Souvenirs des anciens de « La Place » de la Liberté !

Souvenirs des anciens de « La Place » de la Liberté !

C’est une époque révolue du journalisme de proximité qui se raconte dans cet ouvrage paru aux Presses du Midi : Mémoires d’outre-var, les journalistes ouvrent leurs archives. Une époque où le quotidien varois s’appelait encore Var Matin – République…

Ils étaient une poignée, avaient coutume de déjeuner deux ou trois fois par an sur « La Place ». Aujourd’hui, tous éparpillés entre le Var, le reste de la France et la Suisse, ou disparus pour peut-être rejoindre un monde meilleur, il n’est pas toujours facile de se réunir, même si l’amitié et les souvenirs communs les a soudés.

Ils passaient beaucoup plus de temps ensemble au journal, au café, où d’âpres discussions continuaient sur les faits du jour, l’actualité étant pour chacun une mère nourricière, qu’au sein de leur famille… Les faits que l’on ignorait la veille, et pour cause, ils n’étaient pas encore survenus, devenaient l’essentiel de la conversation du jour…

Interrogée, Nicole Fau-Bellorgey, diplômée de l’École supérieure de journalisme de Paris, avait intégré le journal République peu avant 1976, pour devenir cette année-là chef d’agence à Hyères, puis à Toulon en 1991, avant de diriger le service Reportage. Elle participa au lancement de Femina et des pages Santé du groupe Nice Matin. On se souvient de sa participation à l’émission Les Maternelles sur France 5.  

« Je ne suis pas vraiment à l’origine du projet ! La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, c’était peu après la disparition si brutale d’Yves Bellorgey, mon époux journaliste. Tous me persuadèrent, insistèrent pour que je partage ce moment avec eux, chacun ayant à cœur de me soutenir dans cette terrible épreuve. Et c’est ainsi qu’ils évoquèrent des anecdotes, des souvenirs de reportages, tous ayant vécu des situations particulières, inattendues, drôles ou dramatiques…  Ainsi, L.E.A (Laurence-Edwige Andreani), autrefois chargée de la locale, spécialisée dans le Cinéma du temps de l’élégant établissement Le Guillaume Tell et de l’âme pensante et active Roland Perrino Véran, lança soudain : ‘Et si l’on faisait de tout cela un livre ?’ »

Entrée à Var Matin en 1968, L.E.A travailla dans différents services jusqu’en 2008. Responsable des quartiers, elle m’avait un jour confié : « J’adore les potins, je suis une vraie commère ! » Edwige savait tout sur tout le monde, ou presque ! Elle avait lancé l’idée… Sur place à Toulon, Nicole, volontaire, pugnace, coordonna le tout, appelant aussi ceux qui se tenaient éloignés de leurs rencontres, ces renommés talents plumitifs, mais plus solitaires… 

Nicole Fau-Bellorgey nommée chef d’Agence à Hyères en 1976 © Presses du Midi

Des histoires du quotidien

Daniel Alfandari, reporter qui « accompagna l’agonie et la mort des chantiers de La Seyne », à cette époque où les journalistes assistaient au moment magique qu’était le lancement d’un bateau, évoque le braquage de la Société Générale, à Nice, événement qu’il couvrit avec Henry Ceccaldi dans une Baie des Anges en émoi. « Spectacle grandiose, vaste rigolade en technicolor. » Il ponctue : « Évoquer Henry, aujourd’hui, c’est plonger dans les temps anciens que les jeunes pousses du jour — tea-shirts, baskets — ne peuvent même pas imaginer ! » Fait-diversier de choc, « les flingages entre voyous, les rombières découpées en morceaux par leur mari façon jambon, et balancées dans des valises, du côté du Faron », c’était pour lui et il avait fait sienne la maxime de Peabody : « Quand la légende est plus belle que la vérité, imprime la légende ! » Daniel raconte avec son style très personnel, une certaine gouaille, tant de faits ou légendes… Son « Voyage au bout de la nuit » ne manque pas de piment… politique !

Claude Bègue, alias Christian Balbus, fut chef d’agence à Fréjus, Draguignan puis Toulon. Il cite Gérard Petitjean, « spécialiste incontesté de tout ce qui concernait l’automobile », et qui s’exclama un jour : « C’est énorme, c’est énorme », après avoir découvert inséré en petites lettres — du plomb à l’époque — que « le grand patron était un con… » ! Ses « maudites majorettes », résument une époque à Saint-Tropez… avec le concours de Jean-Marie de Peretti. Il achève son récit par la succulente « Rue des pipes », à Saint Raphaël…

Chaque journaliste y va de ses anecdotes. José Lenzini, se veut discret, lui qui propose en outre les caricatures du réputé Charly ! Journaliste à Var Matin, au journal Le Monde, à BFM Radio, à La Tribune, il enseigna à l’école de journalisme de Marseille. Lorsqu’on lui demande d’évoquer ses souvenirs, pudique, il dira : « C’était il y a des siècles ! Les machines à écrire toisaient les portables et les linotypes crachaient des lignes d’antimoine, pendant qu’un conducteur effrayait un clavier par tant de vélocité… Dans le fracas des formes bousculées, des brosses martyrisant les morasses et les criailleries des typos, l’inénarrable Colas se promenait entre les marbres, toujours prêt à en choper une bonne dans son filet à conneries… Un jour, Robert Tero, alias Betchou, me demande si je suis bien Lenzini, le nouveau… J’approuve. Il dodeline de la tête, me toise gentiment en me disant : « Tu veux être responsable d’une vague de suicides à La Loubière ? » Un peu désappointé, je l’interroge d’une moue. « Jeune, si tu continues d’écrire avec tes mots à la naphtaline que personne ne comprend… C’est sûr que tu vas y arriver ! » Belle leçon de journalisme à l’humour conjugué », conclut José.

Caricatures de José Lenzini © Presses du Midi

Tout une époque !

Il évoque les rares visites du boss Jacques Defferre, venu leur délivrer une « leçon de journalisme » assénant sa devise : « Informer, se battre, fustiger ». José évoque certaines blagues faites aux bleus. Il cite Jacques Berthelot, « un des piliers du fil à Ollioules », évoque Léon, fou de vélo, Henri Ceccaldi, Juliette, secrétaire à l’agence de La Seyne, dont le verbe était redoutable, Jeanine Avenel, journaliste secrète et toujours disponible qui ne se déplaçait jamais sans ses deux grands sacs… sa maison ? Non. « Ma mémoire, toute ma mémoire ! » lança-t-elle un jour à José… Albertini, Aniort, le taiseux Daniel Cuxac, qui aimait Trenet, disparut bien trop vite… On ne l’oublie pas. Tout comme Yves Bellorgey, qui rejoignit un jour l’équipe et « faisait de l’info sans trop se prendre la tête ». « Tu avais une élégance qui faisait barrage et des manières un peu saccadées de grand timide aux yeux tristement joyeux » … Dandy, élégance très british, Yves aimait la musique classique, fut un époux épatant, un grand-père attentionné, présent, affectueux. Il partit brutalement. Trop plein d’amour pour les siens, son cœur l’a abandonné…

Bernard Oustrières, ancien du Petit Varois, bosse pour Var Matin et, après des piges pour la presse nationale dont France Soir, Le Figaro, Marianne, et divers magazines, finira sa vie professionnelle à La Tribune de Genève ! N’est pas Suisse qui veut ! « Ouvrir l’armoire aux souvenirs expose au risque de vous faire tomber sur les pieds des dossiers judiciaires très lourds, que l’on n’a guère envie de revisiter ». Et d’énumérer les plus marquants, tragédies dont l’horreur reste dans les mémoires… « À quoi bon évoquer tous ces drames et plus ou moins cocasses ? » Il préfère offrir, piocher dans le chapelet de ses souvenirs, certaines histoires souvent tristes, pathétiques, mais si humaines qu’elles méritent qu’on y revienne pour en saluer les protagonistes… À découvrir !

Photographe, André Dupeyroux n’évoquera qu’une anecdote sur le port de Toulon… Véritable et surréaliste mise à nu !  

François Kibler, journaliste venu d’Alsace, fit ses débuts aux DNA avant un parcours en grande criminalité pour France Soir (celui de Pierre Lazareff !) comme envoyé spécial permanent dans l’Est de la France et les pays frontaliers. Il couvrait des faits divers souvent atroces, mémorables… Il quitta l’Est pour le soleil du Sud, intégrant sur les conseils de Roger Colombani, Var Matin (alors République) en 1971.

Il en a connu… De Herbert von Karajan, rencontré à Saint-Tropez, à l’aviateur américain Will Largent tentant de retrouver les résistants qui l’avaient sauvé en 1944 lors du débarquement en Provence (où il s’était gravement blessé lors d’un saut en parachute…), jusqu’à l’interview réalisée en exclusivité à bord du train où voyageait le chancelier Willi Brandt. Ce jour-là, deux médecins l’attendaient en gare de Toulon : le Dr. Jean Garaix et le Pr. Maurice Roux, cardiologue et directeur de l’Hôpital Léon Bérard à Hyères, où ils le conduirent afin de soigner son cœur défaillant… Devenus très amis, Willi Brandt et Maurice Roux ne cessèrent de correspondre, de se rencontrer jusqu’à la disparition de l’ex-chancelier. Début de solides amitiés franco-allemandes !

Anecdotes drôles, parfois indécentes, la « leçon de polo à Windsor » explique clairement où passent nos impôts… Et que dire du récit imagé du mariage « très sponsorisé » d’Yves Mourousi et Véronique Audemard d’Alençon à Nîmes, ou de la poussée « annoncée-neutralisée » par les politiques du nuage de Tchernobyl jusqu’à certains potagers : « Mieux vaut ne pas en parler, cela pourrait nuire aux maraîchers ! » Sans oublier une affaire criminelle, toutefois, pour ne pas renier le passé « France-Soir » : l’affaire Bontemps…

Quant à Jacques Larue, qui officia au Service des sports, il évoque Patrick Savidan et Kant, « Voir Voiron et survivre », où la vie de journaliste non sans risque dans le Var durant les années 80 ! Anecdote truculente, aventure inimaginable en 2021… L.E.A racontera avec humour, dans une lettre adressée au rédac-chef Charles Galfré, les vicissitudes du voyage à Voiron subies par Jacques !

Daniel Alfandari devant une machine à écrire © Presses du Midi

Un tome II ?

Un livre bourré d’anecdotes donc, de faits que de nombreux fidèles lecteurs du quotidien se remémoreront non sans nostalgie. « Plein de choses encore à écrire… Il n’est pas dit qu’il n’y ait pas une suite… Maintenant, on a tous envie de raconter d’autres souvenirs ! », conclut Nicole Fau.

Mémoires d’Outre-Var, les journalistes ouvrent leurs archives.
Éditions Les presses du midi