Ballet Nice Méditerranée : dense matière

Ballet Nice Méditerranée : dense matière

Sous l’impulsion d’Eric Vu-An, le Ballet Nice Méditerranée donne une nouvelle dimension à son répertoire, pour sa saison automnale : le programme Black Dances Matter met l’accent sur l’apport de l’identité noire dans la création chorégraphique.

Les danseurs du Ballet Nice Méditerranée s’apprêtent à fouler de nouveau la scène de l’Opéra de Nice, même si ces derniers mois le public a déjà eu l’occasion de les retrouver lors de rendez-vous ponctuels, notamment au Théâtre de Verdure. Pour Eric Vu-An, directeur artistique du Ballet, ce que nous avons vécu ces derniers temps a incontestablement laissé son empreinte, mais a également donné du temps à la réflexion. C’est ainsi qu’est née l’idée de Black Dances Matter afin de rappeler que « la danse noire et les artistes de couleur ont pollinisé la danse classique et néo-classique. Certaines œuvres sont des témoins marquants. La danse les a absorbées puis les a mises de côté. Aujourd’hui, je veux lutter contre cette amnésie. Le talent indiscutable de certains chorégraphes doit être montré. » Les exemples sont nombreux à travers l’histoire de l’art chorégraphique de ces dernières décennies, comme le démontrera le programme qu’il a imaginé et qui s’articule autour de quatre pièces.

Bousculer les habitudes…

Chacune des pièces présentées a sa propre histoire et trouve sa force dans l’histoire personnelle d’Eric Vu-An. Il a souhaité bousculer les habitudes, oser des mélanges. Après Eden, un prélude teinté de blanc qui s’inspire de l’histoire d’Orphée et Eurydice sur la musique de Gluck (mais pas seulement), le spectateur plongera dans l’univers noir de Chaka, roi des Zoulous. Le chorégraphe a choisi des extraits de cette œuvre imaginée par Maurice Béjart à l’occasion des commémorations du Bicentenaire de la Révolution Française qui toutefois n’a pas réussi à vaincre l’esclavage. Black dances matter ? Pleinement, puisque Maurice Béjart souhaitait souligner ses origines africaines par sa grand-mère sénégalaise, le poussant même à créer l’école Mudra-Afrique à Dakar. Pour Eric Vu-An, c’est également un ballet puissant d’autant qu’il fait partie des sept créations que Maurice Béjart a chorégraphiées pour lui. Dans la version qu’il propose, il met en avant le roi Chaka, fondateur du royaume Zoulou, le visage recouvert d’un maquillage guerrier, à la tête d’une armée de corps aux différentes origines. Dès sa conception, Chaka a mis en avant la complexité du métissage. Aujourd’hui, au-delà du combat d’intégration d’un peuple porté par ce personnage, on peut y voir « le combat de ceux qui partagent vos idéaux. La couleur n’est plus la seule façon de revendiquer le droit d’exister« . Sur des textes de Léopold Sédar Senghor, Chaka est une ode à la liberté.
Viendra ensuite, Le Ballet de Faust qu’Eric Vu-An créa en 2018. « Rappelons-nous que pendant longtemps la représentation du diable était noire pour le peuple blanc (et inversement d’ailleurs !)« . Pour le chorégraphe, « il faut dépasser les a priori, aller plus loin pour aider le mieux-vivre ensemble, la tolérance… faire face aussi à une sorte d’obscurantisme qui s’est parfois accentuée pendant la pandémie« . Le Ballet de Faust est donc la réponse qui vise à abolir toutes les différences par le seul pouvoir de la danse, qui ignore la couleur. Un discours qui a tout son sens pour le chorégraphe qui réunit des origines européennes, vietnamiennes et africaines.

…et oser les mélanges

Après un entracte, la seconde partie plongera le spectateur au plus profond de la Black Dances Matter. Dwight Rhoden qui a monté Verse us pour le Ballet Nice Méditerranée est un chorégraphe américain installé à New York. À la tête de la Complexions Dance Company depuis 1994, il est reconnu comme l’un des chorégraphes actuels les plus novateurs et multiplie les créations pour des compagnies du monde entier. « Il est le lien avec le monde d’aujourd’hui« , reconnaît Eric Vu-An. Effectivement, Dwight Rhoden, ancien danseur de la compagnie d’Alvin Ailey, parvient à travers un savant dosage à unir l’exigence de la technique classique à la physicalité moderne, parsemant le tout de touches espiègles. Pour le final, sont conviés sur scène Duke Ellington pour la musique et Alvin Ailey pour la chorégraphie. Leur esprit bien sûr. Ou plutôt l’immense héritage qu’ils nous ont laissé. Les créatures noctambules sont de sortie : elles sont fascinantes, envoûtantes. Night Creature nous plonge au cœur de la nuit new-yorkaise, dans sa version glamour et festive. On assiste à une véritable explosion de couleurs et de mouvements, de rythmes et de fantaisie qui rassemblent le public dans un moment de bonheur partagé. C’est un privilège que l’on apprécie d’autant plus lorsque l’on sait que le Ballet Nice Méditerranée est la seule compagnie en France à avoir un ballet d’Alvin Ailey inscrit à son répertoire. Sûrement pas tout à fait un hasard : lorsqu’en 1983 Alvin Ailey se rend à l’Opéra de Paris pour y créer Au bord du précipice, il y rencontre un danseur du nom d’Eric Vu-An… Admiratif de son talent, il lui propose de rejoindre la compagnie et de partir aux États-Unis. Mais pour le jeune danseur, il reste encore trop de choses à faire en Europe : « Moi, je voulais danser Le lac des cygnes ».

15 au 21 oct, Opéra de Nice. Rens: opera-nice.org

(photo : Chaka © Enrico Nobile)