
21 Déc L’Avare, ou la condition humaine
En faut-il des convictions pour reprendre une pièce mille fois jouée, d’un auteur mille fois applaudi ! Année Molière oblige, Daniel Benoin remet sa version de L’Avare sur scène, et Michel Boujenah réendosse avec délice le célèbre costume d’Harpagon. Avant d’applaudir cette folie humaine, les 4, 5 et 7 janvier prochains à Anthéa, nous nous sommes glissés dans les coulisses en compagnie de Daniel Benoin.
Un bel anniversaire en 2022 : Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, fêtera ses 400 ans. Anthéa honore cet événement à sa manière, avec deux pièces au programme, dont L’Avare, jouée pour la première fois à Paris en 1668 ! Daniel Benoin, directeur d’Anthéa et metteur en scène (1), nous donne quelques éclairages avant le direct.
Laurence Fey : Vous avez mis en scène L’Avare de nombreuses fois, et dans plusieurs pays. Mais pourquoi reprendre de nouveau cette pièce plutôt qu’une autre du répertoire de Molière ?
Daniel Benoin : Molière fait partie des premiers textes que j’ai mis en scène, puis j’ai arrêté pendant près de 20 ans. Si j’ai recommencé à créer du Molière, c’est que je pensais être mûr pour le faire. J’avais monté plusieurs de ses pièces – L’École des femmes, Le Misanthrope… – mais pas L’Avare. C’est le directeur du théâtre de Stockholm, le théâtre de Bergman, en Suède, qui m’a proposé de monter L’Avare pour la 1e fois. J’ai alors relu la pièce, avec un autre œil que lorsque j’avais 13 ans (!). Il y a beaucoup de profondeur dans cette pièce, comme dans les dernières de Molière, où souvent de vieux hommes aiment de très jeunes femmes, ce qui fait écho à la vie de Molière lui-même. Puis la pièce a voyagé en Allemagne. C’est étrange de partir du Nord, pour revenir dans le Sud. Nous l’avons jouée à Antibes 17 fois devant 20.000 personnes, puis 7 fois à Paris avant d’être stoppés par le confinement ! Nous avions la possibilité de reprendre cette pièce, à Anthéa, ainsi qu’au Théâtre des Variétés. Dans ce théâtre, l’un des plus anciens de Paris (1807), nous serons sur les planches pour 100 représentations. Les 4, 5 et 7 janvier, nous rejouons cette pièce à Antibes, et à partir du 15 janvier à Paris, le jour même de la naissance de Molière ! C’est quelque chose de très émouvant. Molière qui entrera peut-être au Panthéon l’an prochain…
Comment s’est imposé le choix de Michel Boujenah dans le rôle-titre ?
Ce personnage d’Harpagon (2) est complexe. Je suis très proche de Michel Boujenah et j’ai travaillé plusieurs fois avec lui. Dès le début de l’aventure, je trouvais que c’était un rôle taillé pour lui. Mais j’ai mis du temps à le persuader qu’il était le meilleur acteur pour cette pièce. Car Michel, lui, n’était pas du tout convaincu !
Outre la mise en scène, vous êtes également responsable des lumières sur cette pièce ?
Je m’occupe toujours des lumières quand je monte mes spectacles. Un metteur en scène se figure bien avant tout le monde comment la pièce va se dérouler, comment le spectacle va être vu, comment les gens vont circuler dans tout ça. Un metteur en scène conçoit un film, donc il voit des images, et qui dit images dit lumières. Au cours des 130 spectacles que j’ai mis en scène, le travail sur la lumière a toujours été majeur pour moi. Et dans L’Avare, la lumière joue un rôle particulier pour exprimer les travers et la solitude du personnage, le froid, l’hiver…
Quel est l’apport de la vidéo à votre mise en scène ?
Il y a quelques années, la vidéo était assez rudimentaire donc je ne l’utilisais pas. Mais depuis qu’elle est devenue un élément fort du spectacle, cela m’intéresse de l’intégrer. Particulièrement dans L’Avare, car les visions d’Harpagon deviennent cauchemardesques – par exemple dans cette scène où il voit la jeune femme qu’il aime à la folie dans les bras de son propre fils. Il y a du déséquilibre dans cette pièce, comme dans un mauvais rêve. Grâce aux effets produits, la vidéo permet de donner une dimension supplémentaire à ce déséquilibre.
L’Avare s’exporte bien et Anthéa aussi ?
En septembre 2022, nous allons tourner dans d’autres villes de France, de Suisse et de Belgique. Nous allons peut-être même retourner en Suède, ce qui serait assez rigolo. Anthéa s’exporte bien, effectivement, et j’en suis très heureux. À sa création, en 2013, l’idée était d’implanter ce théâtre dans la région, et cela a réussi plus vite que prévu. Puis nous avons voulu l’imposer au niveau national et international. Chaque année, 15 spectacles sont produits ou co-produits, ce qui donne une idée de la véritable dimension de ce beau théâtre.
Pour ce 400e anniversaire de Molière, vous avez deux pièces au programme, L’Avare et Le Bourgeois gentilhomme. Quelle est la place de Molière et des classiques aujourd’hui ?
Nous programmerons certainement une troisième pièce à l’automne prochain. Molière se joue toujours, car les problèmes et les thèmes dont il nous parle nous intéressent encore et rendent le spectateur complice. Même quand il s’agit d’une comédie, Molière porte un regard profond sur la société, sur l’homme, sur la passion, le désespoir humain… Les spectateurs se disent à la fois qu’ils vont s’amuser avec le côté farce et en même temps être touchés, comme avec Harpagon, ce personnage perdu, et oublié de tous. La place des classiques reste ainsi très importante : le théâtre est l’art de l’instantané, il est contemporain, c’est un art très réactif, plus rapide que le cinéma dont les projets mettent plus de temps à aboutir. Cela fait encore la force du théâtre.
Certains classiques disparaissent peut-être parce qu’ils n’ont pas de thématiques assez fortes et qu’il est difficile de les réinventer. Mais les pièces de Molière peuvent être montées à n’importe quelle époque. Les classiques sont très importants à retravailler et ils donnent de la joie aux spectateurs. Il faut réinventer les grands classiques tous les 20 ans !
4, 5 & 7 jan 2022, Anthéa, Antibes. Rens: anthea-antibes.fr
(1) Sur le parcours d’un artiste et responsable du monde culturel, vient de sortir le livre de Gilles Costaz, Daniel Benoin, la modernité en scène (éditions L’avant-scène Théâtre)

(2) Comédiens célèbres qui ont joué Harpagon : Molière lui-même, Jean Vilar, Michel Bouquet, Michel Serrault…
(photo : L’Avare © Philip Ducap)