Maldita ! Maldita !

Maldita ! Maldita !

Medusa Art Action & co et La Galerie du Lundi présentent Maldita ! Maldita ! Variations Dolores, une exposition concept sur le thème de Lolita. L’événement se déroule dans un garage, ce lieu inhabituel a été choisi par les artistes dans l’idée d’une confrontation entre l’univers mécanique, symbole de machine infernale, lieu empreint de masculin, et la figure de Lolita, qui fût enlevée et abusée par le prédateur pédophile Humbert Humbert dans un road trip qui durera plus de 5 ans…

Le garage Citroën de la rue Soleau à Nice accueillera les artistes en résidence Caroline D Wall, Anna H et Mauro Alpi. Seront aussi présentés les oeuvres des artistes invité.e.s : Beatrice DeDomenico, Funny Maller, Lyonel Kouro, Patrick Walworth, Stéphanie Lodry.

Sulfureuse et subversive ? Tendre ingénue naïve ? Ou bien encore, aguicheuse, muse lascive… Le personnage de Lolita, depuis le roman de Nabokov publié en 1955, est devenu un archétype. Bien au-delà de la littérature, puis du cinéma (dont le film de Stanley Kubrick), l’image de la jeune fille candide tout autant que séductrice est devenue une icône pop, contaminant notre mythologie contemporaine. Mythifiée, controversée, la fascination tout autant que le trouble s’instaure. Nabokov précise bien qu’il écrivait alors du point de vue du prédateur pédophile Humbert, Humbert, ce dandy, qui, sous des airs affables, n’était de fait rien d’autre qu’un pervers criminel, condamnant Dolores Haze (Lolita) à l’errance, aux viols répétés. De l’enfermement (physique tout autant que psychique) jusqu’au tragique, jusqu’à la chute.

Lolita est la métaphore d’un grave détournement sociétal, de ce modèle patriarcal hégémonique, dont la misogynie et le sexisme sont allés jusqu’ à substituer le sens originel du propos. Soit, la condamnation d’un pervers pédophile qui enleva une petite fille de 11 ans pour en abuser, la violer durant des années. Et la société de falsifier et de la transformer en une icône hyper sexualisée, érotisée jusqu’à l’obsession, jusqu’à l’obscène. Une société dont le regard biaisé et pernicieux va jusqu’à rendre coupable la victime. Avec le langage même (matérialisation de la pensée) usant des termes aussi péjoratifs, fallacieux et connotés tels que « sulfureuse, aguicheuse, séductrice »… Comme si la faute était du côté des femmes, toujours coupables et responsables du désir perverti des hommes (en l’occurrence, on parle bien ici du désir d’un quinquagénaire pour une fillette de 11 ans, puis de l’adolescente qu’elle deviendra, séquestrée jusqu’à ses 16 ans).

Et, ce regard obscène, ce fameux « male gaze » étudié par la chercheuse Laura Mulvey. L’universitaire publiait en 1975 Visual pleasure and narrative cinema : elle y définit le fait que la culture des années 50, avec la démocratisation et l’essor du cinéma, des films et des stars d’Hollywood, est à l’origine de l’imprégnation dans nos imaginaires ; ces images sont à la source même de notre mythologie contemporaine. Ces images pièges ont contaminé tous les domaines de la vie courante, notamment la publicité. Corrélés à la société de consommation, les modèles stéréotypés du capitalisme et de la société de consommation « objectifient » justement les rôles de chacun.e. Ils matérialisent et légitiment ainsi l’oppression des femmes. Cantonnées à des rôles manichéens de femmes fatales (forcément perverses, briseuses de ménage, l’image de l’amante, de la maîtresse séductrice) ou bien alors sacralisées, car sages et dociles, femme au foyer modèle, mère… Entre la douceur niaise et surannée, entre le miel ou bien le fiel… C’est donc entre vierge et putain, entre femme fatale, vénale, séductrice ou bien docile et soumise, que l’histoire de notre culture se conjugue au masculin. Dominée et stigmatisée par une culture faite par et pour les hommes. L’image de la tendre ingénue séductrice et facile de la « nymphette », soit ici Lolita, est de cette manière détournée.

Elle est aussi le symbole de la complicité de nombres de tribuns qui défendent par exemple aujourd’hui un Matzneff, un Polanski et tant d’autres… Car non une enfant, une adolescente, ainsi qu’une jeune femme, une femme tout court, n’est jamais aguicheuse, perverse, ni même en soi séductrice. Car c’est bien le regard des hommes sur les femmes et leur objectification culturelle (tendant même au cultuel) qui les modèlent selon leurs désirs. Ils façonnent leurs corps et musèlent la parole des femmes, les figent et les fixent comme images morbides, dénuées de toute identité, victime d’un système phallocentré.

De même Lolita, avec le personnage et la perversité d’Humbert, signifie aussi très bien combien la culture et le raffinement ne sont pas exempts de pulsions perverses, et de petits arrangements commodes et mesquins avec la moralité.

L’exposition explore au travers d’installations, de projections vidéo, d’œuvres plastiques, nombre de sources littéraires comme cinématographiques et de l’histoire de l’art ; autant de propositions et de questionnements, à propos du désir, de la morale, du potentiel de perversité et du caractère obscène du regard. Les artistes redonnent ainsi la parole à Lolita et mettent en lumière son point de vue. Inspiré.e.s notamment par l’ouvrage Darling river de Sara Stridsberg et Le journal de L. de Christophe Tison, dont la voix et le point de vue de l’histoire se placent du côté de Lolita et non de son prédateur. Lolita cristallise ainsi autant d’enjeux liés au fantasme, à l’érotisme (mortifère, déplacé) soulevant ainsi des questions morales, nourries de références et de symboles, en écho aux explorations expérimentales esthétiques et plastiques.

Caroline D Wall élabore une œuvre ou la dislocation du sujet, son effacement, grâce à la technique du lavis, sont à percevoir comme autant de résonnances entre esthétique et sémantique. Le sujet se dilue peu à peu, à l’image de Lolita. L’artiste expérimente dans ses productions plastiques et dans les médiums explorés le transfert et le collage ; s’opère alors le détournement réflexif. En filigrane, se révèle une vision critique et sensible. Les images sont détournées pour ouvrir sur autant de contrepoints. Autour de nos mythologies, tels que les contes enchanteurs de nos enfances, Caroline D Wall en révèle bien d’autres lectures…

L’une des séries présentées détourne les images de photographes célèbres comme Irina Ionesco et David Hamilton, connu.e.s tous deux pour leurs frasques notoires. Elle mêle aux images les mots et l’écriture, un voile pudique semble aussi les protéger parfois, comme des ex-voto. Le chemin de croix des épreuves traversées par Dolores Haze (Lolita) est matérialisé par une installation de Mauro Alpi. L’artiste mêle à ses peintures, l’écriture, les objets détournés. Les vanités lumineuses d’Ana H évoqueraient les ambivalences du rapport au désir et la question de l’autre, Mais qui est l’autre ? Cet autre qui est aussi le miroir même de soi… objectifiée. Les corps morcelés de ces installations sont pensés par l’artiste comme la fragmentation des corps des femmes. Ces femmes sans visages, dénuées de toutes identités, toutes ces femmes paysages qui parcourent l’histoire de l’art, sont comme autant de muses-muselées. Des poupées sans âme et sans vie, sages, des corps sans noms… Sans voix.

Parmi les artistes invité.e.s, vous découvrirez aussi « irradiée », peut être la métaphore d’une Lolita calcinée de Béatrice DeDomenico. L’exposition est à vivre comme un road trip expérimental… Pour relire l’archétype de Lolita et en dévoiler la sombre mascarade. En ce sens, de l’esthétisation et de la banalisation pop d’un crime ; avec la complicité d’une société qui érotise les femmes, dès leur enfance. Entendre la voix, non plus de Lolita, mais de Dolores ; imaginer sa douleur, son regard et lui redonner ainsi une identité. Puis découvrir enfin la possibilité d’une vengeance, la revanche, la résistance ; la force universelle des femmes, à travers le destin singulier de cette icône malgré elle. Pour envisager alors la puissance de Dolores délivrée de Lolita…