Jean-Christophe Maillot rouvre les portes au spectacle

Jean-Christophe Maillot rouvre les portes au spectacle

Dès ce vendredi 16 avril, et durant trois week-ends élargis, le cœur du Grimaldi Forum va se remettre à battre : les techniciens vont pouvoir mettre en son et en lumière le travail que les danseurs de la Compagnie des Ballets de Monte-Carlo préparent jour après jour dans la quiétude de l’Atelier. Une ambiance inhabituelle pour cette compagnie habituée à un rythme de représentations soutenu à travers le monde. Pourtant, aujourd’hui, c’est une véritable chance d’être installée à Monaco où la culture demeure un élément de vie essentiel et la rencontre avec le public encore possible.

« Le public a besoin d’une respiration » explique Jean-Christophe Maillot, tout à la fois chorégraphe et directeur de la Compagnie depuis 1993. C’est ce qu’il va lui offrir en reprenant trois de ses ballets narratifs. Une première à Monaco où il n’avait jamais été possible jusqu’alors de découvrir l’ensemble de ses œuvres dans une même programmation. « La présentation de ces grands ballets permet au public de retrouver des histoires et à la Compagnie de prouver ses capacités. Les ballets vont être présentés avec de nouvelles distributions. Il a été possible de prendre le temps de travailler avec les nouveaux danseurs et nous avons découvert des forces exceptionnelles. Les danseurs ont un appétit incroyable, mais travailler en studio sans spectacle, c’est perturbant. La finalité, c’est la scène. » Le chorégraphe ne cache donc pas son bonheur de retrouver le théâtre.

Des spectacles pour s’évader

C’est par l’histoire de la poupée aux yeux d’émail que débute le programme de printemps : une Coppél-I.A transportée à l’ère de l’intelligence artificielle. Cet être indéfinissable qui a la faculté de se désarticuler autant que d’évoluer avec une grâce presque surnaturelle provoque la fascination dans les yeux de celui qui la regarde. Lac est l’histoire intemporelle des tourments qui en viennent toujours à agiter l’individu. Dans une esthétique que l’on retrouve à tous les niveaux, de la chorégraphie aux costumes, des lumières au décor, le drame se joue à un rythme effréné et captivant.

Enfin, la reprise du ballet Le Songe tient particulièrement à cœur au chorégraphe. En effet, la magnifique scénographie originale signée d’Ernest Pignon-Ernest n’est pas toujours adaptée aux scènes où l’œuvre est jouée. Ainsi, pouvoir la reconstituer sur la scène du Grimaldi Forum est une sorte d’hommage du chorégraphe au travail du plasticien. Ce ballet tient également une place particulièrement dans le répertoire de Jean-Christophe Maillot, car il réunit les différentes pistes de réflexion que celui-ci développe dans son travail de création. Il les a symbolisés dans ce ballet au  travers de trois groupes de personnages qui représentent trois univers particuliers. « Les Athéniens symbolisent le travail sur l’écriture narrative du néo-classique. Il s’agit de faire parler les corps en mettant en avant la dimension technique : le discours verbal passe par le corps. Avec les fées, l’exploration est plus aventureuse dans la forme. La dimension érotique entre en jeu, mais la danse la transforme de façon élégante et raffinée. C’est une écriture plus contemporaine. Les Artisans traduisent la dimension de l’acteur chez le danseur qui est très importante pour moi. »

Évoluer en conservant le spectacle vivant

Jean-Christophe Maillot reconnaît « que les difficultés actuelles sont réelles et que face à l’économie, la culture ne sera pas forcément une priorité. Je pense aux petites compagnies qui vivent à 75% ou 80% d’auto-financement, aux équipes techniques qu’il faut faire travailler. On sous-estime le drame dans lequel nous vivons. » Même pour une structure comme celle des Ballets de Monte-Carlo, les choses vont devoir évoluer. « On va aller vers une forme de régionalisme de la culture. Il va falloir exister à l’endroit où l’on est basé et repenser les choses ». Depuis des mois, les habitudes de travail ont été bouleversées. Tant pour les danseurs les plus anciens, rodés à des routines très actives en tournée, que pour les plus jeunes qui ont intégré la compagnie plus récemment, les rythmes de travail ont changé avec toujours la menace de la blessure qu’il faut éviter. Pour protéger le corps des danseurs, la cellule santé a été renforcée, notamment avec l’apport des compétences d’un physiothérapeute.

Quant au travail du chorégraphe en lui-même sera-t-il à réinventer ? Jean-Christophe Maillot reconnaît que certaines choses sont tentées, mais pour lui « nous ne sommes pas encore au pied du mur et nous n’avons pas besoin de nous réinventer complètement. La chorégraphie ne m’intéresse que par les gens avec qui je travaille. C’est ce qui nourrit mon travail. » Bien sûr, les Ballets proposent une plateforme numérique particulièrement novatrice d’un point de vue technique avec un dispositif de multi-caméras. « Elle permet de conserver un lien, mais elle doit surtout donner envie de revenir au théâtre. Le spectacle doit rester vivant. La danse ne m’intéresse que parce qu’elle est un ensemble, avec la musique, les décors… J’aime la dimension du spectacle. » Et quand ce passionné de comédies musicales se souvient que les plus belles créations sont nées au lendemain de la crise de 1929, il se met tout à coup à imaginer qu’une nouvelle respiration sera possible.

(photo Une : Jean-Christophe Maillot © Alice Blangero)