Les femmes au temps du cinéma muet, période de libération artistique

Les femmes au temps du cinéma muet, période de libération artistique


Auteur, conférencier spécialisé dans le cinéma, animateur d’ateliers dans la région niçoise, Vincent Jourdan est également président fondateur de l’association Regard Indépendant, dédiée à la création et à la diffusion du cinéma et de la vidéo en local, et intervient régulièrement dans de nombreuses émissions spécialisées sur le 7e art. Notre cinéphile propose une conférence sur le thème Les femmes derrière la caméra au temps du cinéma muet, ce jeudi 9 décembre à 18h30, dans le cadre du programme Cultur’Elles organisé par la médiathèque de Monaco (11 rue Louis Notari). Entrée libre

Pourquoi avoir choisi le thème des femmes cinéastes sous le cinéma muet et non sous le cinéma parlant ?

Dans le sillage de #Metoo, je me suis intéressé aux femmes cinéastes et notamment avec la personnalité d’Alice Guy que je ne connaissais guère. En effectuant des recherches, je suis tombé sur un site en anglais qui répertoriait des cinéastes femmes à cette époque-ci (Women Film Pioneers Project). Je me suis rendu compte qu’il y en a eu énormément. Le cinéma muet qui s’est achevé en 1927 avec le cinéma parlant a été propice à cette production artistique, et ce dans tous les pays. Cette période faste correspond à un changement de société et donc à l’évolution des mœurs. En effet, à la fin du XIXe siècle, les femmes revendiquent leurs droits, puis pendant la 1e Guerre Mondiale, elles occupent des postes stratégiques tandis que les hommes étaient au front. Il y a eu les années folles avec un souffle de liberté. Mais avant tout, à cette époque, le cinéma n’est ni une industrie ni encore considéré comme un art. Il y a de la place pour tout le monde surtout pour les cinéastes indépendant.es.

Quels postes occupaient-elles ? 

Sous le cinéma muet, elles ont occupé tous les postes jusqu’aux plus importants. L’Américaine June Mathis a eu une carrière fulgurante et est devenue responsable du studio Metro. La Canadienne Mary Pickford a créé son propre studio. Elles ont été scénaristes, actrices, productrices, réalisatrices. Elles ne retrouveront ces mêmes positions qu’à partir des années 1980 ! Dans les années 20 aux USA, la moitié des scénarios étaient écrits par des femmes.

Est-ce vrai qu’Alice Guy a produit plus de 1000 films ?

Oui, elle a commencé en 1894 et détient une grande filmographie notamment avec de très courts-métrages. Certains durent 1 à 2 minutes. Le cinéma n’étant pas reconnu à l’époque, les films n’étaient pas répertoriés. Son film le plus connu, La fée aux choux, a connu un franc succès.

Existe-t-il une différence entre le cinéma produit par une femme et le cinéma produit par un homme ?

Pour moi, peu importe que l’œuvre soit produite par un homme ou par une femme. Ce qui fait un film, c’est la personnalité, la sensibilité, le style du ou de la cinéaste. Je ne trouve pas qu’Alice Guy créait des films différents de ses homologues masculins. Germaine Dulac possédait son propre style, Lois Weber était plutôt attirée par des problématiques sociales avec des portraits plus féminins. Il y a des thématiques dont les femmes se sont emparées et qui n’intéressaient pas les cinéastes hommes. Catherine Videau pour la période moderne propose des films durs, d’action et de guerre.

Était-il facile pour une femme de diriger une équipe de tournage composée d’hommes notamment ?

Non pas de difficultés particulières à mon sens. Certaines cinéastes travaillaient avec leurs maris qui étaient parfois leur assistant comme l’Italienne Elvira Notari.

Pourquoi le cinéma parlant marque-t-il la fin des femmes cinéastes ?

Avec le cinéma parlant, leur position s’est effondrée. Je vois deux grandes raisons à cela : le cinéma s’est structuré surtout aux USA et s’est attelé à éliminer tous les indépendants et indépendantes. Dans les années 30 avec la crise économique de 1929 et la montée du fascisme et du nazisme, on entre dans un cinéma plus violent, plus âpre, plus masculin, qui ne correspond pas forcément au style de films produits par des femmes comme des westerns par exemple. Et puis avec le 1er film parlant (Chanteur de Jazz), les studios délaissent le cinéma muet. Les films sont détruits ou fondus pour récupérer les sels d’argent, car jugés inintéressants. C’est grâce à Henri Langlois dans les années 30, pionner dans la conservation et la restauration des films, que nombre de pellicules ont pu être sauvées et cataloguées. Elvira Notari a produit environ soixante films dont seuls deux sont aujourd’hui disponibles. De même pour Alice Guy, seulement une trentaine de films sont visionnables. Les hommes étaient logés à la même enseigne. C’est le problème du muet.

Depuis la vague #Metoo, la parité est-elle au bout de la pellicule ?

On en est loin. On a encore ce problème de frontière entre l’art et l’industrie. Lois Weber arrête de tourner en 1933, Dorothy Arzner en 1940. Aux USA dans les années 50, il n’y en a eu qu’une, c’est Ida Lupino, qui a été présente sur la scène cinématographique. Il y a eu très peu de cinéastes à part Agnès Varda ou Jacqueline Audry en France sur la même période. Depuis les années 70, on en dénombre davantage heureusement ! Actuellement au niveau de la formation des jeunes, on en est à la parité dans les écoles. Cependant quand il s’agit d’engager des femmes dans l’industrie du cinéma, on dégringole à 15%. 25% des films sont produits par des femmes aujourd’hui. Pour le court-métrage, il y a plus de femmes que dans le long-métrage.

Pouvez-vous nous présenter vos actions ?

À travers notre association, nous soutenons des projets et actions de jeunes scénaristes et intervenons dans les universités, les médiathèques et dans le milieu scolaire. Quant à mon actualité, je sors une biographie sur Sergio Sollima chez Leittmotif.