28 Juin Châteauvallon ou l’invincible été
Jusqu’au 30 juillet 2022, une pléiade de spectacles s’épanouira sous les étoiles, au cœur de la majestueuse pinède de Châteauvallon. Quelles sont les bonnes surprises de cette nouvelle édition du Festival d’été ? Réponses de Charles Berling, directeur de la scène nationale Châteauvallon-Liberté.
Laurence Fey : Châteauvallon et son Festival d’été sont des institutions. Comment cet événement s’inscrit-il dans la saison théâtrale varoise ?
Charles Berling : Ce festival est intrinsèquement lié à toute la programmation de notre double théâtre Châteauvallon-Liberté. C’est même un point d’orgue, que nous aimons beaucoup. Le Festival d’été nous permet de bénéficier du lieu, de présenter ce site remarquable de 300 hectares, qui domine la mer, avec son amphithéâtre, son théâtre couvert, ses studios, de se reconnecter avec la nature, le merveilleux. On peut profiter de la fin de journée, du coucher du soleil, puis du crépuscule avec sa lumière particulière et, enfin, de la nuit, des étoiles…
Quels sont les temps forts de cette édition ? Le retour en force de la danse, ADN de Châteauvallon ?
Adolescent, j’ai moi-même vécu la belle et grande époque de Châteauvallon dans les années 70. On a voulu cette année se recentrer de nouveau sur la danse, avec les danseurs d’Angelin Preljocaj, la dernière création de Philippe Decouflé, le collectif (LA)HORDE de Marseille. Cela n’exclut pas les autres disciplines, la musique avec le jazz, et des instruments très forts à l’honneur, comme la guitare.
La chanson aussi. Par exemple, Jane Birkin est revenue avec son album Oh ! Pardon tu dormais…, composé par Étienne Daho, et son spectacle éponyme, mis en scène par le même Daho. Jane est une grande invitée de Châteauvallon, elle rayonne sur scène, je le dis toujours aux gens, allez la voir sur scène ! Elle dégage une profonde gentillesse et une grande générosité. La première fois que je l’ai vue, c’était à la fin des années 90, du temps de mon travail avec Patrice Chéreau, et j’avais été saisi. Nous avons mené quelques combats politiques ensemble aussi et elle y est tout autant généreuse.
D’autres partenariats sont à découvrir, tel celui avec le Centre National du Livre, pour la 2e année consécutive ?
Oui, c’est très important le livre. Cette année encore on va partager le plus d’écritures possible. Ce partenariat est tourné vers les enfants puisque, on le sait, les écrans phagocytent les esprits, la pensée, la liberté, contrairement au papier. Nous voulons pousser les enfants vers l’écriture, car plus vous les poussez à écrire, plus vous les poussez à lire. Et réciproquement. 2020 c’était l’année Camus, avec l’opération Une année, un auteur en Région Sud. Opération hommage malmenée par la crise sanitaire. Je rends de nouveau hommage à Camus pendant ce festival. Cet auteur me bouleverse. Il associe le savoir et la tendresse, il est réconfortant, il parle des ombres et de la lumière, il admet les contradictions, et c’est rare. Kamel Daoud et Leila Slimani vont venir nous raconter ce que nous sommes tous et que devrions être fiers de revendiquer, Jean-Pierre Darroussin et Audrey Fleurot vont également lire des textes forts… Pour le public, ce sont autant de belles rencontres en perspective avec des discussions possibles. On tricote des activités phares et d’autres plus modestes, pour tous nos publics.
Comment réussir à capter des stars très convoitées sans oublier les stars de demain ?
Nous recherchons l’équilibre entre les différents acteurs de ce festival, et nous mettons aussi en lumière les artistes de la région, comme Damien Drouin, un équilibriste qui danse sur trampoline, aussi poétique que spectaculaire. On s’attache aussi à laisser s’exprimer le plus possible de femmes comme avec le spectacle 69 minutes pour s’aimer quand même, d’Isild Le Besco, basé sur son roman, qu’elle joue avec Lolita Chammah et Suzanne de Baecque, en avant-première dans la région. C’est bien que des jeunes femmes qui écrivent, qui sont des artistes atypiques, qui expriment leurs émotions et leur créativité, fassent partie du festival.
La magie du lieu opère-t-elle mieux au crépuscule et en nocturne ?
C’est ça qui est bien, l’endroit est intense, et on le voit différemment au fil des heures, les œuvres et le lieu se parlent, dialoguent. C’est toujours l’idée et le sentiment de partage qui nous guide, une sorte de communion. Ici on peut discuter de tout et on favorise le dialogue. Même si vous n’avez pas aimé un spectacle, surtout si vous n’avez pas aimé, il faut en parler ! On se construit ainsi. Nous voulons sortir d’une logique de consommation pure, ambiante. De tels endroits comme Châteauvallon sont bien plus que cela !
Vous faites également partie de la distribution de ce Festival. Indispensable pour vous ?
Cela serait impensable de ne pas être là ! J’adore le très beau conte sur la nécessité que je vais dire. C’est magnifique avec des saxos et des voix. Je l’avais aussi joué avec Renaud Capuçon, entres autres, très émouvant également. C’est comme pour la direction de la saison théâtrale, ma présence ne peut pas être dissociée. Je me présente sur un plateau, je présente de l’art, et le cœur du réacteur pour moi, c’est l’art que je fais moi-même. Mais je dose ! Ce n’est pas un festival Berling ! Symboliquement, c’est bien de se risquer à des créations. C’est déjà dur de jouer ailleurs, mais c’est encore plus épouvantable ici. J’ai bien plus le trac ! En fait, mes deux activités se mélangent. Dans l’art, il y a une pensée, une provocation, on ne brosse pas dans le sens du poil, on dit ce qu’on (res)sent, ce qu’on aime, encore plus aujourd’hui. Pour l’art en général, ce n’est pas le moment de faire trop de compromis. Plus la situation est catastrophique, plus il faut faire ce qu’on aime. Comme Camus ! C’est l’invincible été. (1)
Quels liens entretenez-vous avec les autres scènes de la région ? Des opérations de mutualisations prévues pour faire venir un artiste ou un spectacle ?
Nous y travaillons, avec le réseau Traverses, pour la création artistique du sud-est (30 structures culturelles), et les scènes nationales. Nous nous préoccupons du bilan carbone, et des actions pour être davantage écoresponsables, et nous échangeons à ce sujet avec les autres équipes. C’est un peu lent mais ça avance.
Dans cette édition, de la danse, de la musique, de l’acrobatie, des grands textes… Mais pas d’humour ?
Oui, c’est un choix délibéré. Il n’y a pas d’obligation. Sophia Aram était venue l’an passé. On garde nos spécificités, ainsi toutes les programmations ne se ressemblent pas. Tout me plaît dans celle de cette année. Comment faire (re)venir le public, c’est là la question. Pour l’instant on a pas mal de réservations. On va voir si et comment les gens se déplacent. De nombreuses personnes, bien plus qu’avant, se décident au dernier moment. C’est compliqué, mais je trouve cela bien que les gens puissent le faire, ça dérouille les publics, ça change les profils, entre les abonnés, fidèles, et les autres, spontanés, hors du cadre. C’est l’idée du possible, de choisir au dernier moment comme pour un ciné, une expo, c’est l’envie de surprise. Avec la crise sanitaire, les habitudes ont été bien bousculées. Je remarque avec plaisir que, récemment, les soirées étaient tellement joyeuses, jeunes et vieux, mêlés, scolaires et non scolaires… Il faut tout mélanger ! Profitons de ce « bousculage » !
22 juin au 30 juil, Châteauvallon, Ollioules. Rens : chateauvallon-liberte.fr
(1) « Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible ». Albert Camus (L’Eté, Retour à Tiapsa, 1954)
photo : Charles Berling, lancement saison Liberté © Aurélien Kirchner – Le Liberté, scène nationale de Toulon