« Aujourd’hui, on sait que les hommes ne naissent pas prédisposés à peindre des batailles et les femmes, des fleurs »

« Aujourd’hui, on sait que les hommes ne naissent pas prédisposés à peindre des batailles et les femmes, des fleurs »

Margaux Brugvin n’est pas qu’une jeune femme passionnante et passionnée. Elle est avant tout une militante féministe qui lutte pour que les femmes soient visibles et reconnues en tant qu’artistes. Son engagement est né d’un constat affligeant : pendant ses 5 années d’études à l’École du Louvre, elle n’a jamais étudié une seule artiste femme. À l’époque, elle pensait que c’était parce qu’il n’y en avait pas eu. En réalité, ces artistes femmes ont non seulement toujours été présentes, mais certaines ont été très connues et reconnues de leur temps. Seulement, elles ont été systématiquement effacées de l’histoire de l’art par la suite.

Margaux Brugvin sera le lundi 8 novembre 2021 à 18h30 à la Médiathèque de Monaco, dans le cadre du programme Cultur’Elles pour une conférence sur le thème Se définir soi-même : Les femmes vues par les artistes femmes. Elle se livre à la Strada.

Peut-on dire qu’il existe-t-il un art masculin et un art féminin ?

Pendant des siècles on a pensé que c’était le cas. Par exemple, pour ce qui est de la peinture, on pensait les hommes naturellement capables de produire des compositions complexes, de retranscrire des valeurs morales à travers l’art, de faire montre de puissance et d’intelligence dans leur coup de pinceau : à eux la peinture d’Histoire, religieuse ou mythologique… Il y a de nombreux textes, jusqu’à la fin du XIXe siècle, qui affirment que les femmes en revanche n’ont pas cette capacité d’abstraction et d’invention. Cependant elles sont considérées comme naturellement observatrices, patientes, méticuleuses et délicates. Certains genres étaient donc considérés comme plus accessibles pour elles selon ces présupposés. La nature morte, par exemple, présentait un double avantage : il suffisait de recopier méticuleusement ce qu’on avait devant soit sans rien inventer, et puis, par ailleurs, on n’avait pas besoin de sortir du foyer pour pratiquer ce genre, ce qui était très important puisque, comme Rousseau le disait « toute femme qui se montre se déshonore. »

Aujourd’hui on sait que les hommes ne naissent pas prédisposés à peindre des batailles et les femmes des fleurs. S’il y a des différences entre l’art féminin et masculin, elles sont liées au conditionnement social de leur auteur ou autrice et aux circonstances dans lesquelles l’artiste pouvait créer.

De manière générale, existe-t-il beaucoup de représentations de femmes par des femmes ?

Il en existe énormément, et ce depuis toujours. Certaines paléontologues ont même émis l’hypothèse que les Vénus paléolithiques, ces représentations de femmes au ventre et à la poitrine disproportionnés qui sont parmi les plus anciennes formes d’art qui nous sont parvenues, pourraient en fait être des autoportraits réalisés par des femmes.

Les artistes actives au XVIe et au XVIIe siècle ont également peint de nombreux autoportraits pour affirmer leur statut de créatrice, et cette tradition de l’autoportrait de femme au travail a continué jusqu’au XXe siècle. Artemisia Gentileschi, grande peintresse du XVIIe, prêtait ses traits à de nombreux personnages de ses tableaux. Elle ne peignait quasiment que des femmes, on pense que ses commanditaires appréciaient particulièrement l’idée qu’une femme forte peigne des représentations de figures mythologiques fortes. Au XVIIIe et XIXe, on pensait également que les femmes pouvaient se montrer plus habiles que les hommes à représenter la psychologie des modèles féminins, puisqu’il y avait cette idée que les hommes et les femmes étaient fondamentalement différent.es et ne pouvaient pas se comprendre. Il y a eu des femmes portraitistes très reconnues, comme Elisabeth Vigée-Lebrun, peintresse favorite de Marie-Antoinette.

Enfin, pendant la 2e partie du XIXe siècle, les artistes ont commencé à se détourner de la peinture d’histoire pour peindre leur quotidien. Les hommes ont peint les gares, les rues de Paris, les salles de spectacles. Les femmes, elles, n’avaient pas la possibilité de flâner seules dans les lieux publics, elles ont donc peint leur foyer et les activités qui occupaient les femmes qui les entouraient. Mary Cassatt, par exemple, a énormément représenté la maternité.

Quels sont les thèmes généralement abordés par les femmes artistes ? 

Les artistes femmes ont toujours lutté pour pouvoir traiter les mêmes sujets que les hommes, tout en devant s’assurer de ne pas ternir leur réputation. Il leur était difficile d’accéder à la peinture d’Histoire par exemple, puisqu’il fallait avoir des notions d’anatomie pour peindre des figures en pied et qu’il était hors de question pour une femme d’étudier le modèle vivant. Ce n’était pas convenable. Elles ont donc davantage peint des scènes d’intérieur, des portraits et des natures mortes, pas par choix, mais parce qu’elles étaient empêchées d’accéder aux genres les plus prestigieux.  À partir de la fin du XIXe et surtout au XXe siècle, de plus en plus d’artistes ont représenté leur condition et ont lutté à travers leur art pour renouveler les représentations traditionnelles des femmes et revendiquer une plus grande autonomie.

Pourquoi dites-vous : Se définir soi-même ? Était-il si difficile pour une artiste d’être reconnue ?

L’immense majorité des artistes étaient des hommes jusqu’au XXe siècle, et ils créaient des œuvres pour d’autres hommes. Les représentations de femmes étaient donc empreintes de ce regard masculin sur les femmes et, il faut le dire, elles étaient souvent réduites à un stéréotype – grossièrement, la mère protectrice ou la tentatrice dangereuse. Il est intéressant de voir comment les femmes ont traité certains thèmes qui les concernent de façon différente des hommes. Je pense à Artemisia Gentileschi par exemple, qui représente l’histoire biblique sordide de Suzanne au bain, harcelée et menacée par deux vieillards. Tandis que cet épisode de la bible est souvent utilisé comme prétexte pour représenter une femme nue par les artistes masculins, Artemisia, elle, montre une femme agressée. À partir du XIXe et du XXe siècle, à mesure que les femmes ont investi les Beaux-Arts, elles ont largement contribué à renouveler les représentations traditionnelles des femmes, pour donner des définitions multiples, plus complexes et subtiles de ce que veut dire être une femme et de ce qu’est l’identité féminine.

Vous avez lancé une chaîne sur Instagram lors du 1er confinement pour parler du travail de ces oubliées de l’art…

J’ai choisi Instagram parce que c’est le réseau que je fréquente le plus et avec lequel je suis le plus à l’aise. 50% des personnes qui me suivent sont dans ma tranche d’âge : 25-35. Cependant, j’ai autant d’abonnés et abonnées dans la tranche 15-25 que 45-55 ou 55-65 ! Mon objectif est de trouver un ton qui convienne à tout le monde, qu’on soit spécialiste ou qu’on ne connaisse rien à l’art, qu’on ait 15 ou 85 ans !

Quel est votre parcours depuis votre master à l’École du Louvre ?

J’ai travaillé 4 ans dans l’art contemporain, avant de dévier vers la communication digitale. Aujourd’hui j’ai trouvé une façon d’allier mes compétences et mes passions.

Retrouver les vidéos de Margaux Brugvin sur instagram : @margauxbrugvin / Conférence Se définir soi-même : Les femmes vues par les artistes femmes (dans le cadre du programme Cultur’Elles) : 8 nov 18h30, Médiathèque Louis Notari, Monaco. Rens: mediatheque.mc