24 Nov Légende, n°2 : Angela Davis
C’est par hasard, chez un marchand de journaux, magasin heureusement considéré comme essentiel (bien que cela doit être pour le loto et le PMU !), que mon regard s’est arrêté sur une photo d’Angela Davis, grand format, et son encart doré indiquant Légende.
Il n’en fallait pas plus pour que je me saisisse de l’objet. Et il faut avouer que l’objet est magnifique. Presque à la hauteur de cette icône vivante aux combats multiples qu’est Angela Davis, même si je suis sûr qu’elle n’aimerait pas que l’on puisse la déifier à ce point. Format XXL donc pour ce magazine qui affiche d’entrée un ratio 70% photos, 30% textes, 0% pubs.
La partie visuelle est évidemment sublimée par le format et l’épaisseur du papier. Les clichés, même ceux connus, prennent une sacrée dimension, à la limite de l’immersion ou du face-à-face pour les portraits. Des instantanés de sa vie ou de ses combats. Cette affiche Wanted by FBI qui en avait fait l’une des 10 personnes les plus recherchées. La photo des quatre petites filles tuées dans l’attentat, qu’on n’appelait pas encore « terroriste », de l’église orthodoxe à Birmingham. Certaines étaient des amies d’enfance, et c’est à Biarritz, en complément de ses études à La Sorbonne, qu’Angela apprendra la nouvelle. Dévastée par l’horreur et sa solitude dans la tristesse, si loin des siens.
Un second portfolio signé Gordon Parks, premier photoreporter afro-américain dès 1948 auprès du magazine Life, nous offre un saisissant aperçu en couleurs de la ségrégation. Des clichés qui se passent de commentaires, à part leur lieu et leur année : Alabama, 1956. On reconnaîtra en page centrale le cliché qui fit la couverture du chef d’œuvre de Common, Like water for chocolate.
Du côté des plumes, le niveau reste élevé avec un magnifique et long article biographique sur l’incroyable vie de cette femme signée Judith Perrignon : un résumé d’une vie de combat mêlant activisme et pensée. Les études en Europe, la pensée marxiste, les Black Panthers, mais pas trop, bien trop machistes pour cette féministe bien avant #Metoo.
Le communisme de manière profonde, car au-delà de sa couleur, elle avait déjà compris que l’esclavagisme se perpétuait de manière plus insidieuse, de manière sociale. Blancs et noirs sur le même bateau : un capitalisme percé de toutes parts qui tangue fortement. Fidèle au communisme, auquel elle reconnaît « des problèmes démocratiques« , cela lui vaudra d’être exclue de UCLA en 1969 à la demande de Ronald Reagan, alors gouverneur de l’État. Ultime pied de nez, elle se présentera comme vice-présidente aux côtes de Gus Hall pour le Parti communiste américain en 80 et 84 face à l’ancien cow-boy devenu fossoyeur en chef de l’économie à visage humain.
L’accusation fallacieuse qui l’obligera à se cacher, son arrestation, son emprisonnement. Puis le soutien mondial que cela a entraîné, notamment la lettre de James Baldwin postée depuis Saint-Paul de Vence, ou le texte de Jacques Prévert. L’acquittement évidemment, l’aura planétaire que lui donnera cette affaire. Les hommages en chanson avec les textes reproduits des Stones, Lennon, Balavoine, Noah, Perret et son magnifique Lily. Dany Laferrière, Gisèle Pineau et Véronique Olmi nous offrent leur vision d’Angela faite d’amour et de respect.
Enfin, un long reportage réalisé en juin 2020 nous fait visiter sa ville natale de Birmingham dans le contexte actuel (Trump/Covid/BlackLivesMatter) donnant à ce livre/magazine une actualité chaude. Un magnifique focus sur une femme incroyable, qui quand on y réfléchit bien, ne partait pas avec tous les meilleurs atouts. Américaine, femme, noire, communisme et intelligente. Je ne suis aucun des quatre premiers, et je n’aurais pas la prétention du cinquième ; pourtant cette femme a gagné depuis longtemps mon respect et mon amour éternel.
(illustrations : photos de la revue Légende, n°2 © FB Légende le mag)