
28 Jan Miguel Bonnefoy et le mythe familial
Finaliste du Prix Goncourt du premier roman 2015, pour Le Voyage d’Octavio, et désormais Prix Femina et Grand Prix du Roman de l’Académie Françase 2024, pour Le rêve du jaguar, Miguel Bonnefoy était présent lors de la dernière Fête du Livre du Var. Nous avons rencontré ce magicien du verbe, Toulonnais d’adoption.
Né à Paris, Miguel Bonnefoy réside depuis 2 ans à Toulon, après avoir vécu au Venezuela, en Espagne, au Portugal, en Italie… « En exil permanent, nous suivions ma mère diplomate. J’ai vécu ce paradoxe de l’immobilité grâce aux livres qui m’accompagnaient et ne bougeaient pas où que je sois ! » Si Ilario Bonnefoy, écrivain de langue espagnole, atrocement torturé au Chili, n’avait pas été accueilli à bras ouverts par la France, ce réfugié politique au corps et à l’âme suppliciés n’aurait pas rencontré à Paris la belle Maria Antonietta, diplomate vénézuélienne, et Miguel, leur fils, cet écrivain fabuleux, auteur d’ouvrages qui nous enchantent par cette écriture si personnelle, n’existerait pas !
En lui est pourtant ancré le douloureux souvenir des tortures subies pas son père au Chili. Il cache sous un flot de paroles imagées, généreuses, un fleuve poétique tourbillonnant, tout ce que jamais il ne dira… Et à Toulon, port de guerre, ville de bagnards, de marins, de voyageurs, ne vivrait pas cet écrivain qui plonge dans le passé familial pour en romancer les personnages… Tout commença par les ceps que ses aïeux du Jura enracinèrent comme eux au Chili, et qui produiront un vin fameux. Vignoble qui, à l’image de sa famille s’étend de la France au Chili, au Venezuela, et jusqu’en Ukraine… Ne faut-il pas ainsi tisser des liens au-delà des frontières, des mers, des océans ?
Son premier ouvrage Le voyage d’Octavio était une merveille de personnages truculents, dont un analphabète si intelligent ! Miguel raconte la fin de cet homme enseveli dans l’écorce d’un aulne… Dans Héritage, il imaginait l’union de Margot, jeune et audacieuse pilote d’avion, au fantôme d’un soldat allemand tué au combat des années plus tôt. De cette alliance improbable et fugace naîtra ce fils, Ilario Da, dont le lecteur découvrira l’histoire : les tortures et atrocités subies dépassent tout ce qu’on peut imaginer. Comme celles que son père décrit en espagnol dans un livre, dont Miguel a repris l’exacte trame. Son dernier ouvrage, Le rêve du jaguar, narre l’histoire d’Antonio, élevé dans la misère, qui deviendra un des plus illustres chirurgiens de son pays. Une saga aux personnages singuliers, inspiré du parcours de son grand-père, qui dépeint dans un style flamboyant le tableau d’une famille qui se confond avec l’histoire du Venezuela.
Porteur d’espoir pour ses filles, Miguel Bonnefoy parle peu de lui… Le passé tragique se lit dans son regard noir, profond, même lorsqu’il sourit. Aux questions, il répond par des pirouettes, des citations souvent fabuleuses enfouies dans les méandres de sa mémoire colossale, qu’il lance en réponse indirecte, se dévoilant peu. Est-ce l’héritage paternel ? Même sous la torture, il n’avouera rien et garde secret son… côté jardin ! « J’écris dans les meurtrières de temps que l’on me laisse. Je suis homme au foyer, je m’occupe de mes deux filles de 3 et 4 ans, Stéphanie, mon épouse danoise travaille dans la mode… »
Miguel est édité chez Rivage. Son nom imprimé en blanc sur couverture bleu nuit, titre rouge pâle. Presque le drapeau français… Il écrit presque à temps perdu, sur la table de la cuisine, parmi les Lego de ses filles… Enfin, n’est-ce pas sa légende ?
Le rêve du jaguar de Miguel Bonnefoy (Rivages)
photo : Miguel Bonnefoy © Aurélie Lamachère – Leextra – Maison Deyrolle – éditions Rivages