La route du bonheur

La route du bonheur

Qu’elle est tortueuse cette route à laquelle nous convie le Musée Fragonard à Grasse dans son exposition rétrospective de l’œuvre de Jean-Baptiste Mallet !

Inspirée du titre d’une huile sur toile, La route du bonheur dans le mariage, réalisée peu après 1800, ce ne sont pas moins de 80 tableaux ou gravures qui sont présentés. Nombre d’entre elles rendent compte d’un esprit malicieux qui, dans la période révolutionnaire, déjoue codes et conventions tout en feignant de s’y soumettre. C’est là toute l’ambiguïté de ce virtuose de la peinture de genre que l’on redécouvre depuis l’acquisition récente de ses œuvres par plusieurs musées internationaux.*

Jean-Baptiste Mallet naît à Grasse en 1759. C’est ici que naquirent Fragonard et Marguerite Gérard à l’époque du triomphe de la peinture de genre. Ses gouaches inspirées de sujets galants et de scènes mythologiques connurent vite le succès et Edmond de Goncourt vit chez le peintre «le dernier représentant de la gouache, de cet art tout XVIIIe siècle, et qui ne survécut pas à la monarchie». Dans les soubresauts de la période révolutionnaire, ce sont aussi des aquarelles avec une même maîtrise de l’exécution pour les plis des corsages, la délicatesse des tissus et dans la subtilité des gestes du quotidien. L’apparence est frivole et pourtant le libertinage n’est plus de mise. Dès lors Jean-Baptiste Mallet, sous couvert de glorifier la vertu selon le principe révolutionnaire, joue de malice et d’un semblant de naïveté pour introduire dans ses compositions, des indices et des symboles qui nient ce qu’elles semblent représenter. La sagesse d’une scène familiale se voit alors troublée par une aura libertine si bien que l’on doit toujours se forger sa propre interprétation.

Le Dessinateur en Italie, vers 1792, gouache, 25×33,2 cm, Grasse, musée d’Art et d’Histoire de Provence © DR

L’ambiguïté est totale. Si l’artiste peut sembler encore se situer dans la mouvance de la monarchie, la place qu’il accorde à la figure féminine anticipe et même accentue l’idée révolutionnaire. La femme est ici au centre d’une œuvre qui s’offre tel un théâtre du quotidien, avec les tâches qu’elle accomplit et son rôle maternel. C’est l’histoire de la femme française qu’il écrit, celle qui a le pouvoir d’éduquer et donc de conquérir l’avenir. Jean-Baptiste Mallet est le chroniqueur de ces années complexes avec ses cérémonies secrètes et ses dessous sulfureux qui travaillent l’ordre social.

Plus tard, au début du XIXe siècle, il peint de vastes compositions dans une scénographie rappelant parfois la peinture hollandaise ou des rencontres dans le cadre de jardins aux parfums de Fragonard, des scènes bucoliques nimbées de douceur, de mythologie et d’idéalisation. Pourtant deviendra-t-il le chantre du style troubadour par de nombreux rappels à l’architecture gothique avec ses vitraux qui en adoucissent la lumière. Le peintre ne s’arrête pas au néo-classicisme alors en vogue pour anticiper déjà le préromantisme. L’exposition relate quelques décennies d’histoire et nous fait découvrir la singularité d’une œuvre qui ne renie rien de la perfection du dessin et de la délicatesse des couleurs. Une belle découverte par le grand bonheur d’une peinture heureuse derrière ses ombres.

Jusqu’au 2 oct, Musée Jean-Honoré Fragonard, Grasse. Rens : fragonard.com.com

photo Une : La Pudeur les couvre de son voile, vers 1820, huile sur toile, 32,5×40,5 cm, Montpellier, Musée Fabre © DR