20 Avr Germain Nouveau, trimardeur céleste de la poésie
Deux poètes, deux plumes merveilleuses se sont mis au service de la vie et l’œuvre d’un poète aujourd’hui disparu, hélas peut-être oublié… Germain Nouveau, trimardeur céleste de la poésie est publié chez Les Cahiers de l’Égaré.
Patrick Lorenzini, journaliste, poète, écrivain, préface avec bonheur, élégance, recherche, dans son style très particulier, le livre commis par José Lenzini, jusqu’ici très attiré par l’œuvre et la vie d’Albert Camus. José offre sa très belle plume, avec romantisme, poésie, art des belles-lettres, à ce livre formidable qui déroule la vie étonnante passionnante, vagabonde du poète Germain Nouveau. Un point commun pour les trois plumitifs tombés en poésie : discrétion, humilité, fuite du monde bruyant et jacassant, solitude des philosophes…
« L’idée m’est venue à partir d’un papier écrit par Patrick Lorenzini, publié voici environ 15 ans… Ce fut un travail de recherche. L’œuvre de Germain Nouveau avait été publiée à La Pléiade et figurait à côté de Lautréamont. Or, les éditeurs l’ont supprimée… C’est l’homme qui me plaît, plus que le poète, il a eu des fulgurances superbes ! », dit d’emblée José Lenzini, journaliste, écrivain. « Je raconte sa vie, parle de ses poèmes, de l’homme en recherche de lui-même. Il marchait, marchait, dans un « perpétueux voyage » … Mort dans l’indifférence, il fut jeté dans la fosse commune. »
Or, voici que soudain l’on parlait beaucoup de lui… Sa nièce, et son époux notaire à Aix, se rendirent enfin compte qu’il était connu ! N’avait-il pas été le compagnon de route de Rimbaud pendant 4 ou 5 ans, de Verlaine ? Puisqu’on parlait de lui, peut-être que… Aussitôt, on l’exhuma pour lui donner une sépulture plus digne !
Qui était Germain ?
Né dans le Var, face à la Sainte Victoire, de petite taille, catholique (durant 6 ans, élève au Séminaire), Germain avait été remarqué et s’est fait « connaître » très tôt. Au collège, déjà, il écrivait… Puis il mena une vie de Bohème à Paris, porta 15 ou 20 pseudonymes, allant même jusqu’à se faire appeler « Humilis ». Il détruisait ses poèmes, ne voulait pas qu’ils soient publiés, exploités financièrement. Miséreux, il lui arriva de faire la manche sur les marches de la cathédrale d’Aix, et Cézanne en passant lui donnait une obole… Il fut par la suite interné à Bicêtre… Vie de créativité, de misère et de folie pour ce natif de Pourrières…
« On prétend que Les illuminations de Rimbaud seraient de lui et non de Rimbaud, car c’est davantage son style ! Or, on a retrouvé des écrits des Illuminations chez lui… Il en a peut-être écrit une partie ! », remarque Lenzini.
Paris sera pour Germain, encore si jeune, un tournant, carrefour de rencontres des plus grands, des plus connus, dont Verlaine et Rimbaud et tant d’autres… « Une allure gauche de paysan, de grandes mains et de grands pieds, des cheveux en chaume, mais des yeux d’ange, des yeux inoubliables. Bon poète et mieux que bon, mais quel mauvais coucheur ! », écrira Jean Richepin, lors de l’arrivée de Rimbaud dans le milieu littéraire et artistique parisien.
Les pages truculentes brossées par José Lenzini, décrivent la bohème parisienne d’alors, le désembourgeoisement de Verlaine, peu à peu sapé par ses nouvelles fréquentations, le glissement vers son absolu à lui, loin des conventions bourgeoises…
Au fil des pages, le lecteur rencontre les Hydropathes, les Hirsutes, Le Club des vilains bonshommes, les Zutistes ou Zutiques. Ce livre est un passionnant récit d’aventure(s) où la violence, l’ivresse, la passion côtoient la poésie la plus enchanteresse.
Un testament écrit bien tôt…
À son cousin Silvy, Germain écrira : « Conservez-moi l’idée d’un homme qui eût voulu ne vous laisser que d’agréables souvenirs… Si les pauvres faisaient des testaments, je dirais ceci est mon testament. » » Et d’ajouter : « J’adjure mes parents (sur le conseil de mes confesseurs et pour question de goût et éviter le ridicule), quelque pression qu’on puisse faire sur eux, de s’opposer de tout leur pouvoir, et au besoin procès et autres moyens dont la loi met en possession, à la publication d’aucun vers de moi ».
Pourquoi pareil testament à pareille époque ? Un mauvais passage à vide ? Une fatigue accrue ? Une certaine lassitude exacerbée par son éloignement de Pourrières et des siens ? Il réside pourtant en 1809 au 19 de la rue Michelet, dans le quartier bourgeois, au cœur d’Alger.
Las de cet univers factice « où le corps paraît supplanter l’esprit », il est déjà sur le paquebot qui le ramène à Marseille, d’où il rejoint Aix-en-Provence. Oublié son testament. Il se remet à l’écriture et le voilà qui travaille à un Traité d’orthographe dont on ne retrouvera pas plus la trace que de la pièce en 3 actes et en prose qu’il aurait envoyée à son cousin Silvy… Il n’abandonnera pas la poésie, malgré sa promesse, reprendra le Placet rimé dont il avait commencé la rédaction 12 ans plus tôt et qui ne sera publié qu’en 1949, près de 30 ans après sa mort, dans Le Calepin du Mendiant.
Le commentaire de ce placet est éloquent ! Par-delà son mysticisme, Nouveau tend toujours vers le même absolu ! Il évoque la guerre : « Elle n’est pas seulement celle qui déploie ses horreurs dans les tranchées ou dans la boue. Elle est plus sûrement celle qui dure et perdure dans la lumière du quotidien, celle qui prive chacun de sa liberté. » Et : « Nul n’a jamais écrit, ou peint, ou sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l’enfer. » Car nous sommes tous « comme ce pauvre Van Gogh, lui-même, des suicidés de la société. »
Cet ouvrage, régal, pur bonheur, se lit délicatement, avec gourmandise, sans modération. Chaque mot, chaque phrase restitue avec élégance, délicatesse et science, un monde aujourd’hui perdu… Chaque page est un morceau d’anthologie, qui se déguste comme un grain de caviar… Lisez, lisez jusqu’à l’ultime : « Ma bougie est morte, Je n’ai plus de feu, Qu’à la lune en sorte, Que j’en ai fort peu (…) Et la pluie qui tombe, À travers mon toit, Me met dans la tombe, Plus qu’à quatre doigts… »
Nouveau glissera lentement vers le tombeau. Il s’éteindra seul, un dimanche de Pâque, le 4 avril 1920. Jusqu’en 1925, la fosse commune l’hébergera, « corps d’enfant malingre, aux rides et cheveux d’ancêtre ». En 1924 seront édités Les Poésies d’Humilis et Vers inédits. Plus tard, André Breton sera le premier à discerner en Germain Nouveau un des précurseurs du surréalisme !
Germain Nouveau, trimardeur céleste de la poésie
José Lenzini
Les Cahiers de l’Égaré