Les femmes dans les orchestres, un milieu encore très masculin

Les femmes dans les orchestres, un milieu encore très masculin

Dans sa programmation Cultur’Elles, la médiathèque de Monaco reçoit le musicologue, auteur et critique musical, Christian Merlin, ce jeudi 11 novembre à 18h30, pour aborder les femmes oubliées dans l’histoire de la musique.

Les femmes dans les orchestres : s’agit-il de musiciennes, de compositrices ou de cheffes d’orchestre ?

Au départ, mon intention était de traiter exclusivement des instrumentistes d’orchestre. Le monde de l’orchestre symphonique a en effet longtemps été un univers très masculin, et certains des plus grands orchestres se sont ouverts très tard au recrutement féminin. Le Philharmonique de Berlin, fondé en 1882, a engagé sa première femme un siècle après, en 1982, et le Philharmonique de Vienne, fondé en 1842, a titularisé sa première musicienne en… 1997 ! Même à l’Opéra de Paris, fondé sous Louis XIV, la première violoniste entre en 1974. J’essaierai d’étudier comment les choses ont évolué : où, quels sont les pupitres qui ont mis le plus de temps à se féminiser, et quelles situations parfois cocasses il a fallu affronter (comme la première flûtiste recrutée au Boston Symphony Orchestra après-guerre et qui n’avait pas d’endroit pour se changer puisqu’il n’y avait qu’un vestiaire collectif) ? Cela dit, je serai inévitablement amené à ouvrir sur la direction d’orchestre, dernière discipline à se féminiser et celle où il reste le plus de chemin à parcourir, puisqu’il s’agit d’une profession longtemps associée à l’idée de pouvoir.

Pourquoi ce sujet pour votre conférence ?

Je me passionne depuis longtemps pour l’orchestre, auquel j’ai consacré des livres (Au Cœur de l’orchestre chez Fayard, Le Philharmonique de Vienne chez Buchet-Chastel, Les Grands chefs d’orchestre du XXe siècle aussi chez Buchet), et je lui consacre pour la quatrième saison une émission hebdomadaire le dimanche sur France Musique (qui reprend le titre de mon livre Au Cœur de l’orchestre). C’est au cours d’une conversation avec Céline Cottalorda, qui me parlait de sa nouvelle fonction de déléguée pour la protection et la promotion les droits des femmes auprès du gouvernement princier, qu’est née l’idée d’apporter cet éclairage sur le monde musical, et en particulier orchestral.

J’ai lu que l’orchestre de Paris s’était fixé comme objectif d’inviter en 2020 au moins six femmes cheffes par an afin de créer des vocations chez les jeunes femmes. Savez-vous si cet objectif a été atteint ?

Au cours de la saison 2021-22, il sera même dépassé avec Nathalie Stutzmann, Simone Young, Stéphanie Childress, Karina Canellakis, Marin Alsop, Holly Hyun Choe et Lin Liao. La Philharmonie de Paris a aussi organisé en 2020 la 1e édition de La Maestra, concours de direction ouvert aux seules femmes. Il est indéniable que l’exemple est le meilleur des moteurs. Le succès planétaire de Lang Lang a déclenché des milliers de vocations de pianistes en Chine, par exemple, et le fait que le New York Philharmonic ait engagé un clarinette solo afro-américain, Anthony McGill, première personne de couleur noire à occuper un poste de soliste dans un orchestre classique américain de premier plan, devrait aussi servir de moteur. Actuellement, sur 834 orchestres symphoniques professionnels que j’ai recensés dans le monde, j’en ai compté 54 qui ont une directrice musicale, ce qui fait 6,4% si je ne me suis pas trompé…

Qu’avez-vous découvert lors de vos recherches sur ces femmes dans le monde de la musique ?

Que certains instruments comme les cuivres et la percussion restaient encore extrêmement peu féminisés. Mais aussi que les mentalités évoluent, et que les membres actuels de l’Orchestre Philharmonique de Vienne, orchestre qui refusait encore les femmes il y 25 ans, mais dont l’effectif s’est considérablement rajeuni depuis le début des années 2000 par le jeu des départs à la retraite, étaient sidérés de voir que cela avait pu être un problème pour leurs prédécesseurs immédiats, qui ont souvent été leur professeur et dont ils ont partagé le pupitre.

Quelles sont les compositrices/musiciennes qui vous ont le plus touché ?

J’aime bien citer le cas d’Abbie Conant, engagée en 1980 sur concours devant 31 hommes comme trombone solo de l’Orchestre Philharmonique de Munich, puis refusée par le chef d’orchestre Sergiu Celibidache qui estimait qu’il « fallait un homme » pour ce poste. Elle a mis 13 ans de procédures à être rétablie dans ses droits. C’était hier !

Vous intervenez sur France Musique. Existe-t-il une rubrique spéciale compositrices et musiciennes ?

Il y a la chronique d’Aliette de Laleu sur les compositrices tous les mardis dans Musique Matin à 7h50, et il y a eu l’été dernier une série de huit émissions de Marina Chiche intitulée Musiciennes de légende.

Quels sont vos projets d’écriture ?

Pause pour l’instant, mon dernier, une grosse biographie du compositeur français Pierre Boulez, a été un énorme travail !

Conférence de Christian Merlin, Les Femmes dans les orchestres (dans le cadre du programme Cultur’Elles) : 11 nov 18h30, Médiathèque Louis Notari, Monaco. Rens: mediatheque.mc

(photo : Christian Merlin © Christophe Abramowitz)