La mort, ça conserve !

La mort, ça conserve !

Deux expositions autour d’Ulysse et de l’art français de la table, et plus de 20 000 entrées… On peut donc affirmer que le lancement de l’Hôtel des Expositions du Var (HDE Var), est sans conteste, une réussite ! La troisième exposition du nom, Momies, les chemins de l’éternité, vient de débuter. Elle est visible jusqu’au 25 septembre.

« Les momies nous parlent ! » Voilà le propos liminaire du commissaire de l’exposition, Philippe Charlier, directeur de la recherche et de l’enseignement du Musée du Quai Branly-Jacques Chirac à Paris. Médecin légiste, anatomopathologiste, archéo-anthropologue et paléopathologiste français, il a aussi mené de nombreux travaux sur les restes humains anciens et les momies. Bref, c’est en compagnie d’une pointure que nous avons découvert l’exposition Momies, les chemins de l’éternité en avant-première à l’HDE Var ! Celle-ci entend faire découvrir par le biais d’une approche multidisciplinaire, et dans un esprit pédagogique et de vulgarisation, les nombreuses représentations des momies, leurs usages et en quoi elles sont utiles aux vivants.

Des momies d’Egypte…

Demandez spontanément à une personne de votre entourage ce qu’il associe aux momies, il y a fort à parier qu’elle réponde : l’Égypte. En effet, les momies égyptiennes sont les plus connues chez la majorité lambda – dont je fais partie. C’est donc en toute logique que l’exposition débute par… la monstration d’un corps humain desséché, entouré de bandelettes et conservé par des procédés d’embaumement ; ce qu’on appelle plus prosaïquement une momie !

On ne procédait pas à cette besogne juste pour le fun au pays des Pharaons, non, car le but était de donner toutes les chances au mort de passer les innombrables épreuves – il y en a vraiment un sacré paquet – qui devaient le mener à l’au-delà. Et pour ce faire, le corps devait rester entier, présentable lorsqu’il arrivait devant les dieux. Entier ou presque, puisqu’on lui prélevait – à des fins de conservation justement – la totalité des organes, y compris le cerveau. Seul le cœur restait en place, ce dernier trouvant son utilité lors de la psychostasie, ou «la pesée des âmes». «La mort est une épreuve», insiste bien Philipe Charlier, une sorte de purgatoire avant la «belle vie» éternelle ! Lors du voyage ultime, le mort ne partait jamais tout seul : des animaux momifiés (pour manger), des oushebtis, sorte de figurines qui pouvaient remplacer le mort dans les différents travaux qu’il aurait à accomplir dans l’au-delà (un esclave quoi), pouvaient ainsi l’accompagner. Voilà un aperçu – et c’est un bref résumé – de ce que vous aurez l’occasion de voir et apprendre dans la première des six sections, intitulée Les momies d’Égypte, que compte l’exposition.

…et d’ailleurs, d’ailleurs !

Car vous vous en doutez bien – ou le savez bien –, on retrouve des momies dans d’innombrables cultures du monde : vous croiserez la reconstitution d’un tombeau Fali du Cameroun, où le mort était enterré en position assise, ou bien de mignonnes petites tzantsas, ou « tête réduite », objets rituels réalisés à partir de têtes humaines chez les Achuar (Pérou)… En Papouasie-Nouvelle-Guinée, par exemple, les gens mourraient, mais ne disparaissaient pas, littéralement. Ainsi peut-on voir une photo, datant de 1955, d’un jeune enfant jouant avec « Mamie » le plus naturellement du monde ! Si la momification est rituelle chez de nombreux peuples, on a découvert que le procédé pouvait aussi être « accidentel », certaines régions du monde favorisant le processus, comme en Sicile, où la situation insulaire de l’Etna, avec son souffre et le sel de mer notamment, permet une meilleure conservation. Ou comme les corps dits des tourbières, trésors archéologiques essentiellement retrouvés en Europe du Nord, et dont un des plus célèbres exemples est exposé à Draguignan : le pied gauche de l’Homme de Tollund, qui vécut entre les IVe et IIIe siècles avant J-C.

Vous apprendrez que la momification était devenue une « mode » chez les aristocrates européens, et que parmi les premiers à « subir » ce traitement fut Charles Quint. Vous verrez des objets qui n’ont parfois jamais été exposés – 90% de l’exposition est inédite – comme la plaque qui recouvrait le cœur de Louis XIV ou le reliquaire de Richard Cœur de Lion ! « À certaines époques, Victorienne notamment, la mort était partout », explique le commissaire, jusqu’à voir apparaître dans les salons des objets incongrus, tel ce guéridon anatomique confectionné avec un certain goût macabre et offert à Napoléon III – sous une vitrine, trônent un morceau d’intestin et une oreille momifiées, quelques touches de matière cérébrale ici ou là, plus un peu de sang pour la couleur !

Autopsie d’une momie

Rassurez-vous, aucune table en métal avec sa lampe scialytique n’est installée au beau milieu de l’exposition… Cela étant, bien que cette monstration autour de la momie revête une dimension spirituelle, cultuelle et culturelle, impossible de faire l’impasse sur la vaste dimension scientifique du sujet. On apprend notamment que certains apothicaires utilisaient dès le Moyen-Age des morceaux de momies dans leurs préparations, la croyance leur donnant alors quelques « pouvoirs »… Ou encore que certains artistes utilisaient des morceaux de reliques pour créer des couleurs uniques, comme ce rouge nommé brun de momie. Le peintre Pau de Saint-Martin aurait ainsi, selon la légende, utilisé une partie du cœur de Louis XIV pour son tableau Paysage au moulin, dit Vue de Caen, exposé à l’HDE Var.

Grâce à des lunettes 3D, l’exposition offre la possibilité de visualiser la constitution d’une momie virtuelle et les offrandes qui l’accompagnent, d’entendre la voix d’Henri IV recomposée à partir de son pharynx et de ses fosses nasales, ou aussi de découvrir les méthodes scientifiques qui ont permis de reconstituer en 3D le visage de la jeune personne qui se trouve dans un Fardo précolombien exposé.

Même si, pour traiter d’un sujet sérieux, le ton ici adopté se veut léger, il faut tout de même savoir que cette exposition, imaginée à l’occasion du 200e anniversaire de la découverte de la clé de déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion en 1822, a été conçue par Philippe Charlier dans l’absolu respect des morts présentés ; certaines parties des corps (visage, sexe…) sont ainsi parfois cachées à la vue du visiteur. Momies, les chemins de l’éternité est une exposition passionnante et, malgré son sujet, à découvrir en famille – la dernière section La malédiction des momies est notamment dédiée à la pop culture –, qui d’une certaine façon dédramatise cette étape inéluctable de la vie qu’est la mort, et donne matière à réflexion sur le sens à lui donner.

10 juin au 25 sep, Hôtel des Expositions du Var, Draguignan. Rens : hdevar.fr

photo : vue de l’exposition Momies, les chemins de l’éternité © Nicolas Lacrois, CD83

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