’abandon. Elle souhaite mélanger ces groupes pour lutter contre le communautarisme et a travaillé avec le MAMAC pour offrir des opportunités de spectacle en dehors de la région, ce qui lui permet d’ouvrir des pistes en déplaçant une partie de la population. Un festival, Plein Air, a également été lancé par des intervenants du MAMAC, Rebecca François et Leïla Decourt, en septembre dernier pour donner plus de visibilité aux artistes locaux qui cherchent tous à travailler davantage sur leur territoire pour se faire connaître et ne pas tomber dans le paradoxe qui verrait seulement « ceux d’ailleurs » être programmés.

La solidarité, réponse à l’isolement ?

La Roya a été le théâtre central du problème migratoire. On se souvient de ces gamins rejetés à la frontière en toute illégalité et des villageois qui avaient décidé de les accueillir, comme le veut la tradition montagnarde : Cédric Herrou, association Roya Citoyenne et bien d’autres furent des acteurs bienveillants de cet accueil. Nathalie, qui ne s’est jamais mise en avant, a fait le lien entre ces différents groupes, s’occupant tant de logistique (cuisine, collecte, accueil) que de communication. Sans aucune volonté de leadership, elle fut le ciment qui a permis que tous puissent rester solidaires malgré les frictions. Toujours dans la bonne humeur, elle fut la « mama » bienveillante de ce formidable élan de solidarité.

Mais si les gens de la Roya ont accueilli les réfugiés, la tempête Alex, les a eux-mêmes transformés en réfugiés lors de ce funeste 2 octobre 2020. Cette vallée, avec ses drames migratoires et ce phénomène météorologique extrême, est devenue une sorte de modèle de ce que pourrait nous réserver l’effondrement avec ses drames à l’échelle d’une vallée de 5000 âmes.

Elle se souvient alors de son isolement lors de la venue des vagues de migrants où les associations niçoises ont été bien timorées face à l’illégalité des actions dans la Roya ou tout simplement par peur de perdre des subventions. Elle critique aussi certains Niçois qui, par la suite, se sont présentés comme les sauveurs de la Roya en perturbant les stratégies territoriales et culturelles locales. Elle explique que depuis 20 ans, l’AMACCA et les trois compagnies locales ont travaillé ensemble pour faire de la médiation, cohabiter comme elles pouvaient et rencontrer les politiques. Cependant, l’arrivée d’un « sauveur » avec des spectacles qui font le buzz et qui offrent des performances gratuites semble avoir mis fin à 20 ans de travail. En effet, le monastère de Saorge, par exemple, qui appartient aux monuments nationaux et qui a un budget de programmation, n’a plus investi dans les compagnies locales. Cela montre l’importance de la cohérence et de la conscience dans les actions culturelles sur un territoire, en évitant de politiser ou de perturber les liens sociaux et territoriaux. La problématique sur le territoire culturel est de refaire une culture avec un ciment propre tout en préservant l’identité du village. Faire du théâtre ici, c’est penser à tout le monde en même temps. Il faut travailler petit à petit, tous les jours, pour changer la mentalité d’un territoire, sans conflit passionné. Il est possible de vivre et de rayonner en faisant ces métiers au fond d’une vallée isolée sans avoir besoin d’aller à Paris ou à Avignon mais en choisissant de rester pour y travailler et y vivre…

Tempête

Elle répète actuellement un spectacle particulier: Tempête, une « œuvre familiale« , qu’elle propose avec son frère Rémy, vidéaste reconnu, notamment grâce à ce merveilleux documentaire Naïs au pays des loups, et sa belle-sœur Gwen, par ailleurs compositrice de la musique du film. « C’est vraiment de la consanguinité voulue. On en parle, c’est vraiment notre propos. On parle de nous en tant que femmes dans une vallée reculée qui faisons du spectacle, et comment ça fonctionne ?« . Deux femmes parlent de leur travail dans le monde rural, avec des parents boomers. Elles sont aussi mamans et ce n’est pas facile parce qu’elles saturent… Elles doivent négocier avec des politiques qui ont du mal à comprendre que les créateurs du territoire voudraient être privilégiés pour leur travail « au pays ». D’un autre côté, il y a aussi la crise migratoire qui tempère tout, car Nathalie reconnaît que, malgré tous ces problèmes, elles se portent bien mieux que ces gens obligés de traverser la Méditerranée en canot pneumatique pour fuir les tueries et la misère au péril de leur vie. Il n’en reste pas moins qu’elles éprouvent le besoin de raconter ces difficultés qui pèsent sur leur quotidien. La tempête Alex a laissé des traces : elles sont en bottes sur scène – elles ont manqué perdre leurs costumes lors de la catastrophe !

De fait, elles sont aujourd’hui beaucoup plus humbles et envisagent un spectacle avec moins de paillettes, avec plus de musique : du « Masseglia Sound System« , sourit-elle. Grâce à la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC), elles « font du territoire » et accompagnent les gens du village et de l’EPHAD avec des chantiers d’écriture. Elles tiennent à rester ouvertes, à ne pas faire de l’entre-soi, et ça demande des efforts assez importants, car travailler à l’EPHAD est plutôt difficile, même si ça ouvre des perspectives. Nathalie y retrouve des gens âgés, avec qui elle a grandi, avec qui elle a réalisé qu’elle partageait une culture et les mêmes problématiques. « Il y a beaucoup de femmes, et elles disent des phrases incroyables comme : « Nous, pour faire des gnocchis, on plantait des patates… » Du coup, tu te remobilises, tu réfléchis forcément différemment. » 

Pour les aider, elles ont fait confiance à Greg Lampis, qui travaille sur de multiples projets. C’est un véritable « accoucheur de créateurs » – son dernier né étant le projet Philippe Cara. Ce musicien-arrangeur-sondier-technicien est un ami qui sait être à l’écoute, utiliser le Système D pour pallier le manque de moyens. Notamment lorsqu’elles ont perdu l’eau potable et l’électricité lors du pseudo-effondrement qu’a pu représenter la Tempête Alex. « Ça nous a mis dans une réalité horrible« . Depuis, elles ont développé leurs propres jardins, par crainte ou par traumatisme.

Tempête sera créé à Menton, le 12 mai, pour de multiples raisons : la Roya fait partie de la communauté d’agglomération de Menton, qui grâce au Théâtre du Lavoir, les accueille et leur achète des dates. Mandine Guillaume, sa directrice, est un soutien fort, car elle achète les spectacles, contrairement aux théâtres de l’aire niçoise qui font jouer les compagnies « à la recette« . Elle prend un risque mais joue aussi le jeu du territoire et participe à ce tissage de lien social, qui n’est autre que ce que l’on nomme Culture. Ce lien qui enracine une population sur un territoire en y métissant les cultures des populations qui y vivent et tentent d’y travailler.

Tempête : 12 mai 20h30, Théâtre du Lavoir, Menton. Rens: FB CieDeLEmbrayageAPaillettes, FB nat.masseglia, FB lezartcreation, lavoirtheatre.org

photo : Mazarine, alias Nathalie Masseglia © Rémy Masseglia

Tags: