
21 Oct Les différents féminismes méditerranéens
La franco-tunisienne journaliste et autrice engagée Fawzia Zouari s’estime extrêmement chanceuse . Adolescente, elle n’a pas été mariée de force, a pu aller à l’école contrairement à ses sœurs, étudier à l’Université de Tunis et s’installer à Paris pour décrocher un doctorat à la Sorbonne en littérature française comparée. Fawzia travaille durant 10 ans à l’Institut du monde arabe, devient rédactrice pour le magazine Qantara puis à l’hebdomadaire Jeune Afrique en 1996. Elle publie plusieurs romans sur la thématique de la femme maghrébine, fait une réponse à la rappeuse Diam’s dans son ouvrage Je ne suis pas Diam’s, décroche la distinction littéraire, le Comar d’or, pour son roman, La deuxième épouse, et obtient en 2016 le Prix des cinq continents de la Francophonie pour son livre, Le corps de ma mère, où elle raconte avoir découvert la chevelure de sa mère, sa nuque, sa gorge le jour de sa mort, celle-ci ayant passé sa vie voilée.
Fawzia s’est toujours jurée de ne jamais se voiler ni la tête ni la face. Musulmane, elle est mariée à un Français, a des enfants et ne renie en rien ses origines. Aujourd’hui, elle se dédie à l’écriture et à son combat pour le droit des femmes. Fawzia Zouari se livrera sur le thème des féminismes méditerranéens vendredi 22 octobre à 18h30 à la Médiathèque de Monaco dans le cadre du programme Cultur’Elles.
En quoi sont-ils différents de ceux de l’Europe ou des autres pays occidentaux ? Pourquoi parlez-vous des féminismes au pluriel ?
Au XIXème siècle, il n’y avait qu’un seul et unique féminisme peu importait où ce combat était tenu. Après les mouvements des années 60, on a assisté à différents types de féminismes notamment depuis la conférence de Pékin de 1995 (*) qui défendait une cause féministe dans un concept traditionaliste, religieux et culturaliste. Je me suis questionnée : Où vais-je me reconnaître ? Étant Tunisienne, je lutte pour les droits des femmes autour du bassin méditerranéen en tant qu’espace géographique et non politico-religieux car pour moi, le féminisme doit revenir à sa source, il est universel et doit s’inspirer des grandes figures de l’histoire de la Méditerranée et allier la conception du féminin aux droits des femmes. Nous ne sommes pas en lutte contre les hommes. Je ne veux pas défendre un modèle particulier de féminisme, je m’inscris dans un féminisme avec un grand F, c’est-à-dire un féminisme universel. Tous ces types de féminisme ne font que nous éloigner de la réelle cause de nos droits. C’est ce que j’explique dans mon livre Pour un Féminisme méditerranéen.
Peut-on être féministe et musulmane ?
Oui, on peut être féministe et musulmane laïque dans le sens culturel. On ne peut pas se revendiquer féministe et musulmane pratiquante et encore moins féministe islamiste. Une femme qui porte le voile et qui se visualise féministe est une forme d’imposture. Le port du voile est un signe de soumission, on accepte les règles imposées par l’homme, de ne pas apparaître dans l’espace public si on n’est pas voilée ou sans tuteur. Pour ces femmes soumises, on naît femme et on restera femme. Elles pensent que la soumission au féminin est transmise génétiquement, et il s’agit de s’en libérer. Il faut donc le double d’effort pour s’en émanciper. L’islam est une culture. Il est nécessaire de séparer la religion de la pratique publique, de la vie temporelle, c’est-à-dire qu’on doit se comporter en tant que citoyenne, sans signe extérieur religieux et à la maison on fait ce que l’on veut.
10 ans après le printemps arabe, peut-on parler d’avancées positives pour la condition des femmes du Maghreb ?
Le printemps arabe est né en Tunisie de revendications contre le pouvoir politique de l’époque et notamment contre la corruption De nombreuses femmes sont descendues dans la rue pour revendiquer l’égalité et la dignité aux cotés des hommes. Aujourd’hui, nous assistons à une débâcle politique, une économie en ruine, un taux de chômage qui explose et une montée en puissance des islamistes qui se sont installés dans les rouages de notre pays. Ce n’est pas pour rien que les Tunisiens comptent parmi les clandestins les plus nombreux. Beaucoup sont partis grossir les rangs de Daesh et des jeunes filles sont en Syrie pour le Jihad sexuel. Il faut être désespéré pour en arriver là.
Cette révolte populaire n’a pas conforté nos acquis mais les a remis en question. Heureusement, Nous, filles de Bourguiba (*), avons un héritage, une transmission d’égalité grâce à la Loi qui nous protège. Nous avons 50 à 60 ans de liberté. Ma génération a été instruite, nous travaillons et nous occupons des postes de pouvoir. Les islamistes ont conscience qu’ils ne pourront pas agir de la même façon comme ils le font en Libye par exemple. Néanmoins, les mentalités se sont islamisées en 10 ans avec des questions qui reviennent sur le devant de la scène comme l’avortement, la polygamie, le travail des femmes ou le planning familial. La révolution arabe a fait reculer nos droits dans certains pays du Maghreb à cause des islamistes et de la misère économique. Ils ont fabriqué une société de plus en plus ancrée dans l’Islam. Pour moi, la révolution arabe est un échec.
Je reste cependant positive pour l’avenir grâce aux militant.es, aux réseaux sociaux, aux jeunes générations même si revendiquer n’est pas leur priorité actuellement. Et surtout les mentalités n’ont pas été islamisées comme dans d’autres pays. Les Tunisiennes détiennent un taux d’instruction élevé et nous le devons à notre héritage. La vraie révolution doit séparer le religieux du politique. Elle doit être laïque.
Quel est le thème votre prochain livre ?
J’aborde mon enfance depuis ma naissance jusqu’à mes 12 ans. Par le fil je t’ai cousue sortira en janvier 2022 chez Plon. Je raconte la génération de ma mère qui n’est jamais allée à l’école et ma génération sous Bourguiba. Comment une petite fille a grandi dans un contexte arabo-musulman dans des années où rien n’était encore garanti pour les femmes.
Médiathèque Louis Notari 8, rue Louis Notari à Monaco – Entrée libre – Réservation : mediatheque@mairie.mc Programme : www.mediatheque.mc
Vendredi 22 octobre à 18h30. Conférence sur les féminismes méditerranéens par Fawzia Zouari. Durée : 1h30 Masque obligatoire. Dans le cadre de la « Programmation Cultur’Elles » à Monaco
(*) La conférence de Pékin de 1995 a ouvert un nouveau chapitre dans la lutte pour l’égalité entre les sexes avec l’adoption d’une déclaration et d’un programme d’action fixant 12 objectifs stratégiques pour faire progresser les droits des femmes que tous les États membres se sont engagés à traduire dans des politiques nationales.
(*) Habib Bourguiba (1903-2000) : homme politique qui a œuvré pour l’indépendance de la Tunisie et l’émancipation des femmes.