Espace libéré

Espace libéré

L’art est ce récit que l’humanité s’est construit, mais que le temps façonne autant que son espace s’ouvre encore à de nouveaux horizons. Et les œuvres présentées actuellement à l’Espace de l’Art Concret (eac.), en hommage à Sybil Albers, co-fondatrice et donatrice du lieu, s’accordent avec cette expérimentation sans relâche qui reformule constamment la définition de l’art et ses frontières mouvantes.

Gottfried Honneger fut cet artiste qui explora cet espace en le saisissant dans la formulation même de son origine : le plein et le vide, la lumière et la non-couleur, aussi bien que l’infini des sensations liées à la matière. Telle est l’aventure de cette abstraction géométrique que Sybil Albers collectionna pendant plus de 30 ans au côté de Gottfried Honneger.

Ines Bauer, fille de Sybil, présente aujourd’hui une cinquantaine d’artistes et nombre de documents et de livres liés à cette histoire dans l’exposition Espace Libéré, qui se déploie sur plusieurs sites d’exposition : la galerie du château, le niveau -1 de la donation et le parc du château. Entre minimalisme, art conceptuel et recherches issues du suprématisme russe, l’Art Concret se développa sur un spectre très large d’innovations plastiques en relation à la matérialité de l’œuvre et non plus à la représentation du monde. Plans, couleurs et formes produisent des apparences dont il convient d’extraire librement de la spiritualité ou, à l’inverse, d’autres lignes de fuite vers la conquête du réel.

Parmi les centaines de pièces conservées par l’eac. qui fête son 30e anniversaire +1, Ines Bauer a choisi une sélection d’œuvres radicales, souvent monochromes, en les confrontant à d’autres artistes de la collection de sa mère, tels que Henri Michaux, César ou Ben. Et là où l’on aurait pu craindre de laborieux développements théoriques pour une visibilité austère, c’est au contraire toute une gamme créatrice qui se déploie. Riches en couleurs, ou bien recueillies dans l’absolu d’un dépouillement, audacieuses dans le choix des matériaux, parfois empreintes d’une sévérité malicieuse, les œuvres choisies interprètent ce que nous ignorions de notre regard. À cet égard, les travaux d’Aurélie Nemours ou de Marcelle Cahn furent ceux qui façonnèrent l’œil de Sybil Albers et la conduisirent vers d’autres approches du réel pour s’ouvrir à des utopies pour de nouvelles aventures de l’art.

Des œuvres de sa collection personnelle, celles de James Hide ou Verena Loewensberg fournissent un éclairage inédit sur cette démarche parfois déroutante, mais toujours passionnante par les découvertes qu’elle engendre. Ainsi, un tapis de Franz West permet une autre lecture de l’artiste autrichien, tandis qu’une production lumineuse de Michel Verjux s’inscrit dans la réalité architecturale du lieu. C’est aussi dans cet esprit in situ qu’Ernst Caramelle modifie notre perception de l’espace par le jeu de pigments colorés sur le corps du mur. L’art vivant, au détour d’une logique facétieuse et du tremblement du sens, continue alors à vibrer au cœur même de ce miroir qui renvoie toutes les ombres et les étincelles de notre société.

Jusqu’au 20 fév 2022, Espace de l’Art Concret, Mouans-Sartoux. Rens: espacedelartconcret.fr

(photo : Serge Lemoine, Sans titre, 2008, Collection Sybil Albers © droits réservés)