De l’Art à se mettre concrètement sous la dent

De l’Art à se mettre concrètement sous la dent

Après un long sommeil, la culture se réveille ce mercredi 19 mai pour à nouveau nous étourdir, et tant mieux, elle nous avait manqué. Musées, théâtres et cinémas vont rouvrir, dans le respect des règles sanitaires bien entendu, mais c’est déjà mieux que rien. À cette occasion, direction l’Espace de l’Art Concret (eac.) à Mouans-Sartoux. N’ayant pu célébrer ses trois décennies d’existence comme il se doit en 2020, l’eac. dégaine plusieurs temps forts pour fêter ce qu’il a nommé ses 30+1 ans ! À commencer par ces trois expositions : Vera Molnar, L’Atelier Arcay et Revenir vers le futur.

Leur point commun : minimalisme et géométrie, entre formes linéaires et engagement social. De quoi faire un plein de culture, flâner à nouveau entre les salles, laisser errer sa conscience, lâcher prise, enfin, en ce contexte de pandémie. S’interroger, s’imprégner de la pensée de l’artiste aussi : c’est le cas de l’exposition monographique Pas froid aux yeux de Vera Molnar, que l’on peut suivre comme un parcours initiatique, un sillon autobiographique. Nous sommes amenés à comprendre sa technique, ses influences, et à les recevoir, les intégrer. C’est le but de l’artiste qui entre en fusion avec ses prédécesseurs tels que Mondrian, Malevitch : elle procède à une digestion de la tradition, assurant ainsi une transmission. C’est d’autant plus important dans notre société où le fossé entre ancienne et nouvelle générations ne cesse de se creuser.

Elle vient mêler abstraction et figuration, toujours afin d’aboutir à un art que l’on peut toucher et sentir, dont on ressent la matière, qui ne sombre pas dans la métaphysique insaisissable. Vera Molnar, loin de se soumettre ou de plagier, interroge les anciens pour en arriver à sa propre réflexion esthétique. On le constate dans l’œuvre Écriture de ma mère où il est question de la correspondance entre la mère de Vera restée en Hongrie et Vera elle-même. Ainsi l’intérêt de son œuvre se trouve dans le contact, la transmission, la fusion.

Par ailleurs, son travail s’inscrit dans la géométrie, les mathématiques, le concret. Et c’est justement dans l’intérêt de diffuser et démocratiser l’art concret que le couple Albers-Honegger fonda l’eac en 1990.

Un coup d’oeil dans le rétro…

Les deux collectionneurs affectionnent surtout les œuvres minimalistes et géométriques, un design épuré que l’on retrouve chez Sol LeWitt, Richard Long, Brice Marden. L’exposition-anniversaire Revenir vers le futur, revisite six expositions pionnières de l’eac., qui interrogent chacune le rapport à l’art et sa fonction. Cela fera peut-être écho au visiteur, mais c’est sans compter l’ajout d’œuvres de la collection du marchand d’art visionnaire et passionné Yvon Lambert, qui viennent nous dérouter.

Les motifs se répètent, décalés, alternés. Les lignes et les courbes se croisent, se rencontrent, varient entre souplesse et inflexibilité. Ce jeu des classifications historiques et esthétiques ainsi que la rencontre entre passé et présent confirment l’ambiguïté de l’art concret. Chacune des expositions incarne un art constructif et conceptuel, un dépouillement, une rigueur et une géométrie qui bouleversent les cadres de l’art concret. Par exemple, l’exposition Le Mythe du Monochrome (2010) remet en question la peinture elle-même : est-ce son dernier soupir ou bien une renaissance ? Deux monochromes identiques sont-ils les mêmes ? C’est justement le but de l’eac. que de susciter un questionnement, un étonnement.

C’est pourquoi la troisième exposition Passage… rend hommage à l’Atelier Arcay ainsi qu’à une génération d’artistes dont le travail conceptuel nous laisse intrigués. Wifredo Arcay est un artiste post-cubiste du Paris des années 50 dans lequel il côtoiera l’avant-garde de l’époque : Fernand Léger, Jean Arp, Sonia Delaunay. Il s’initiera à la sérigraphie, un art ancien qui fonctionne comme la technique du pochoir, mais sur des supports variés et infinis. L’exposition propose une vision rétrospective de l’atelier, mais aussi des travaux plus contemporains afin de faire pont entre passé et présent, réconcilier la tradition et la nouveauté. Dès ce 19 mai 2021, l’Espace de l’Art Concret nous propose de déchiffrer les messages codés de l’art concret, numérique, quantifiable et contrôlable. À la fois mécanique et fluide, relâché, libre, déconstruit.

Vera Molnar : jusqu’au 12 sept 2021 / Revenir vers le futur : jusqu’au 3 avr 2022 / L’Atelier Arcay : jusqu’au 20 juin 2021. Espace de l’Art Concret, Mouans-Sartoux. Rens : espacedelartconcret.fr

Légendes : photos 1 (Geneviève Claisse, Album « H », 1970, 9 sérigraphies sur papier fort, 68 × 68 cm, Éditions Galerie Denise René, Paris. Collection Arcay, Paris / Jesús Rafael Soto,Maquette demi-sphère noire et verte, 1995 acier corde à piano peinte, socle plexiglas blanc, 63 × 63 × 33 cm, Éditions Galerie Denise René, Paris. Collection Arcay, Paris / Jesús Rafael Soto, Album Vibrations, 1969, 8 sérigraphies — 3 présentées, 68 × 51 cm, Éditions Galerie Denise René, Paris. Collection Arcay, Paris © photo eac. © Adagp, Paris 2021 ), photo 2 (Vera Molnar, Orthogonal — « À Gottfried, une fête verte pour tes yeux », 2021 (En référence à la citation de Renoir la peinture doit être une fête pour les yeux), Peinture acrylique fluorescente au mur — 220 x 170 cm, réalisée in situ à partir du dessin original Orthogonal, 2011-2013 (Dessin sur rouleau de papier informatique perforé. Encre, graphite et correcteur blanc sur papier quadrillé perforé. Format 27 x 200 cm. Inv FNAC 2014-0191.), Centre national des arts plastiques, Paris © photo François Fernandez © Adagp, Paris 2021), photo 3 (Fritz Glarner, Tondo 1965-1972, 1982 (dépôt de M. Honegger , donation en cours auprès du Cnap) / Marcel Breuer, B3 Wassily, 1925 FNAC 02-1142 Centre national des arts plastiques, Espace de l’Art Concret — Donation Albers-Honegger © photo eac.), photo 4 (Olivier Filippi, Guruguru (01, 02, 03, 04, 05), 2019, 5 sérigraphies sur papier, chaque 96 x 67 cm — tirage en 7 exemplaires Éditions Arcay, Paris. Collection Arcay, Paris / Victor Vasarely, Album Vega, 1971, 8 sérigraphies — 4 présentées, 77,5 × 67,5 cm, Éditions Galerie Denise René, Paris. Collection Arcay, Paris / François Curlet, EBAY, 2007, sérigraphie sur papier, 120 x 200 cm Éditeurs Galerie Air de Paris, Paris — Galerie Micheline Szwajcer, Anvers Collection Arcay, Paris © photo eac. © Adagp, Paris 2021)