
29 Mar Quand tout est solitaire
« Aimer quelqu’un, c’est honorer sa solitude et s’en émerveiller » a écrit Jacqueline Kelen dans L’Esprit de Solitude. L’exposition Solitudes croisées de Bilal Hamdad, présentée à Cannes, est donc plus qu’un hommage, c’est un véritable acte d’amour pour son prochain.
Peindre un instant figé, une dimension de la réalité qui nous échappe : c’est le but de Bilal Hamdad. Né en Algérie, son exposition personnelle au Suquet des Artistes, proposée par le Pôle Art Moderne et Contemporain de Cannes jusqu’au 29 Mai, est sa première dans une institution française. L’occasion aussi de découvrir les locaux insolites de cet espace d’exposition, sis dans l’ancienne morgue de la ville de Cannes. Avec Solitudes croisées, l’artiste nous invite à fabriquer notre propre réalité.
Au long des corridors, on discerne 30 œuvres, 30 Solitudes croisées, des moments simples issus du quotidien. Parmi elles, Le Mirage (2021). On croit d’abord voir une photo tant les couleurs sont vibrantes, puis en se rapprochant on remarque la touche de l’artiste, l’impression de mouvement qu’il donne aux images immobiles. On recule et on observe les composantes du sujet : en arrière-plan, la station du métro de Paris Arts et Métiers, au premier plan une jeune femme brune avec un chignon désordonné, bien habillée et portant deux sacs. On tourne le regard vers la gauche et on remarque dans le reflet du cuivre qu’elle regarde son téléphone et semble porter des écouteurs.
Un paysage contemporain donc, curieusement similaire à nos fins de journée. On cherche à savoir ce qui la rend si spéciale, pourquoi lui consacrer un tableau après tout ? Elle ne nous regarde pas, mais on la fixe. On entre d’autant plus dans son intimité, on se demande son lieu de départ et d’arrivée, la raison pour laquelle ses yeux sont rivés. 10 minutes passent, rien. 15 minutes passent, toujours aucune idée. Cela dit, pendant les moments qui s’écoulent à se perdre dans la toile, on imagine de belles histoires flottantes et incertaines, rythmées de virgules réalistes, des anecdotes de notre quotidien. On se rappelle de nos moments d’attente dans le métro, des bulles de solitudes que l’on brise parfois en entrechoquant l’épaule de notre voisin. On prend conscience de la solitude institutionnalisée des espaces publics où interagir est un crime. On réalise que finalement nous y sommes seuls, mais collectivement. Un peu comme elle et nous au moment où vous lisez ces lignes : des solitudes croisées.
Par sa peinture aux couleurs et aux traits saisissants de vérité, Bilal Hamdad appelle ainsi le public à devenir témoin d’un quotidien qui lui échappe, à s’interroger sur la vie des anonymes qu’il croise quotidiennement et met en route son imagination…
Jusqu’au 29 mai, Suquet des Artistes, Cannes. Rens: cannes.com
photo : Le Mirage, 2021. Huile sur toile, 162 x 130 cm. Courtesy Collection privée et H Gallery – Paris