Spleen : huit clos angoissant, tourné lors d’un huit clos angoissant

Spleen : huit clos angoissant, tourné lors d’un huit clos angoissant

Film réalisé, écrit et joué par une seule et même personne pendant le premier confinement, Spleen est une prouesse autant technique qu’artistique. Seul, dans son duplex, Fabien Carrabin raconte l’histoire de Joakim, lui-même isolé du monde et tombant dans le délire suite à l’apparition troublante d’objets. Pas encore en salle, mais bientôt, on l’espère… En attendant, vous pouvez le soutenir : sa campagne de financement participatif se clôture le 21 mai !

« Dès demain, midi, nos déplacements seront très fortement réduits. » C’est sans prononcer le mot confinement qu’Emmanuel Macron annonça le premier d’une longue série en mars dernier. Chacun chez soi, certains mieux lotis que d’autres mais tous se posent alors la même question : comment s’occuper ? Les artistes ne savent pas encore qu’il s’agit du début d’un long supplice pour leur profession. Eux qui vivent de leur métier, comme les autres. Mais aussi pour et par leur métier, plus que les autres. Cette période est l’occasion de se lancer dans un nouveau projet, de retravailler ses précédents ou de mettre en œuvre celui qu’on garde dans un coin de sa tête. Fabien Carrabin, réalisateur de 36 ans, choisit la troisième option. Un film qu’il a déjà plus ou moins écrit et dont il sera scénariste, acteur, réalisateur et monteur. Le confinement lui a seulement donné l’opportunité et le temps de le faire.

Adaptation express

Tourner et jouer un film seul chez soi relève évidemment d’un exploit technique. D’abord, il s’agit de remanier le scénario pour l’adapter aux contraintes actuelles et conceptualiser les éléments qu’il a chez lui. Il affine son équipement : accessoires, projecteurs, disques de stockage et litres de faux sang s’ajoutent au matos pour le son, un ordinateur pour le montage et sa caméra, achetés en amont. Le tournage de Spleen peut débuter. « J’étais tout seul à la caméra, au jeu, à la lumière, au son… C’était un petit peu compliqué », relate-t-il dans une vidéo mise en ligne sur son site. Mais le jeune réalisateur s’adapte. Il achète un mannequin pour cadrer et faire la mise au point. Vient ensuite la performance artistique. Son deuxième défi, car il n’est pas acteur. Il prend conseil auprès de ses amis pour améliorer son jeu, notamment pour les scènes émotionnelles. Le résultat ? Un film de 1h30 qu’il a lui-même monté après le confinement et pour lequel il a pris « beaucoup de plaisir. »

Un personnage sombrant dans la folie

Que ce soit clair : Fabien Carrabin joue un personnage et ne filme en aucun cas son quotidien, bien que l’intégralité du film ait été tournée dans son duplex. L’histoire commence comme cet article : l’annonce du premier confinement. Joakim occupe ses journées comme il peut : sport, activités culturelles et coups de fil à son seul ami, Franck. Jusque-là, rien d’anormal. Mais il se rend rapidement compte que des objets tombent de la bouche de ventilation de sa cuisine. Une pièce de 5 francs, un stylo, pas de quoi l’affoler. Jusqu’au moment où ces objets deviennent intriguants et lui rappellent son passé. Joakim entre alors dans une spirale de réflexion paranoïaque où il ne trouve plus de réponses à ses multiples interrogations. Un délire hallucinatoire où la limite entre rêve et réalité est parfois ténue et qui résulte d’un isolement profond, d’un rapport conflictuel avec ses parents autant qu’à ces simples objets tombés du ciel.

L’esthétique de la solitude

Reconnaitrez-vous dans l’enfer que vit Joakim celui que vous avez vécu lors du premier confinement ? On ne vous le souhaite pas. Les premières images révélées dans la bande-annonce montrent un personnage apeuré, découvrant un à un les objets et sombrant dans ce qui ressemble à de la psychose. La tension monte peu à peu, on y voit des couteaux, du sang… beaucoup de sang. Un long-métrage entre le thriller psychologique et le film noir, à la limite de l’horreur. « J’ai regardé du David Lynch, du David Cronenberg et du John Carpenter pendant le confinement. Spleen se trouve un peu à la croisée de ces films », révèle-t-il au sujet de ses inspirations. Un univers qui oscille donc entre suspense et film d’ambiance, dans un style très graphique et visuel.

Une campagne de crowdfunding pour fignoler

À l’heure actuelle, Spleen est en suspens. Lorsque Fabien Carrabin finit le montage, en y ajoutant des musiques « piquées » sur Internet, il le montre à plusieurs professionnels du monde de l’audiovisuel. Dominic Graziani, co-gérant de la société azuréenne Machina Films, décide alors de l’accompagner dans la post-production : ils s’entourent d’artistes et de techniciens originaires exclusivement des Alpes-Maritimes pour finaliser le projet au niveau sonore (société cannoise HD Sound), musical (dont Sergio Monterisi, compositeur de l’opéra trans-média Peter Pan, joué notamment à Nice et Draguignan en 2019), esthétique… Ils sont tous déjà en train de travailler sur le long-métrage (une scène additionnelle doit par ailleurs être tournée courant mai à Marseille), même si Fabien Carrabin n’a pas encore l’argent nécessaire. Avec Dominic Graziani, ils lancent une campagne de financement participatif sur Kiss Kiss Bank Bank, le but étant de garder une certaine indépendance sans avoir une grosse équipe de production, tout en terminant le film dans les meilleures conditions. Petit bonus : il y aura une contrepartie pour les donneurs. Certains pourront par exemple assister aux avant-premières et à des débats avec l’équipe et le réalisateur. Car évidemment, l’objectif, à long terme, est de voir Spleen sur grand écran.