09 Déc Printemps des Arts de Monte-Carlo : passage de relais
Le festival Printemps des Arts de Monte-Carlo vient d’annoncer la programmation de son édition 2022. Une nouvelle page écrite par le compositeur Bruno Mantovani, qui succède à Marc Monnet à la direction artistique de l’événement. Nous l’avons rencontré.
Bruno Mantovani se sent comme un poisson dans l’eau dans la Principauté. Pour lui, cette ville, dont on ne retient la plupart du temps que le luxe ou le Grand Prix, est comme un village à l’histoire passionnante. « Monaco, c’est une réduction de sauce, on y trouve l’essentiel du goût culturel sur un tout petit territoire« , s’amuse cet homme autant passionné de musique que de gastronomie. Par ailleurs, même si ses études musicales l’ont vite conduit à Paris, au Conservatoire National Supérieur de Musique, Bruno Man-tovani a gardé ce petit accent chantant qui prouve qu’il a grandi sur les bords de la Méditerranée.
Il prend cette année la relève du compositeur Marc Monnet, qui a dirigé le festival du Printemps des Arts pendant 19 ans. Un compositeur succède donc à un autre, mais pas n’importe lequel, car les deux hommes entretiennent des liens artistiques et amicaux très forts, et ont développé une vraie confiance sur le plan artistique. Marc Monnet a d’ailleurs plusieurs fois passé commande à Bruno Mantovani d’œuvres pour l’Orchestre Philharmonique de Monaco ou les ballets, et les lieux, comme les formations, ne sont donc pas inconnus du nouveau directeur. Comme l’explique avec la chaleur qui lui est coutumière Bruno Mantovani, cette amitié est fondée sur le partage d’une valeur commune, le rapport à l’histoire : « Nous sommes tous les deux auditeurs de la musique du passé, nous éprouvons du plaisir avec le répertoire, et nous croyons que penser la musique aujourd’hui, c’est avoir un regard sur hier : un compositeur, c’est aussi pour moi un musicologue – quelqu’un qui se positionne par rapport à l’Histoire et qui fait un choix en matière de filiation, des choix par rapport aux personnes dont il hérite. » Sa rencontre avec la Princesse de Hanovre le conforte dans son désir de pousser encore plus loin les partis-pris de son prédécesseur : « Avec elle, on parle matière, on ne remplace pas l’esthétique par le sociétal, et elle souhaite approfondir encore la dimension intellectuelle, pointue du festival. »
Percussionniste de formation, sensible depuis toujours de façon « organique » à la musique, classique, mais pas que, nourri d’histoire de l’art « car c’est l’histoire des mentalités« , Bruno Mantovani a donc décidé de restreindre le champ d’action autour des weekends, mais en intensifiant la programmation autour de thématiques, pour mieux l’ouvrir et donner une logique à des objets en apparence disparates. L’esprit du créateur, et du pédagogue qu’il a été un temps, ne quitte jamais celui de l’organisateur : « Le public a besoin à la fois de repères et d’être surpris. Pour moi, composer un festival c’est comme composer une œuvre, c’est un savant équilibre entre la surprise et ce que l’on croit connaitre, et c’est la source du plaisir. » L’opus 1, contenu dans le titre du festival, annonce une suite avec des thèmes qui se développeront sur plusieurs années, comme par exemple l’évolution stylistique des compositeurs. Autre nouveauté, un livre de programmes dont les auteurs prennent parti sur les œuvres : « Il y a des tubes, mais aussi la création qui est l’ADN du festival et qu’on essaie de présenter dans un contexte intellectuel et esthétique qui permet de les aborder différemment. »
À ses yeux, Monaco est une énigme dans ce combat perpétuel mené avec l’espace : « Il y a plein de lieux merveilleux, d’endroits chargés d’histoire et ils font partie de la programmation, car ils peuvent éclairer de façon différente l’écoute d’une œuvre. » Et il y a bien sûr le public, à qui Bruno Mantovani donne rendez-vous de façon informelle, avant ou après le concert : « Ce que j’attends du festival, c’est qu’il y ait une parole décomplexée à l’égard de la musique, que les gens puissent exprimer ce qu’ils ont éprouvé en toute liberté. »
La fin et le commencement
Haut en couleur, le programme du Printemps des arts de Monte-Carlo 2022 reflète bien la diversité dans la continuité d’un festival qui joue les surprises comme les retrouvailles. Le titre de cette prochaine édition, Ma fin est mon commencement – opus 1, rondeau de Guillaume de Machaut qui sera chanté deux fois lors du festival, donne d’ailleurs le ton.
a fin d’une époque chevauche souvent le début d’une autre… « Le rapport au passé est pour moi essentiel, il est le point de départ à toute innovation« , affirme Bruno Mantovani, nouveau directeur artistique du festival, qui succède à Marc Monnet. Ce nouveau programme travaille également les correspondances, revisite les classiques et se joue du temps, fait la part belle aux résidences (le pianiste Jean-Efflam Bavouzet et le quatuor Voce), et nous ouvre les portes d’un monde musical – et cinématographique – inconnu pour la plupart d’entre nous, celui de l’Arménie, pays à l’honneur.
L’occasion également pour le public de retrouver ou de découvrir des artistes dont les trajectoires dépassent les limites de la Principauté : des orchestres, dont celui, historique, du festival, l’orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, mais aussi le Philharmonique de Radio France, le Philharmonique de Strasbourg, ou l’Orchestre Philharmonique d’Auvergne ; des solistes comme le violoniste Renaud Capuçon, les pianistes Anna Vinnitskaya et Dezsö Rànki, ou encore le percussionniste Colin Currie… Petite revue d’effectif, weekend par weekend, de cette édition 2021 !
WEEKEND #1
C’est avec la Messe de Notre Dame de Guillaume de Machaut, une œuvre du 14e siècle, emblématique de l’Ars Nova en vogue à l’époque, que s’ouvrira le festival en l’église Saint Charles. Moderne en son genre, c’est une des premières messes écrites que signe un seul auteur, les offices étant souvent le fruit d’un collectage anonyme. Ouvrage à quatre voix, elle sera chantée par l’Ensemble Gilles Binchois, spécialiste des musiques du Moyen-Âge.
Jeudi 10 mars 20h, Église Saint-Charles
Le festival questionne également ce qu’est le parcours d’un compositeur : à quel moment est-il au sommet de son art ? Quelle période de sa vie révèle son style propre, ses débuts, la fin ? Deux des concerti pour piano de Prokoviev – une œuvre de jeunesse, le n°1 écrit à l’âge de 20 ans, alors que Prokoviev est encore étudiant, puis le n°5, le dernier qu’il ait écrit en 1932 – permettront d’entendre le chemin pris par un jeune compositeur déjà sûr de sa maturité musicale et l’artiste qui a traversé le temps. Le programme, défendupar l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, dirigé par Marko Letonja, sera l’occasion d’une première rencontre avec le pianiste Jean-Efflam Bavouzet.
Vendredi 11 mars 20h, Auditorium Rainier III
Les dernières œuvres pour piano de Debussy reflètent-elles l’aboutissement d’une écriture musicale ? Aboutissement ou commencement d’autre chose ? C’est la question que posent les deux récitals du pianiste Jean-Efflam Bavouzet, récitals qui mettent en miroir deux compositeurs, Joseph Haydn et Claude Debussy. L’hommage à Haydn de Claude Debussy au programme du concert du dimanche fait le lien, non pas nécessairement comme si le compositeur regardait par-dessus son épaule, mais plutôt comme si le questionnement du passé permettait à la création de prendre un nouvel envol.
Samedi 12 mars 20h, Musée Océanographique / Dimanche 13 mars 15h, Opéra Garnier
Webern, Bartok, Dutilleux. Trois compositeurs sont au programme du concert que l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, sous la baguette de Kazuki Yamada, donnera à entendre. Trois écritures pour orchestre du 20e siècle, dont les sources, l’inspiration diffèrent, mais qui marquent chacune leur époque. Au piano, Dezsö Ranki.
Dimanche 13 mars 18h, Auditorium Rainier III
WEEKEND #2
Les compositeurs Jean-Féry Rebel et Jean-Marie Leclair étaient deux virtuoses du violon et ont écrit pour leur instrument des pièces d’une belle élégance et qui défient le talent de leurs interprètes. L’ensemble baroque Les Folies Françoises et leur chef, le violoniste Patrick Cohen Akenine relèveront ce défi, avec trois concerti qu’ils confronteront à la virtuosité contemporaine dans une pièce de Pierre Boulez pour violon seul et une création de Yann Maresz, Tendance, commande du festival, que jouera la violoniste Hae-Sun Kang, membre de l’ensemble Intercontemporain.
Jeudi 17 mars 20h, Musée Océanographique
L’écriture pour quatuor à cordes, acmé de tout compositeur ? C’est une réflexion sur l’essence même de la composition qu’exige l’écriture pour cette formation, et c’est une sorte de parcours dans cette forme que propose le Quatuor Voce, rompu à tous les répertoires, de Mozart à Ravel en passant par Chostakovitch et Debussy à l’occasion de deux concerts.
Samedi 19 mars 20h, Opéra Garnier / Dimanche 20 mars 15h, One Monte Carlo
WEEKEND #3
L’Arménie, comme la très belle affiche du festival le révèle, sera présente à travers une série de manifestations : des concerts bien sûr, pour découvrir la richesse d’un patrimoine musical, avec des compositeurs d’hier et d’aujourd’hui, que serviront l’Orchestre National d’Auvergne dirigé par Roberto Forés Veses, avec en solistes les violoncellistes Marie Ythier et Éric-Maria Couturier, mais aussi un programme de mélodies avec la soprano Karine Babajanyan et le pianiste Vardan Mamikonian, et enfin, l’Ensemble Gurdjieff et son directeur artistique, Levon Eskenian.
Jeudi 24 mars 20h, Théâtre des Variétés / Vendredi 25 mars 20h, One Monte Carlo
Cette évocation de l’Arménie se poursuivra avec un spectacle chorégraphique en création, commande du festival à Aram Hovhannisyan et Michel Petrossian, Sept, les anges de Sinjar avec les danseurs de la Cie Hallet Eghayan, l’Ensemble Orchestral Contemporain dirigé par le jeune chef d’orchestre Léo Margue, ainsi qu’avec la projection du film Sayat Nova de Sergueï Paradjanov, un plasticien dont les œuvres donnent lieu également à une exposition.
Samedi 26 mars 17h, Cinéma des Beaux-Arts / Samedi 26 mars 19h, Opéra Garnier (inauguration de l’exposition) / Samedi 26 mars 20h, Opéra Garnier / Dimanche 27 mars 15h, Conservatoire de Nice
WEEKEND #4
Bruno Mantovani, directeur du festival, compositeur, sera aussi chef d’orchestre, le temps d’une soirée. À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, il dirigera entre autres, en création mondiale, sa composition Allegro Barbaro, un concerto pour percussions et orchestre tout en voltige, qui tendra la main aux pièces pour ballet de Chostakovitch, Stravinski et au quintette circassien de Prokoviev.
Jeudi 31 mars 20h, Chapiteau de Fontvielle
Les plus jeunes ne sont pas oubliés, puisqu’ils retrouveront un grand classique de la littérature musicale enfantine, Pierre et le Loup, mais dans une version revisitée par le jazz de l’Amazing Keystone Big Band, un orchestre de jeunes musiciens talentueux menés par David Ehnco, avec la voix du comédien Sébastien Denigues.
Samedi 2 avril 15h, Opéra Garnier
Un concert en forme de battle se déroulera à coup de mélodies : celles de Claude Debussy, ses Fêtes Galantes et ses trois poèmes à Mallarmé, face aux songs de George Crumb, Three early songs, Apparition et The sleeper que chantera la jeune soprano américaine Sophia Burgos, une artiste qui se passionne pour la création musicale. Elle sera accompagnée au piano par Daniel Gerzenberg.
Samedi 2 avril 20h, Yatch Club
Le festival s’achèvera en beauté par un dialogue, celui du violon de Renaud Capuçon avec l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, que dirigera Andris Poga, dans trois œuvres concertantes, deux romances pour violon et orchestre de Ludwig Van Beethoven et le Nocturne pour violon et orchestre, Sur le même accord, d’Henri Dutilleux. Le bouquet final sera signé Dimitri Chostakovitch, avec sa symphonie Leningrad, composée en pleine deuxième guerre mondiale.
Dimanche 3 avril 15h, Auditorium Rainier III
POST-SCRIPTUM
La création est bien sûr toujours présente dans le festival, entrelacée à des œuvres en écho. Les compositeurs sollicités cette année seront Yann Maresz, Bastien David, Aram Hovhannisyan et Michel Petrossian, et Bruno Mantovani, avec quatre créations mondiales, commandes du festival. Le festival offre cette année deux nouveautés : les before à 18h30, qui proposent des conférences-rencontres avant les concerts et menées par des spécialistes, et les after à 22h30, moments de convivialité qui permettent au public de côtoyer les artistes et d’évoquer ce qu’ils viennent d’entendre.
Enfin, sachez que les masterclasses sont ouvertes au public : celles de piano par Jean-Efflam Bavouzet, piano (lundi 14 mars, Centre culturel Prince Jacques, Beausoleil) et Vardan Mamikonian piano (samedi 26 mars, Conservatoire de Nice) et de percussions par Emmanuel Curt (samedi 2 avril, Conservatoire de Nice).
10 mars au 3 avr, Monaco. Programme complet sur printempsdesarts.mc
(photo Une : Présentation du Printemps des Arts de Monte-Carlo 2022 © Alice Blangero)