28 Avr Festival de Cannes : une sélection prometteuse
On passe en revue la sélection officielle de Cannes 2022. L’acteur français Vincent Lindon, qui a remporté le prix d’interpétation masculien en 2015, présidera le jury de cette 75e édition.
S’il est un point par lequel la sélection officielle de Cannes 2022 se signale, et se distingue des éditions précédentes, c’est bien par la qualité de la délégation nord-américaine. En effet, après plus d’une décennie d’incompréhensions réciproques entre le festival et Hollywood, trois grands cinéastes, reconnus et incontestables, seront présents sur la Croisette du 17 au 28 mai prochains. Canadien anglophone, l’expérimenté David Cronenberg y présentera Crimes of the future, tandis que les Américains James Gray et Kelly Reichardt y défendront respectivement Armageddon time et Showing up. La native de Miami, forte du triomphe critique et public de First cow y sera particulièrement attendue.
Mais la Compétition ne serait pas si prisée si elle n’était pas, autant et plus que la consécration de cinéastes arrivés, le lieu d’émergence de jeunes talents déjà accomplis. Ce rajeunissement planifié, et bienvenu, est notamment marqué cette année par l’irruption de deux lauréats de la caméra d’Or, dont ce sera donc, logiquement, le second film, la française Léonor Serraille pour Un petit frère et le Belge Lukas Dhont pour Close. D’origine maghrébine, mais de nationalité suédoise, Ali Abbasi et Tarik Saleh sont dans une situation comparable ; Border avait été acclamé à Un certain regard, et Le Caire confidentiel aura conquis Sundance : à eux red carpet, montée des marches et Grand Théâtre Lumière ! Le premier présentera Les nuits de Mashad, et le second Boy from heaven. Dans le même ordre d’idées, l’iranien Saeed Roustaee, plébiscité à Venise pour La loi de Téhéran, arrive chez les grands avec Leila’s brothers. Enfin, Les huit montagnes, cosigné de Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch – mari et femme à la ville – provient, comme Close, du plat pays qui n’est pas le mien.
Surreprésentée chez les jeunes qui montent, la Belgique est aussi présente dans la catégorie « déjà palmés » ; en effet, les frères Dardenne, doubles lauréats en 1999 et 2005, seront de la partie avec Tori et Lokita. Étrangement, le pays d’Hergé est ex aequo, pour le second contingent (derrière la France) avec celui de Bergman – hasard du calendrier. Là aussi, un suprême lauréat accompagne ou encadre la relève ; Ruben Ostlund, Palme d’Or en 2017, revient avec Triangle of sadness.
Couronné dix ans plus tôt – déjà dix ans, comme disait Sardou –, le roumain Christian Mungiu revient avec un opus énigmatique intitulé R.M.N.. Enfin, le japonais Hirokazu Kore-Eda revient lui aussi dans la cour des grands avec Broker.
Grand Prix du Jury et non Palme d’Or – injustement – en 2004 pour Old boy, Park Chan-Wook inaugure la catégorie des « habitués » ; ce cinéaste coréen, multi-sélectionné présentera Decision to leave. Le polonais Jerzy Skolimowski, qui a commencé sa carrière en 1964 sera le vétéran de cette édition avec Eh-oh, pour lequel on espère retrouver l’inspiration, l’humour et l’originalité de Walkover et de Signes particuliers : néant. Autre profil d’habitué, Arnaud Desplechin reprendra son odyssée des familles dysfonctionnelles – son thème de prédilection, le cœur nucléaire de ses meilleurs films – avec Frère et sœur. Enfin, opposant déclaré au régime de Poutine, dorénavant exilé en Occident, le russe Kirill Serebrennikov, déjà sélectionné en 2018 et 2021, revient avec La femme de Tchaïkovski, un drame historique flamboyant.
Cette sélection est complétée par deux réalisatrices françaises expérimentées, mais qui, cependant, n’avaient connu jusqu’à présent qu’une seule sélection en compétition ; Claire Denis pour Stars at noon, et Valeria Bruni-Tedeschi pour Les Amandiers. Chacune est récompensée pour être sortie de sa zone de confort : l’aînée – 74 ans, 16 films – tourne pour la première fois en anglais, tandis que la benjamine évoque son prof et mentor Patrice Chéreau, fondateur du mythique théâtre des Amandiers, qui sera interprété par Louis Garrel (ça va le changer de Godard…).
Pour conclure, un Espagnol et un Italien ajoutent une touche méditerranéenne à cette sélection, relevons-le, tout de même très européo-centrée. Si c’est la première fois qu’Albert Serra, avec Tourment dans les îles est en compèt’, Mario Martone a été sélectionné, lui, en… 1995. Ironie ou provocation, son film porte le nom approprié de Nostalgia. M’est avis qu’il aura quand même du mal à égaler Tarkovski. What the fuck : un Cannes sans participation – même marginale – de Cinecitta, c’est comme une finale de C1 sans le Real Madrid : saugrenu, incongru, et peut-être inutile.
photo : présentation de la Sélection Officielle 2022 © Mathilde Petit / Festival de Cannes