03 Nov Daniel Picouly, le professeur
Daniel Picouly, lauréat du Prix Renaudot en 1999, est « entré en littérature sur le tard« . Elève compliqué, étudiant valeureux, professeur engagé, auteur reconnu… et aujourd’hui Président de la Fête du Livre du Var 2021, nous avons rencontré cet écrivain au parcours atypique pour qui la notion de transmission a quasiment valeur de sacerdoce.
Daniel Picouly, né en 1948 en Seine-Saint-Denis, est un écrivain français, scénariste de bande dessinée, mais aussi comédien et animateur de télévision. Après plus de 20 ans dans passés à enseigner, il se lance dans une carrière d’auteur au début des années 90 et connaît rapidement le succès auprès du grand public avec Le Champ de personne, Grand prix des lectrices de ELLE en 1996, puis avec L’enfant léopard, Prix Renaudot en 1999. Il y a 2 ans, il a été finaliste du prix Goncourt 2019 et a reçu, la même année, le prix Nice-Baie-des-Anges, avec Quatre-vingt-dix secondes. Dans son dernier ouvrage Longtemps, je me suis couché de bonheur, paru en 2020, il transpose l’univers de Marcel Proust dans la banlieue des années 60, pour livrer un roman « profond et drôle d’une éducation sentimentale, hommage à l’école, à sa famille et à l’auteur de La Recherche. À tout ce qui a fait de lui l’écrivain qu’il est aujourd’hui. » Daniel Picouly sera en grand entretien lors de la nocturne du vendredi 19 novembre à 18h et dans une rencontre en hommage à Proust, le samedi 20 novembre à 15h30.
Lors de la Fête du livre du Var, qu’il présidera, Daniel Picouly sera en masterclass le vendredi 19 novembre à 15h, en grand entretien lors de la nocturne à 18h, et participera à une table ronde en hommage à Proust, le samedi 20 novembre à 15h30.
Daniel Picouly, vous serez Président de la Fête du livre du Var 2021. J’imagine que ce n’est pas la première fois ? Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
J’ai effectivement déjà été Président de Festival. Mais la Fête du Livre du Var est peut-être le salon dans lequel je me rends depuis le plus longtemps ! Ma première fois ici, ça devait être en 1997 ou 1998, à une époque où ça soufflait fort. Je me souviens que nous avions dû évacuer le salon, car il y avait des bourrasques terribles ! (rires) C’était sur le Port à l’époque. Je viens donc à Toulon depuis longtemps, une ville où les perturbations n’étaient alors pas qu’atmosphériques, mais aussi politiques… C’est un festival dans lequel je me suis senti impliqué au-delà du fait d’être simplement écrivain. Il y a des choses qui se passaient, on rencontrait les gens comme dans tout salon, mais il y avait une atmosphère différente, on sentait qu’on n’était là pour des raisons non pas qui dépassent le livre – parce que le livre contient tout ça –, mais où tout est en harmonie avec ce qu’on est, avec ce qu’on pense.
Comme un acte de résistance en quelque sorte…
Ça l’était fondamentalement à l’époque ! Car la ville de Toulon (alors sous étiquette Front National, depuis l’élection en 1995 de Jean-Marie Le Chevallier) avait même organisé un salon parallèle. C’était un moment tout à fait singulier qui reste dans la mémoire de ceux qui y ont participé. Il y a des moments qui font que le livre rencontre autre chose que le livre, et ce sont des moments dont on se souvient vraiment… Aujourd’hui, on pourrait encore avoir ce sentiment-là. On l’a d’ailleurs eu récemment sur quelque chose de radicalement différent, avec le Covid, quand les salons ont disparu un temps. Lorsqu’ils ont repris, il n’y a pas si longtemps que ça, on a eu le sentiment, plus qu’un acte de résistance, de reconquérir quelque chose. On s’est demandé comment se fait-il qu’autant de monde vienne un samedi ou un dimanche – où il y a beaucoup de choses à faire – à un salon pour rencontrer des auteurs, les entendre parler, acheter leurs livres ? Pour moi, ça reste un miracle ! Et ça l’a été d’autant plus avec la crise du Covid, parce que le milieu littéraire a été très inquiet de savoir si le livre n’avait pas perdu sa faculté d’attraction. On a assez entendu que le livre était quasiment une forme obsolète de la Culture… On est même allé jusqu’à nous classer dans les biens non-essentiels ! En fait, ça a provoqué quelque chose d’assez fou : on s’est justement mis à parler de résistance. Les gens sont retournés en librairie grâce au système du click & collect. Les libraires ont été extrêmement surpris de l’adhésion et l’attachement des lecteurs à leurs librairies ! En fait, les gens ont à ce moment-là découvert quelque chose d’insensé, à savoir que les libraires pouvaient disparaître… Ce que personne n’imaginait avant le Covid. Et c’est pareil pour les salons. C’est pourquoi, quand certains événements ont repris progressivement, certains assez tôt d’ailleurs, c’était à chaque fois un acte de résistance. Les gens qui venaient sur ces salons avaient une sorte de gratitude pour les organisateurs et pour les auteurs qui se déplaçaient. Ce sentiment-là est quelque chose de très puissant ! C’est quelque chose qui a surpris, enthousiasmé, parce que c’est une énergie qu’on n’avait pas vu venir. Et Toulon me remet toujours dans ce type d’émotion, ce type d’énergie, où comme vous dites, on est à la fois en résistance et dans la rencontre avec les autres. On est entre résistants en fait ! (rires) C’est donc un honneur pour moi d’être Président de cette Fête du livre du Var, car c’est un événement qui jouit d’un statut particulier auprès des auteurs. D’autant plus que Pierre Defendini, qui a créé ce salon, proposait aussi les Nocturnes du Var auxquelles j’ai participé. Pour moi, c’était en quelque sorte un prolongement dus salon. J’ai réellement découvert le Var grâce à tout cela !
Votre carrière d’auteur justement a débuté quelques années seulement avant votre première venue à Toulon. C’était en 1991 avec la sortie du roman policier La Lumière des fous. Vous êtes alors professeur d’économie. Pouvez-vous nous raconter comment s’est faite cette « bascule » ? Je crois que Daniel Pennac y a contribué…
En fait, il n’y a jamais eu de bascule pour moi, j’écris depuis que je suis gosse. Mais je suis d’un milieu ouvrier, et on ne savait pas qu’on pouvait gagner sa vie comme ça ! Puis à 15 ans, vous devez choisir une orientation, qui ne paraît rien, mais qui est plus ou moins définitive. Pour moi, ce fut la comptabilité, car quelqu’un en face de moi a décidé, après 10 minutes d’entretien et à la vue de mon livret, que je n’étais pas fait pour les Lettres, mais pour la comptabilité… Je suis donc devenu professeur d’économie. J’ai fait Assas, Dauphine, j’ai fait un doctorat de fiscalité. Et, lorsque mon père est décédé, j’ai dû aller travailler… J’ai téléphoné au rectorat et deux jours plus tard, je faisais un remplacement de congé maternité ! C’est comme ça que j’ai attaqué une carrière de prof de banlieue qui a duré 23 ans. En fait, j’ai toujours écrit, mais je ne posais alors pas la question d’être édité.
C’est donc un hasard et la rencontre avec Daniel Pennac qui a permis que je sois édité ! Daniel était un ami du censeur de mon lycée, qui lui a donné le manuscrit de La lumière des fous. Sur le moment, le censeur m’avait confié être un peu effrayé ! (rires) Il m’avait dit : « On ne peut pas imaginer qu’un être aussi solaire que vous, puisse écrire des choses aussi noires… » C’est une très belle formule, que j’aime répéter. Puis il m’a dit qu’un copain à lui, qui faisait des livres policiers, serait plus à même de juger. Ce gars, c’était Daniel Pennacchioni ! C’est lui qui a lu ce texte et, comme je suis en train de l’écrire dans mon prochain roman, c’est lui qui a voulu « rencontrer le cinglé qui a écrit ça » ! (rires) Après, tout s’est déclenché. C’est en fait une suite de « petits miracles » qui ont fait de moi un auteur. C’est grâce à ce genre de « miracles » – et les Salons du livre en font partie – que vous savez qu’une rencontre peut tout changer. Moi j’adore aller dans les collèges, dans les lycées, donner des conférences. J’aime aller dans les classes, parce que jamais aucun auteur n’est venu dans la mienne. Peut-être que ça aurait changé les choses, peut-être que je me serais dit beaucoup plus tôt : pourquoi pas moi !
Dans vos romans, il y a très souvent cette dimension autour de la jeunesse, de l’école… En 2012, vous écrivez La faute d’orthographe est ma langue maternelle, qui deviendra un seul en scène. Enfant, vous étiez dysorthographique. On peut donc, malgré cela, devenir écrivain ?
Oui, j’étais profondément dysorthographique. Lorsque j’étais jeune, la dysorthographie n’existait pas, on disait que vous étiez juste mauvais en orthographe… Cet ouvrage prend sa source dans une tentative d’humiliation par un instituteur remplaçant, qui prononce alors cette phrase définitive : « pour faire autant de fautes d’orthographe, il faut être bête à manger du foin« . Ce gars ne sait pas que ma mère, qui a eu 13 enfants, est profondément dysorthographique. Ce gars est alors en train de dire que ma mère est bête ! Là, j’avais deux solutions : soit je le tue, soit je lui montre qu’on peut faire des fautes d’orthographe sans être bête… C’est tout ça que veut dire le titre La faute d’orthographe est ma langue maternelle. Quand j’étais prof, puis formateur de prof, j’essayais toujours de leur faire comprendre qu’en face, vous avez des histoires, des familles… Dans les paroles prononcées, vous pouvez parfois heurter quelque chose de sensible. Il faut faire très attention. C’est ce que dit cet ouvrage. Ce métier de professeur, que j’adore, j’ai toujours l’impression de le pratiquer quand je vais dans les classes, dans les conférences… Et je me dis qu’au fond de la salle, il y a peut-être un de ces mômes, que j’ai été, qui ne sait pas encore ce qu’il veut, et qui pourrait se dire : « Tiens, je pourrais peut-être faire comme lui« .
J’imagine que c’est pour toutes ces raisons que l’enfance, la jeunesse, la transmission, occupent une place particulière dans vos travaux ? Vous avez notamment collaboré à trois albums illustrés de planches et cartes scolaires anciennes entre 2011 et 2013…
Tout à fait, la transmission est fondamentale. Parfois même sur des choses toutes simples. Le premier album que j’ai fait avec ces planches pédagogiques était Nos histoires de France. Je l’ai fait parce que j’étais en train de faire travailler ses cours d’Histoire à ma fille. Et ça ne l’intéressait pas du tout ! J’étais absolument scandalisé, parce que moi, j’adorais l’Histoire. Mais quand je me suis plongé dans les livres de ma fille, j’ai compris. On ne faisait plus de l’Histoire telle que moi je l’avais reçue, avec des grandes dates, des grands moments, des héros… On étudiait des sujets transversaux qui n’avaient pas de chair, et qui ne provoquaient pas l’intérêt. Cette façon de faire, avec les héros et autres grands moments, a été critiquée, mais en tant que pédagogue, si un héros, si une date, si une anecdote permet à un élève de s’intéresser à la Révolution, à Louis XIV, au Moyen-Âge, moi ça me va ! L’idée est d’intéresser avant tout. J’ai donc essayé avec ces planches de remettre en place l’Histoire de France, telle que je l’avais moi-même reçue, parce que c’était une Histoire pleine d’histoires, tout simplement…
On retrouve encore cette dimension dans votre dernier : Longtemps je me suis couché de bonheur. L’enfance, et plus globalement la famille. Il est notamment indiqué dans la présentation de votre éditeur que ce livre est un hommage à tout ce qui fait de vous l’écrivain que vous êtes aujourd’hui…
La famille est au centre, oui. La famille et les profs ! On a fait beaucoup d’hommages, à juste titre, aux « hussards de la République », durant la IIIe République. Mais on ne se rappelle pas assez que, dans les années 60, on envoyait des profs dans des cités HLM en construction. Très souvent, c’étaient de jeunes professeurs engagés, des communistes, des gens de gauche. Ces gens avaient affaire, comme je le dis gentiment, à une « bande de sauvages » dont je faisais partie, à une bande de 36 gamins à qui ils devaient faire cours. Je rends hommage à ces profs, car pour moi ce sont des saints ! Ils avaient, chevillée au corps, une envie de faire passer des choses, sans se laisser impressionner par notre attitude pas toujours très scolaire… (rires) Ils y allaient les gars ! Et je trouve cela extraordinaire… D’ailleurs, personne ne protestait. Et si cela arrivait, nos parents nous remettaient d’équerre de toute façon. On était dans ces années 60 d’essor économique, où tout pouvait arriver. On avait un respect profond pour ces gens qui ne nous voulaient que du bien. Les conflits n’étaient que de l’ordre de la discipline, parce qu’on faisait ce qu’il fallait pour perturber les choses ! (rires) Si je leur rends hommage, c’est parce qu’ils m’ont fabriqué, parce que certains m’ont donné envie d’être prof, et particulièrement en banlieue. Je voulais être avec des mômes qui ressemblaient au môme que j’étais. Mais vous savez, les années 60 étaient particulières, et je ne suis pas certain que le petit Picouly des cités d’aujourd’hui aura la même chance que moi…
Au cours de votre carrière, vous avez également collaboré à des bandes dessinées, comme Retour de flammes avec José Muñoz en 2003, quant à votre roman Tête de nègre (1998), il a été adapté en BD par le dessinateur Jürg. En tant qu’auteur, quel rapport entretenez-vous avec l’image ?
L’image me fascine. Je m’aperçois, depuis tout petit, à quel point les images sont gravées en moi. Pour moi, Roland de Roncevaux par exemple, c’est l’image de ce fils qui sonne dans une trompe pour prévenir son père qu’il est en difficulté, alors que son père ne pourra pas venir… Il y a plein d’images de ce genre qui sont indissociables de certaines histoires pour moi. D’ailleurs mon prof, à l’époque, accrochait des images au tableau et nous demandait ce qu’on voyait, ce que ça racontait pour nous. C’est un truc pédagogique que j’ai toujours gardé. Après, lorsque j’ai participé à des albums jeunesse puis à des BD, je me suis aperçu de l’admiration que j’ai pour les illustrateurs. Ces gens-là me sidèrent ! Je travaille, ou j’ai travaillé, avec des illustrateurs talentueux comme Frédéric Pillot (Lulu Vroumette, Tilou Bleu…) ou José Muñoz (Retour de flamme). Eh bien, lorsque vous leur proposez quelque chose et que vous voyez revenir les dessins, vous ne pouvez pas imaginer le résultat ! Quand on écrit, on se fait des images, qui sont en fait d’une pauvreté par rapport à ce que l’illustrateur vous renvoie par la suite… Moi, ça m’émerveille. On dit alors qu’on « illustre un texte », alors que l’illustration est pour moi un texte en lui-même. Ce n’est pas un décalque de ce que vous avez dit, et ce ne l’est surtout pas en règle générale. Ce sont des créateurs qui créent à partir de mots, et ça me fascine !
Puisqu’on parle de dessins ! Vous avez obtenu le Prix Amerigo-Vespucci Jeunesse en 2014, avec l’illustratrice Nathalie Novi, pour Et si on redessinait le monde. En 1996, vous obteniez déjà le Prix des lectrices Elle pour Le Champ de personne, avant la consécration par vos pairs, 3 ans plus tard : le prix Renaudot pour L’Enfant léopard. Que représentent les prix littéraires pour un romancier ?
C’est très important ! Prenez la dernière liste du Goncourt : un des 4 auteurs sera lauréat et sa vie va changer. On est Goncourt à vie. Moi j’ai eu le Renaudot, et ça a été une explosion… Les ventes ont grimpé, même auprès de gens que vous ne « reverrez » jamais. Car vous devenez un cadeau, un cadeau de Noël, d’étrennes… Et dans la masse énorme de gens qui vont lire votre Prix, il y en a qui reviendront vers vous. Pour l’auteur, un Prix est aussi un coup de chapeau, une reconnaissance par ses pairs. Mais ensuite, vous êtes dans la situation terrible de devoir confirmer. Car les prix littéraires, ce sont aussi des cimetières. Si vous regardez la liste des Goncourt ou des Renaudot, il y a de nombreux auteurs que vous ne connaissez plus. Vous pouvez être balayés par un Prix ! Un Prix peut être à double tranchant… Vous pouvez vous laisser emporter par tout ce qui arrive après la promotion : les voyages dans le monde entier, les traductions… C’est quasiment un an où vous n’écrivez plus ! Après un Prix, vous devez encore plus batailler pour le livre suivant, car vous serez attendus, jugés. C’est une mécanique pour laquelle il faut être préparé. Et l’une des règles du métier, c’est de durer…
Vous êtes donc auteur de romans, de BD, vous avez également fait du théâtre, du cinéma, de la télévision…Rien ne vous arrête. Quelle est la prochaine étape ?
(rires) Là, je viens de terminer un roman. Les larmes du vin, une autobiographie qui suit la place du vin dans ma vie, comme un fil « rouge », si je puis dire (rires). Il sortira en janvier prochain chez Albin Michel. Je suis sur la correction des épreuves, et j’ai déjà commencé son adaptation théâtrale pour en faire un Seul en scène. J’ai toujours plein de projets, et j’ai notamment toujours écrit pour la jeunesse en même temps. Je poursuis donc une série entamée avec Frédéric Pillot, Tilou bleu. J’ai aussi des projets de télévision, dans la BD… Effectivement à partir du moment où on écrit, où on fait du théâtre, de la télévision, etc., on a toujours quelque chose à faire ! (rires) Quand vous vous retrouvez face à des lecteurs, face à des écoliers, quand vous recevez un prix, où quand vous êtes derrière un rideau de théâtre, ce sont des émotions différentes, parfois insensées… Mais c’est aussi ce qu’on recherche !
(photo : Daniel Picouly © Géraldine Aresteanu)