Alexandra Cismondi appose sa marque

Alexandra Cismondi appose sa marque

Il y a 5 ans, quasiment jour pour jour, Alexandra Cismondi lançait la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes à La Seyne-sur-Mer, sa ville natale. La comédienne-danseuse-auteure y avait lu le discours prononcé en 1974 à l’Assemblée Nationale par Simone Veil, l’une des personnalités féminines françaises les plus marquantes du 20e siècle. Un choix qui ne doit rien au hasard, pour cette femme et artiste, engagée et engageante, qui n’a de cesse de s’intéresser à tout ce qui nous marque durablement.

Alexandra Cismondi, née en 1984, a construit une partie de sa carrière à Paris, mais prend toujours plaisir à évoluer dans cette région où elle a passé son enfance. Une enfance avec « un petit côté Marcel Pagnol ! J’ai eu la chance de grandir dans la garrigue. La famille de ma mère avait 19 hectares dans la forêt des Maures« . Fille d’un marin et d’une employée de la DDASS, elle grandit dans les collines de Tamaris, à La Seyne. « On allait à la mer le week-end en méhari, c’était cool, j’allais toute seule à l’école à 10 ans… L’enfance basique des années 80. Mais en même temps, tellement précieuse ! Moi qui ai un enfant de 2 ans et demi, je me dis qu’il n’aura jamais l’enfance que j’ai eue, aussi insouciante, aussi douce… » Une enfance paisible, dans une famille compliquée. « Mes parents n’avaient pas vraiment le droit d’être ensemble, pour des raisons de « classe ». Les parents de mon père, d’origine italienne, travaillaient pour les parents de ma mère, plutôt aristocratie française ! J’ai toujours été dans une famille un peu tiraillée. Mais c’était beau aussi. » Alexandra en parle dans Eh bien dansez maintenant, seule en scène autofictionnel mêlant théâtre et danse, et premier spectacle qu’elle a créé avec sa compagnie Vertiges. Fondée en 2017 sur les conseils de Charles Berling, directeur de la scène nationale Châteauvallon-Liberté qui l’a toujours soutenue, elle y prolonge un geste artistique qui, dès l’origine, s’est intéressé à ce qui laisse une marque, une empreinte indélébile.

Si elle vit aujourd’hui de ce qui l’anime et la fait avancer, son destin n’était pas tout tracé… Enfant, « je ne baignais pas dans la Culture. D’ailleurs, j’en ai toujours eu un peu honte, même si ce n’est pas le mot. Je cherche encore à me « rattraper » en musique, en cinéma, en théâtre… » Le théâtre, c’est son professeur de français au collège, M. Bottex, qui le lui fera découvrir. « Je suis un pur produit de l’école de la République !« , clame celle qui n’allait ni au théâtre ni au cinéma, et qui a commencé par découvrir des ballets à l’opéra à 8 ans, grâce à la danse. Quant au désir de raconter des histoires, l’une de ses arrière-grand-mères, « qui avait cherché de l’or en Guyane et eu une vie assez rocambolesque« , n’y est pas pour rien. « Je la revois avec sa canne, dans sa forêt des Maures : elle mettait des couvertures par terre, appelait tous les gamins et nous racontait des histoires incroyables. » Toute petite déjà, Alexandra Cismondi avait le goût pour les petites et les grandes histoires, elle qui s’enfermait dans les toilettes pour pouvoir dévorer des livres, tranquille, jusqu’à pas d’heure. « J’étais infectée par la romance…« 

Les années passent, la jeune fille entre en sport étude – danse classique, obtient un bac danse et littérature, puis intègre Hypokhâgne/Khâgne, avant de sortir diplômée de La Sorbonne en géographie politique. On est bien loin du parcours classique ! « Je n’ai pas fait d’école de théâtre au départ, car j’étais mortifiée, j’avais peur. Et mon père me disait : Mais tu te prends pour qui ? Pour Fanny Ardant ? Alors je pensais que je n’y arriverais pas… » C’est pourtant un « cliché » qui va changer sa vie, le « fameux » casting sorti de nulle part. Une amie comédienne, Joséphien Draï, l’encourage à y participer. « Là, on est plus que deux, je sens ma vie basculer… Et finalement pas du tout ! Parce qu’en fin de journée, on ne me sélectionne pas, préférant jouer la sécurité avec une actrice confirmée. » Dans la foulée, elle annonce pourtant à ses parents et à son maître de thèse mettre un terme à ses études. Tout va alors très vite, entre petits boulots et cours aux Ateliers du Sudden à Paris, sous la houlette de Raymond Acquaviva, d’où elle sort diplômée en 2011. La comédie donc, puis l’écriture. Pour son amie, le spectacle Joséphine Ose, mais aussi, grâce à l’un de ses professeurs, François Boursier, dans un collectif d’auteurs avec qui elle écrit Femmes passées sous silence, créé au Chêne Noir à Avignon… Dès 2010, elle enchaîne les rôles au théâtre, au cinéma, à la télévision.

Alexandra Cismondi dans les coulisses, avant d’entrer sur scène au Liberté, pendant la création de Il faudra que tu m’aimes le jour où j’aimerai pour la première fois sans toi © Vincent Bérenger

« Parallèlement à cela, j’avais été très amoureuse d’une jeune fille, qui m’avait beaucoup poussée. Elle est décédée dans un accident de scooter provoqué par des jeunes, j’avais alors 24-25 ans. C’était une période assez étrange, à la fois trop bien et où j’ai connu l’une des grosses blessures de ma vie… Quand on perd quelqu’un si brutalement, c’est quelque chose de très marquant. » Une blessure qui hante sa dernière création Il faudra que tu m’aimes le jour où j’aimerai pour la première fois sans toi, dans laquelle elle « parle de fantômes, de deuil, même si c’est lié à des attentats… » Des attentats qu’elle vivra de près en 2015, alors qu’elle réside à Paris. « Je n’étais pas au Bataclan, mais je me trouvais à quelques centaines de mètres de là. J’ai passé la nuit dans un marché couvert, enfermée avec une amie et des clients de bars, à attendre de pouvoir sortir. Bizarrement, on n’a jamais eu peur, c’était assez étrange. Et lendemain, ça a commencé à faire mal… Depuis, je me rends bien compte que c’était une situation pas banale du tout. » La marque, l’empreinte, encore et toujours.

Cette création « au titre non-exhaustif« , comme aime à le répéter Alexandra Cismondi, l’auteure et comédienne la présente actuellement sur les scènes de la région, ainsi que dans les établissements scolaires. Des interventions auxquelles elle s’était déjà prêtée avec son précédent spectacle. « Lorsque j’ai mis le pied dedans, ç’a été comme un immense engrenage délicieux. (…) Moi qui pensais ne pas aimer les enfants, je me rends compte que j’ai une fascination pour les ados. On se comprend, c’est poreux. Peut-être mon côté brut de décoffrage, un côté brutal qu’on peut parfois me reprocher. » Comme de nombreuses personnes aujourd’hui – scientifiques, philosophes, artistes –, Alexandra établit dans cette pièce un parallèle entre notre civilisation et cette période charnière qu’est l’adolescence. « J’ai vraiment voulu inventer un autre monde, mais qui pourrait être le nôtre dans quelques années. Et en même temps, je voulais parler de l’adolescence, car certaines choses ne changent jamais dans les rapports adolescents. (…) C’est un drame dans lequel on raconte à quel point la Terre est à bout de souffle, mais comme on le traite par le prisme de l’absurde, ça donne ce côté crise d’ado. »

Tout comme sa vie, jalonnée de grands bonheurs familiaux, amicaux, professionnels et de moments dramatiques, l’œuvre d’Alexandra fluctue constamment dans cette ambivalence qui voit la comédie tutoyer le drame. « J’ai l’impression que je me suis toujours cachée derrière le rire. Je pense que notre monde est beaucoup trop fou pour moi, j’ai donc besoin de rire, de fous rires, j’ai besoin de faire pipi dans ma culotte, de me tordre le bide… Et j’ai autant besoin de pleurer d’ailleurs ! (…) L’important est de conserver l’espoir. Pas nécessairement l’espoir d’un monde meilleur, juste l’espoir, la flamme d’avoir envie d’être ensemble, de faire des trucs ensemble ! Ça peut être faire famille, faire du théâtre, faire des conneries, faire l’amour, faire la fête… » Bref, laisser une marque, une empreinte.

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photo Une : Alexandra Cismondi© Aurore Baldy

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