
25 Mar Lettre à Georges Brassens
Cher M. Brassens,
Je vous fais une lettre, que vous lirez peut-être… comme vous avez le temps…
Je ne sais pas si vous vous tenez au courant, mais la situation est toujours bien étrange ici-bas. Nous aussi nous avons beaucoup trop de temps, une fois n’est pas coutume. Et nombre de nos gens préférés s’en sont allés.
Alors, comme vous l’avez vous-même chanté, « aux soirs de lassitude, tout en peuplant sa solitude des fantômes du souvenir », je pense à vous, à votre doux sourire, à votre beau regard tendre, à votre fière moustache et à vos cheveux libres, à l’homme que vous avez été, qui m’a tant charmé et me charme encore.
Cet homme qui va fêter un bien drôle d’anniversaire : 40 ans. Mais pas les 40 ans de l’homme magnifique que vous étiez, hélas non, les 40 ans de votre disparition, la fête de la camarde, de la grande faucheuse, qui n’épargne bien entendu personne.
40 ans, déjà… 40 ans que tout de vous me manque, votre phrasé, vos mots, votre humour, votre sensualité subtile… Quel artiste rassemble comme vous autant de diversité artistique, un si beau français, une telle érudition, une telle poésie, mais aussi de la drôlerie, de la coquinerie, de l’humanisme, et une telle liberté dans l’engagement… le tout sur des mélodies et des accords bien plus complexes qu’il n’y paraît, sans rien de superflu.
Au moment de votre mort, je finissais à peine de faire le tour de votre œuvre, et je vous dévorais disque après disque, et via des cassettes disparues. Enfant, je suis passée tous les étés devant votre maison de Lézardrieux, dans les Côtes-d’Armor. À l’époque, je ne connaissais que deux de vos chansons, copieusement massacrées à la flûte à l’école, mais le respect qui entourait cette demeure bretonne et votre possible présence m’impressionnait et j’aimais ce mystère.
Oserai-je vous dire que j’ai eu un chat, prénommé Georges ? Vous aviez vos belles moustaches en commun…
Je revois Maxime Le Forestier sur scène, en plein concert, apprenant votre mort ce 29 octobre 1981, tentant de chanter Dans l’eau de la claire fontaine. Et qui, en larmes, s’arrête et fait signe de refermer les rideaux, ployant sous trop d’émotion. Ce même Maxime Le Forestier qui avait fait votre première partie à Bobino en 1972, celui qui est l’un des rares à vraiment bien vous chanter(1). Il a d’ailleurs dit que vous étiez « un vaccin contre la connerie ». C’est dire si on a plus que jamais besoin de vous aujourd’hui !
Sur le net, on mesure votre influence via le nombre de reprises plus ou moins inspirées et l’on y trouve heureusement des pépites. Mention spéciale d’ailleurs aux reprises de Djamel Djenidi, Brassens en Chaabi, dont la version arabo-andalouse des Passantes. En octobre prochain, les hors-séries, les émissions spéciales et autres rétrospectives vont pleuvoir !
Que penseriez-vous de notre époque ? De cette folie, de nos dérives, de nos compromis, de nos yeux qui se détournent, de notre manque de cœur souvent ? Vous qui vous êtes resté fidèle toute votre vie, fidèle à vos idées, à vos amis, à votre amour. Il y a d’ailleurs le mot « sens » dans votre nom…
Grâce à l’exposition qui vous était consacrée en 2011, une quarantaine de chansons inédites ont été retrouvées. Pourriez-vous nous faire de nouvelles surprises pour ces 40 ans ?(2)
Nul besoin d’anniversaire pour vous rendre hommage. Honnête homme, artisan droit et digne, essentiel, vous inspirez toutes sortes d’artistes : vous n’êtes pas moins que Dieu sur un nuage dans L’Arabe du futur, de Riad Sattouf. Dans son film sur Gainsbourg, Joann Sfar vous interprète, et a d‘ailleurs été co-commissaire de cette riche exposition parisienne(3).
Un dernier souvenir : je me suis baladée à Sète avec émotion. Et n’ai pas voulu aller sur votre tombe. La mer, comme à vous, me suffisait. « La mer, quand même, dans ses rouleaux, continue, son même thème, sa chanson vide et têtue »(4)…
Voilà. C’était ma non-déclaration d’amour. Et il me plaît de vous imaginer sur votre nuage, à l’abri de tous les orages, lisant bien d’autres lettres enamourées.
Signé
Une passante…
(1) Brassens et moi, Stock, sorti le 17 mars.
(2) 22 manuscrits de Brassens ont été vendus aux enchères le 22 septembre dernier. Où l’on découvre que le grand Georges pouvait passer 4 ans sur une chanson…
(3) Voir encadré « Livres ».
(4) … chante l’un de vos fils spirituels Francis Cabrel, qui a justement repris Les Passantes, d’Antoine Pol, magnifiées par votre musique.
RETROUVER BRASSENS
1 documentaire : Brassens par Brassens, de Philippe Kohly, France TV
1 émission de radio : La compagnie des œuvres, France Culture
1 livre de lui : La Tour des Miracles, version poche chez Librio
3 livres sur lui :
Brassens à la lettre, préface de Georges Moustaki, de Chloé Radiguet, Denoël
Brassens ou la liberté, biographie illustrée de Joann Sfar, Dargaud
Brassens, chansons illustrées par Joann Sfar, Gallimard. Ouvrage dédié à toutes ses chansons écrites et enregistrées, avec les accords de 120 chansons, « pour ceux qui veulent chanter Brassens en s’accompagnant à la guitare ».
Et tous ses albums, « ça va de soi ! »
(photo Une : George Brassens, photo de la pochette de la compilation Les copains d’abord © DR)