Jazz à Juan, le patriarche

Jazz à Juan, le patriarche

S’il y a bien un festival de jazz historique en France, c’est celui d’Antibes-Juan-les Pins ! En 1960, c’est même le seul qui existait et raflait la mise avec des légendes alors jeunes et fringantes qui auront laissé des souvenirs définitifs et gravé des disques mythiques : Mingus at Antibes, Miles Davis, mais aussi une Ella Fitzgerald sidérante qui chante avec les cigales !

Cela n’a plus rien à voir aujourd’hui, mais parmi les mille festivals qui jalonnent l’été, ce 61e Jazz à Juan, du 6 au 19 juillet, représente encore et toujours une merveilleuse palette de cette musique, surfant à travers les continents, les styles, et les générations.

Quelques exemples ? Herbie Hancock – ça ne se voit pas, mais il a passé les 80 ans –, l’un des inventeurs du jazz modal, des accords suspendus qui font frissonner (c’était déjà lui à la pinède Gould avec Miles en 63), et dix ans plus tard, héros du funk ! La veille, le 17 juillet : Joey Alexander, enfant prodige, du reste adoubé par Herbie, qui a enregistré son premier disque à 12 ans et stupéfié toute la communauté du jazz. À 19 ans, il n’est déjà plus un « espoir » mais un virtuose virevoltant. Voilà pour les pianistes. Sans oublier Tigran Hamasyan, virtuose lui aussi qui mêle la tradition afro-américaine avec les harmonies et les rythmes impairs et dansants de son Arménie d’origine.

Les chanteuses parsèment aussi le festival. Des noms prestigieux : Diana Krall et Stacey Kent, et surtout, pour ouvrir ce bal, Cecile McLorin Salvant. Une voix immense et voluptueuse qui vous enveloppe à la première syllabe, passant insensiblement du parler au chanter, racontant toutes sortes d’histoires, avec une nostalgie légère, une gaieté contagieuse et parfois une ironie citronnée : elle est évidemment la Diva du moment !

Le jazz latin est présent avec des ambassadeurs de classe comme le sextet de Chucho Valdes et Paquito D’Rivera, vieux complices qui font vivre et grandir la tradition cubaine. Chucho même s’il voyage beaucoup a choisi de faire sa vie à La Havane. Paquito est installé près de New York depuis 40 ans. Mais ensemble, ils ont fondé le groupe Irakere en 1973 où fleurissaient à merveille le piano percussif de Chucho et la clarinette caressante de Paquito ! Trois jours auparavant on aura entendu Roberto Fonseca, pianiste lui aussi, et chanteur, qui enivre les salles et passe, en quelques secondes, de la suavité sensuelle à la danse qui transpire et rit.

On ne peut citer tous les artistes qui seront à Juan, il y en a tellement, mais n’oublions pas le vétéran Charles Lloyd. Saxophoniste de blues à la fin des années 50, figure du mouvement West Coast, leader d’un quartet qui en 1966 engage un pianiste de 21 ans encore inconnu, Keith Jarrett, il nous fait en un clin d’œil parcourir toute l’histoire du jazz ! Et la douceur de son ténor, le souffle spirituel de ses autres instruments, flûte ou hautbois oriental, comme ce taragot rouge qu’il affectionne, nous monte à la tête en quelques secondes !

Seulement des Américains à Juan ? Non ! L’Europe est bel et bien là, car on écoutera avec enthousiasme le magnifique Supersonic de Thomas de Pourquery qui explore et réinvente l’héritage cosmique de l’américain Sun Ra. L’excellent Hugh Coltman, chanteur anglais qui se remémore l’univers de Dr John et le folklore de la Louisiane, aurait également dû être de la partie, mais la soirée du 11 juillet a été annulée…

Enfin, rappelons aussi qu’Antibes-Juan-les-Pins vibrera durant tout l’été au son de tous les jazz, avec près d’une cinquantaine d’évènements musicaux gratuits, grâce aux marching bands qui sillonneront les rues et lors des Jammin’Summer Sessions qui se tiendront à la Petite Pinède et au Kiosque à Musique !

6 au 19 juil, Pinède Gould, Antibes. Rens : jazzajuan.com

photo : Jazz à Juan © Gilles Lefrancq