À la croisée de la nature et de la science

À la croisée de la nature et de la science

C’est le thème de Tout l’Art du Cinéma, saison 18, à Monaco. Une saison très riche où seront célébrés les 100 ans de la disparition du Prince Albert 1er, surnommé « le Prince savant ». Il était bien plus que cela ! L’Institut Audiovisuel de Monaco ouvre par ailleurs les portes de ses nouveaux locaux au public avec une offre unique pour tous les amateurs et futurs cinéphiles. Rencontre avec Vincent Vatrican, son directeur et fondateur passionné.

Tout l’art du cinéma, c’est avant tout votre passion ?

C’est ma passion, et c’est aussi une partie de ma vie, puisque j’ai commencé par faire des études d’histoire avant celles de cinéma. Dans le cadre de l’Institut audiovisuel de Monaco, que j’ai créé il y a plus de 20 ans, mon ambition était aussi, parallèlement au travail de fond qui vise à constituer une mémoire cinématographique et audiovisuelle de Monaco, de pouvoir proposer au public des films d’art et d’essai de qualité, de tout pays, de tout continent, toute époque et tout style.

Un personnage important et extraordinaire a guidé certains de vos choix cette année…

Oui, le prince Albert 1er, qui nous a quitté il y a un siècle et que Monaco va célébrer toute l’année en 2022. On a coutume de l’appeler « le Prince savant », connu pour être le propagateur de l’Océanographie. Mais c’était aussi un sportif, un personnage qu’on dirait aujourd’hui adepte des nouvelles technologies, un homme qui a beaucoup œuvré pour éviter le premier conflit mondial, et on le sait défenseur de Dreyfus… Il fut un personnage très actif dans plein de domaines, ce qui nous a poussé à vouloir lui rendre hommage de multiples façons.

En ce moment, nous imaginons un cabinet de curiosités entièrement consacré au Prince, pionnier de la photographie, du cinéma et de l’enregistrement sonore. Il avait fait l’acquisition d’une caméra en 1897, très peu de temps après la première projection publique du cinématographe. Pour lui, posséder une caméra, c’était pouvoir témoigner de ses expériences pendant ses expéditions, dans l’optique de les restituer lors des conférences qu’il a donné à travers toute l’Europe (une partie de ses films et actualités de l’époque a pu être sauvegardée par l’Institut audiovisuel de Monaco). Il a aussi fait des tests avec un phonographe Edison dont on a conservé et sauvegardé une partie des calibres de cire. C’est ainsi qu’on enregistrait au tout début de cette invention des pièces musicales, des voix, des poèmes récités. C’est tout cela que l’on va essayer de faire vibrer dans ce cabinet de curiosités.

Parlez-nous de cette saison particulière…

J’ai souhaité qu’elle soit articulée autour d’un programme baptisé À la croisée de la Science et de la Nature, en essayant là encore d’évoquer la mémoire du Prince Albert 1er, même si le challenge est compliqué… Ce sont des films plutôt à vocation historique qui recontextualisent, comme l’affaire Dreyfus que le Prince a bien connu et pour laquelle il s’était engagé (J’accuse de Roman Polanski), l’histoire de Buffalo Bill que le Prince a rencontré aux Etats-Unis en 1913 (Une aventure de Buffalo Bill de Cecil B. DeMille), ou bien des films qui font de l’engagement pour la préservation de la nature et des océans une vertu cardinale comme elle l’était pour le Prince. Je pourrais citer Rêves de Kurosawa, qui raconte un monde que l’Homme a beaucoup dégradé, et en même temps développe un rêve un peu idéaliste sur la planète dès lors que l’homme arrive à se conjuguer avec la nature, ou L’homme que j’ai tué d’Ernst Lubitsch qui évoque le remords d’un soldat français pendant la grande guerre qui va aller visiter la famille du soldat allemand qu’il a tué… Ces films n’ont pas forcément un lien direct avec le Prince, mais leurs propos rappellent certains de ses combats.

Et s’il fallait citer vos coups de cœur ?

J’aime beaucoup Les adieux à Matiora, film russe d’Elem Klimov, qui raconte l’histoire d’un petit village reculé de la campagne russe dont les habitants apprennent qu’il va en fait disparaitre en raison de la montée des eaux provoquée par l’installation d’une usine électrique. On accompagne les derniers jours de ces villageois dont certains acceptent l’exil, d’autres pas. Le film est puissant dans la force et la vision de cette Russie profonde et éternelle, et d’une furieuse actualité. Le message qu’il véhicule fonctionne toujours aujourd’hui à l’heure de grandes catastrophes écologiques de par le monde. J’aime aussi beaucoup Nanouk l’esquimau qui date de 1922, année de la disparition du Prince Albert 1er. Un film tourné dans le Grand Nord qui raconte et reconstitue les us et coutumes des Inuits, esquimaux à l’époque. C’est un film magnifique, ancêtre du documentaire. La copie restaurée sera accompagnée par une création musicale en direct dans la salle qui promet d’être un grand moment dans notre saison.

Il y a bien sûr tous les autres labels de la saison qui sont reconduits, un focus en particulier ?

Cette année, on innove avec l’Alliance française de Monaco. Ce sera Partie de campagne de Jean Renoir, film sublimissime, en version restaurée, dont on sait qu’il a été tourné en 1936, mais pour différentes raisons, et notamment climatiques, le tournage a dû s’arrêter et ne sera finalement monté que 10 ans plus tard. C’est un moyen-métrage de 40 minutes qu’on va présenter suivi d’une conférence d’Olivier Curchot, historien du cinéma spécialiste de Renoir. Il viendra expliquer ce film, ses inspirations (Maupassant, Prévert…), et raconter l’histoire de ce tournage catastrophique. Mais un film qui sortira malgré tout et dont beaucoup disent qu’il est la quintessence même de l’œuvre de Renoir. Autre rendez-vous : la masterclass développée avec la Fondation Prince Pierre. En 2020, nous avions invité Arnaud Despleschin, cette année, c’est Mia Hansen-Love, cinéaste présente à Cannes avec son film Bergman Island. Elle nous parlera de son travail : comment fait-on un plan ? Comment l’articule-t-on avec un autre ? Comment décide-t-on de dire Coupez ou Moteur ? Avec force exemples et extraits de films.

Parlons enfin du bâtiment qui accueille depuis peu l’Institut audiovisuel de Monaco. Il était très attendu !

Pour nous, ce fut une grande aventure et on est très content du résultat, même si on a beaucoup transpiré (rire). On a intégré ce bâtiment en 2018, après 4/5 ans de travaux et discussions, pour que les espaces correspondent le mieux possible à nos intentions et surtout à des paramètres de sécurité, climatiques aussi, pour la conservation des documents… Désormais doté d’un data center, toutes nos données sont conservées et backupées 24/24h, avec des réserves sous nos pieds dans un abri de conservation aux normes internationales. Tout est regroupé dans un seul lieu. Dans le process de traitement des archives, il y a vraiment un continuum, et pour nous, c’est une grande avancée. On a gagné en efficacité et en professionnalisme. Donc, voilà, ce n’est que du bonheur ! On est 16 personnes à temps complet, parfois épaulées par un ou deux stagiaires. Car c’est un autre souhait : donner le gout de l’archive et de la recherche aux jeunes ; on espère voir un jour des stagiaires titulaires d’un master ou techniciens de l’audiovisuel venir intégrer la structure !

L’optique était de pouvoir développer certaines activités et missions qu’on ne pouvait pas jusqu’à présent assurer, notamment l’accueil du public. Pendant 20 ans, on a travaillé à la constitution d’un fond, à la sauvegarde des documents. A présent, ils vont enfin être rendus publics avec des espaces spécifiques ouverts.

AUTOUR DU PRINCE ALBERT 1ER
Octobre 2021
: la Galerie des Pêcheurs accueille l’exposition Albert 1er intime, 28 clichés dont la plupart inédits qui retracent à la fois la vie et l’œuvre de ce personnage extraordinaire qui fit entrer Monaco dans la modernité.
En préparation pour 2022 : un atelier et une exposition autour de la mémoire du Prince.
9 juillet 2022 : une ciné-conférence dans la cour d’honneur du Palais dévoilera les facettes les moins connues du Prince Albert 1er, capitaine des bateaux et expéditions des campagnes océanographiques qu’il a conduit sur toutes les mers du globe, mais aussi prince sportif qui s’intéressait au développement des sports nautiques et automobiles.

DES LOCAUX OUVERTS AU PUBLIC
Bénéficiant de trois plateaux de 450 m2, l’Institut Audiovisuel de Monaco a vocation à transmettre son patrimoine et animer des ateliers pédagogiques en direction des élèves des écoles de la Principauté. Désormais ouvert au public, avec visites guidées possibles, il comprend plusieurs salles.
Une salle de consultation : bibliothèque spécialisée de cinéma équipée de postes informatiques. On peut venir, sur inscription, consulter les collections qui ont été sauvegardées, numérisées. Une personne se charge en amont de préparer cette visite, car la somme de documents est vertigineuse !
Une petite salle de projection : un cadre intimiste (35 places) destiné à la fois à des ateliers en direction du public scolaire, et au grand public féru de cinéma plus alternatif – documentaires, films à base d’archives, essais… Rendez-vous en octobre : le 16, avec la projection de November Days de Marcel Ophuls, un retour sur la liesse populaire lors de la chute du Mur et la vox populi qui suivit, animée par Dominique Bosquelle, spécialiste de l’histoire allemande contemporaine et de l’histoire culturelle franco-allemande ; et du 28 au 30 octobre, pour un stage composé de l’atelier Expérimenter le cinéma (même sans caméra) et de la projection du film Les aventures du Prince Ahmed de Lotte Reiniger.
Un cabinet de curiosités : situé dans l’entrée de l’Institut, conçu comme une sorte de vitrine en plusieurs dimensions, où les documents dialoguent les uns avec les autres. Actuellement, on peut y voir une exposition autour de l’histoire des techniques d’enregistrement photo/son/cinéma, qui montre aussi l’activité multimé-dia de la Principauté de Monaco au travers de clubs de cinéma amateur, et des médias TMC et RMC.

(photo Une : Rêves, 1990 – Kurosawa, Akira (1910-1998, )Akira Kurasawa Inc. © Warner Bros. Coll. IAM)

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