La patience de l’immortelle

La patience de l’immortelle

Avant toute chose, si vous ne l’avez pas encore entre vos mains, samedi 10 avril, Michèle Pedinielli sera en signature à Nice à la librairie Les Parleuses, 18 rue Defly de 10h à 17h. Avec ou sans pluie, mais avec prosecco !

Tel un oiseau de mauvais augure, le milan royal plane dans le ciel de l’Alta Rocca, cette terre corse chère à son héroïne Ghjulia Boccanera qui retrouve son ile natale pour une délicate histoire de meurtre au sein de sa famille de cœur. Un 3e roman qui confirme la puissance romanesque de son auteure, Michèlle Pedinielli, dans un environnement qui lui est cher de par ses origines, mi-corses, mi-italiennes . Par quelle magie (mais on sait bien qu’il ne s’agit pas de cela !), un auteur parvient-il à installer un véritable personnage dans l’imaginaire du lecteur ? Car c’est un bonheur de retrouver Ghjulia Boccanera !

Michèle Pédinielli s’en lancée en 2015 dans l’écriture littéraire, et sa détective privée Ghjulia (Diou pour les intimes) Boccanera, a fait une entrée remarquée dans le monde du polar. D’abord parce que peu de femmes incarnent un rôle majeur dans la littérature policière (machiste un peu), et d’autre part parce que ce personnage ne rentre pas non plus dans les stéréotypes de la femme classique : détective privée, Diou est célibataire, sans enfant (elle n’en veut pas), sa gouaille légendaire et elle pratique un humour absolument tordant, dans ses pensées comme en société. Une vraie graine de rebelle, antifasciste, fière et « testa dura » quand elle a une idée en tête. Signe distinctif : porte des Docs Martens vissées au pied. Ça me rappelle quelqu’un tiens ! Et puis, Diou a des origines corses. J’y reviens !

Les 2 premiers romans de Michèle nous ont mené au cœur de Nice où vit Boccanera, et notamment dans ce Vieux Nice qu’elle affectionne tant (Boccanera, premier polar éponyme, prix Lion noir 2019 ), puis aux frontières des Alpes-Maritimes, dans « Après les chiens », du côté de Breil-sur-Roya, évoquant en parallèle l’histoire de cette contrée-frontière avec l’Italie qui grâce à l’aide de ses habitants, fut un lieu de passage pour les juifs fuyant les nazis, (plus tard ce seront des italiens fuyant Mussolini), et tout récemment, pour des réfugiés fuyant leur pays d’origine. 

Un 3e roman à la saveur corse

Ce 3e roman nous transporte en Corse donc. Letizia Paoli, journaliste et présentatrice télé, nièce du commissaire Jo Santucci, est retrouvée carbonisée dans le coffre de sa voiture près de Sartène. Et Jo, l’ex-amant de Boccanera, qui ne peut intervenir vu son lien familial, ne fait confiance qu’à une personne pour trouver l’assassin. Voilà notre détective privée sur cette terre insulaire quittée il y a plus de 20 ans, où elle retrouve des personnes chères, d’autres moins amicales et va devoir réintégrer les codes, remonter dans ses souvenirs, se confronter à l’omerta bien connue de ses habitants, mais aussi à ses propres préjugés, s’égarer avant de comprendre.

Il y a d’abord l’émotion du retour vers cette terre insulaire natale, « la plus belle ile du monde, cette montagne verte au milieu de la mer ». Les mots reviennent aussi, et on pourrait en dresser le bréviaire : le pinzutu, (celui qui vient du continent, et pire, ceux montés à la capitale), le caseddu (la vieille bergerie de Jo), la mazzera (celle qui voit les morts) etc.., les expressions, et surtout celle-ci : Di qual’se ? de qui tu es ? car d’abord, ici, tu te situes.

Et puis il y a la famille et ses personnages hauts en couleurs, véritable galerie de portraits à l’authenticité qui sent bon le terroir.

Et enfin, il y a la Corse, l’Alta Rocca, dite terre des seigneurs au Moyen-Age, une zone de moyenne montagne dont la beauté sauvage éblouit, un balcon sur la mer. Comme dans ses précédents romans, le territoire et ses habitants occupent une place majeure, nous révélant la complexité si attachante de cette île à nulle autre pareille.

Si Michèle Pedinielli nous plonge dans ce retour au pays avec un amour qui parle à chaque page, amour des gens, amour de cette terre, elle en révèle surtout à travers l’enquête lesparadoxes dont souffre le peuple corse, ses maux liés à l’avidité spéculatrice de certains dont la victime, Leti, cherchait à révéler et dénouer les vérités dans son blog personnel.

La poésie s’invite, aussi tendre que rude comme le sont ses personnages. De beaux portraits de femmes, porteuses d’une histoire séculaire tue, se dessinent au fil de des pages. A commencer par l’héroïne, Gjhu qui se dévoile davantage dans ce roman, avec ses doutes, ses égarements, sa douceur maternelle, elle qui ne veut pas d’enfant (l’émotion de sa relation avec la petite Maria Stella), ses remontées de souvenirs tels ce grand-père corse, ancien tirailleur sénégalais de la 2e guerre mondiale, qui pleurait sur le charnier de ses frères de sang envoyés à la boucherie.

Il y a beaucoup à dire encore, les références aux auteurs de prédilection de Michele  (Cormac Mc Carthy, Camillieri etc..), la relation de l’héroine avec les hommes (scènes charnelles trrrrès convaincantes !), celle, bouillonnante, que nous suivons depuis le tome 1 avec Jo son ex, ami-amant, ses visions (rêves ou cauchemars ?), le mystère qui demeure : de qui tu es Ghju ?

La patience de l’immortelle : une fois le livre refermé on peut enfin comprendre son titre énigmatique. L’immortelle est cette fleur qui s’épanouit dans le maquis corse, ne fane jamais, même après avoir été cueillie, et possède des vertus innombrables, notamment cicatrisantes et antidouleur. Et c’est justement de ces cicatrices jamais guéries dont nous parle Michèle Pédinielli. Au cœur de cette Corse montagneuse, se dévoile un drame sociétal dont l’auteure nous délivre la clé dans un dénouement inattendu de l’enquête. Elle s’est égaré la Ghju et nous avec ! L’écriture alerte et sensible de l’auteure ne se dépare jamais d’un humour bien méditerranéen – sa marque de fabrique ! -, ni de ses convictions politiques et féministes qui la guident pour décrire avec subtilité une société complexe et passionnelle qui aujourd’hui s’émancipe peu à peu de ses silences.

Extraits
« …Putain, il a fallu que je crève ici. Ici, cette nuit, sur cette route quelque part au milieu du maquis. Il fallait que je crève dans le noir. Ca a commencé par une sorte de plaf, et j’ai failli perdre le contrôle de la bagnole. Un coup à droite, un coup à gauche. Frein. Stop. Les deux mains agrippées au volant, le souffle court, le regard qui se perd au-delà de la zone balisée par la lumière des phares. L’éclairage public des routes corses tendant vers le zéro absolu, je n’ai pas vu grand-chose. Je n’arrivais même pas à deviner la silhouette des arbres ou l’amorce du virage que j’aurais dû suivre vingt mètres plus loin. Le noir de Soulages est plus lumineux que cette route… »
« …Tu étais au courant que pour aller en Corse, il faut avoir vendu un rein à l’avance ?  Oui. Le second, c’est pour négocier le billet retour… »
« …J’ai rêvé d’un chien au sourire d’omelettes. Ne me demande pas, c’est peut-être le hachis de sommeil sans somnifères, je n’ai plus l’habitude (Gju est insomniaque)… »
Le vieux Noir : « …Pour l’armée, à côté des soldats français, il y avait les « bougnoules » et les « sous-bougnoules ». Les bougnoules c’étaient les Corses et les Bretons, qui sont devenus nos chefs. Les sous-bougnoules, c’étaient nous autres, ceux qui venaient d’Afrique du nord ou qui, comme moi, avaient été recrutés plus au sud pour défendre la France (…) Sais-tu qui est encore plus misérable que les bougnoules et les sous bougnoules ? leurs femmes, je lui réponds dans ma tête… »

La patience de l’immortelle
Michèle Pedinielli
Editions de l’Aube Noire