
29 Juin Un Prince de la photo à Monaco
Présentée par le Nouveau Musée National de Monaco, à la Villa Sauber, l’exposition Newton, Riviera déploie 280 travaux du photographe allemand Helmut Newton, né Helmut Neustädter, le 31 octobre 1920 à Berlin. Elle délimite, de 1981 jusqu’à sa disparition en 2004, une tranche de vie géographique tant professionnelle que personnelle qui s’étend de la Côte d’Azur jusqu’à l’Italie (Bordighera).
En 1938, après avoir fui le régime nazi, (sur)vécu à Singapour, travaillé grâce aux faveurs d’une riche bienfaitrice, après avoir émigré en Australie où il fut naturalisé et y a rencontré sa femme June Browne – devenue photographe sous le nom d’Alice Springs –, après avoir baladé son objectif à travers le monde entier, Helmut Newton finit par se stabiliser dans le Marais, à Paris. Mais subitement, le voici qui, ayant passé le gué de la soixantaine, débarque à Monaco en 1981 pour emménager dans un immeuble du quartier de Monte-Carlo : «J’aime le soleil ; il n’y en a plus à Paris». Dès lors, calfeutré au 19e étage de son building et depuis sa terrasse, tour de contrôle panoramique, il se postait en faction pour scruter la vie, les gens d’en bas.
Armé de son objectif implacable, l’œil cyclopéen les capturait puis les fixait sur pellicule à tout jamais, tel un entomologiste… Capture en abyme, car une fois les photos «prises», leurs tirages livrés au public emprisonnent le regard. D’où vient la fascination qu’ils déclenchent et ce désir clandestin de retourner «voir» encore pour en percer l’insondable mystère ? Riche de son histoire familiale dynamitée par la tragique séparation d’avec les siens au lendemain de la Nuit de cristal en 1938 (il ne reverra jamais son père), l’éternel juif errant issu de la haute bourgeoisie berlinoise, sans attaches, mais partout chez lui, s’employa désormais à dynamiter la charte des convenances et de la pudeur dans la très conformiste industrie de la mode. Et de mettre en scène avec méthode, rigueur et classe d’interminables mannequins luxueusement déshabillés, toujours plus nus, dans les poses les plus incongrues.
En 1976, apparaissait l’expression «porno chic» à propos d’une de ses premières expositions personnelles. Il savait aussi mettre «à poil», en leur tirant le portrait, la personnalité intime d’intouchables stars : Deneuve, Warhol, Jagger… Il exécutait ce que lui demandaient les magazines : «Je n’ai pas l’intention de faire de l’art ; j’ai toujours travaillé sur commande…» Certes, mais avec l’œil d’un pro, profondément artiste, bien qu’il s’en soit toujours défendu. Un artiste sous influence surréaliste : Legs coming home, Monte-Carlo (1987), ou une paire de jambes sur talons hauts débarrassée de tout le haut du corps, franchissant le pas de porte ; Untitled, Saint-Tropez (1975), gros plan de la tête d’une femme géante bouche entrouverte, gisant sur le sable. Deux scaphandriers lilliputiens l’ont escaladée. «Mets ton habit scaphandrier, Et dans le cerveau de ma blonde Tu vas descendre, que vois-tu ?» (1)
Et dans le cerveau de Newton, que voit-on ? Un monde oppressant et turbulent où la nuit, créatures dominantes et glorieuses, érotisme SM, uniformes, cordes et cuir, chiens, meurtres et cadavres remontent tranquillement du fond des eaux froides d’un passé, jamais passé. Descente en plongée libre du 17 juin au 13 novembre 2022.
Jusqu’au 13 nov, Villa Sauber – Nouveau Musée National de Monaco. Rens : nmnm.mc
(1) La Chanson du scaphandrier, composée et interprétée par Léo Ferré, texte de René Baer
photo : Helmut Newton, Legs coming home, Monte-Carlo 1987, Tirage jet d’encre / Fine Art Inkjet Print, Collection Helmut Newton Foundation, Berlin © Helmut Newton Foundation