Haut et fort : généreux, mais crédible et puissant

Haut et fort : généreux, mais crédible et puissant

Rien de plus générique, de plus éculé que le schéma gratifiant selon lequel un adulte mature, chargé d’ans, de sagesse et de culture, vient éclairer une tribu disparate de sauvageons hirsutes, jusqu’alors livrés à eux-mêmes, c’est-à-dire, dans le meilleur des cas, au rap, à Fortnite et au culte des false idols, de Léna Situations à Kylian Mbappé. Au terme de ce synopsis enchanté, graine de violence, après être passé chez le coiffeur, sifflote La Traviata en feuilletant Télérama. Ben voyons…

Ce schéma héroïsé, qui n’est ni plus ni moins que le duplicata des récits de conversion du XIXe siècle, présente le douteux avantage d’ajouter au ridicule l’irréalisme – car s’il est une chose qu’une bande d’ados découplés est en mesure de démasquer en un éclair, c’est bien le paternalisme intéressé –, mais peut cependant être déjoué : telle est l’excellente nouvelle apportée par Haut et fort, le nouveau, et neuvième, long métrage du cinéaste marocain Nabil Ayouch, apprécié de ce côté-ci de la Méditerranée depuis Razzia (2015) et Much loved (2017).

C’est, comme bien l’on pense, une accumulation de petits détails concrets qui permet à ce film d’échapper à sa malédiction apologétique, et à la gangue létale du convenu et du prévisible. D’une part, le tuteur, ici à peine plus âgé que sa théorie de trublions turbulents, est un rappeur trentenaire clochardisé – il dort dans sa voiture – qui vient enseigner dans un centre culturel. Il est, de plus, buté, mutique, hanté par une blessure toujours à vif, peu concerné par sa « mission », bref, pas très sympathique de prime abord. D’autre part, ses élèves, loin d’être des silhouettes esquissées par le crayon de l’idéologie, sont de véritables personnages : injustes, brutaux, exigeants, agités ; en un mot, difficiles. Les filles en particulier – car il y en a, ce qui est méritoire en terre de patriarcat – comprennent vite qu’il y a là un chemin – escarpé – d’émancipation. Enfin, Ayouch ne masque pas les embûches que doit affronter cette transmission-là, et, plus spécifiquement – et fort courageusement de sa part – la prégnance de la religion, notamment auprès des parents de ces adolescents. 

Le résultat est un beau film, généreux, certes, mais surtout crédible et puissant ; et autant qu’ailleurs, plus qu’ailleurs, l’enfer – c’est-à-dire, esthétiquement, le ratage – est pavé de bonnes intentions. Haut et fort est un portrait de groupe avec dames, à la fois empathique et ressemblant, de la jeunesse de Casablanca, à l’écart des fausses bonnes idées et des vrais clichés.

Haut et fort de Nabil Ayouch, sortie le 27 novembre 201