Botox(s), ou l’altitude des arts

Botox(s), ou l’altitude des arts

Le réseau BOTOX(S) dresse depuis de nombreuses années une cartographie de la production artistique sur le territoire azuréen. Voilà peu, son périmètre d’action s’est étendu vers la Ligurie, mais aussi vers les Alpes du Sud. C’est au cœur de ces dernières, que Botox(s) nous a convié à la découverte des structures qui ont rejoint son réseau.

D’une vallée à l’autre, dans la confrontation d’une roche verticale et d’un ciel minéral, des villes ou villages de pierres et d’ardoises ponctuent un parcours où, sur des millénaires, circule l’intelligence des hommes. Cette histoire se lit à travers les paysages ou les architectures qu’elle a dessinés et dont nous éprouvons encore la trace. C’est pourtant l’art actuel qui, dans toute sa diversité, dissémine aujourd’hui sur tout un territoire, ses prémonitions de l’avenir. Qu’il se mesure au passé ou bien qu’il anticipe les mutations d’un monde en mouvement, l’art contemporain, dans sa promesse de formes nouvelles et de langages insoupçonnés, est déjà une itinérance qui nous transporte du réel vers l’utopie. C’est par elle que notre regard se construit, que nos idées à l’aune de nos idéaux se nourrissent par la puissance des matières, par la fulgurance des lignes ou des couleurs. À moins que l’œuvre ne se livre à nous par la seule grâce de son dépouillement et du retrait méditatif qu’elle suscite.

Une étape à Digne permet en effet de visiter la maison d’Alexandra David-Néel et du Musée attenant, à la charnière de l’art et du cheminement bouddhiste. Femme d’une totale liberté, elle fut chanteuse d’opéra avant de devenir la voyageuse passionnée qui fut la première femme à découvrir le Tibet. Le Musée relate à travers documents et objets d’art, la vie de cette centenaire qui méprisa toutes les conventions pour la seule recherche de la spiritualité à partir de la découverte du bouddhisme. Écrivaine prolixe et célébrée, Alexandra David-Néel diffusa la doctrine de Bouddha aux Occidentaux et l’exposition de l’été, La vie du Bouddha, présente une sélection d’objets du Musée Guimet – stupa votifs, statuettes et précieuses peintures tibétaines sur tissu.

Maison d’Alexandra David-Neel © Gérard Lucas

C’est à l’orée de Digne que se développe le CAIRN, Centre d’Art Informel de Recherche sur la Nature. Depuis plus de 20 ans, dans la montée du Parc Saint-Benoît, des salles d’exposition s’attachent à faire collaborer artistes et scientifiques. Créé à l’initiative du Musée Gassendi et de l’UNESCO Géo-parc de Haute-Provence, ce centre d’art contemporain propose des résidences d’artistes, car sa vocation consiste à faire émerger des œuvres en relation avec l’histoire humaine, les traditions d’un espace et ses liens avec la topographie, la géologie ou les plantes. Dans Ma famille Pouldingue, Ilana Halperin s’est intéressée aux relations entre la vie quotidienne et les roches à partir d’investigations sur des sites mais aussi d’un travail sur les archives et les témoignages des habitants. Ses Carnets de terrain constituent le journal d’une œuvre en devenir, l’observation du quotidien et l’immersion d’un paysage dans le vécu et ce que celui-ci suscite comme émotion ou mémoire. Elle écrit : « J’ai pleuré devant le Mur d’ammonites. Tant de vies différentes, et ici elles sont toutes exposées. Il y a deux ammonites qui ont l’air de se tenir dans les bras l’une de l’autre. » Les pierres et fossiles s’imprègnent de poésie tandis que l’artiste en collaboration avec une artisane écossaise présente des voiles de textiles colorés par lesquels vie, eau et minéraux se conjuguent. C’est désormais avec Brandon Ballengée, artiste et biologiste, que l’aventure du CAIRN se poursuit pour une nouvelle exposition.

oeuvres de Bernard Moninot © MMd

Si l’on poursuit sa route jusqu’à Gap, on découvre le Musée départemental des Hautes-Alpes, vaste bâtisse au milieu du Parc de la Pépinière. Ici l’art ancien épouse les créations contemporaines tout en laissant une large place à l’Histoire Naturelle ou à l’archéologie. Et ce n’est pas le moindre charme du lieu que de faire se côtoyer un cheval empaillé avec une peinture abstraite et bien d’autres surprises! Dans Des retours d’odyssées, le musée présente une sélection d’œuvres contemporaines de Nicolas Daubanes ou de Jacques Paris. Chaque artiste raconte ici ses explorations, ses découvertes et témoigne toujours d’une aventure inédite. Une salle entière est consacrée à un dialogue entre Bernard Moninot et l’écrivain Bernard Noël. Une série de 57 dessins d’arbres se développe comme les images d’un film avec le passage progressif du noir et blanc vers la couleur, du fil léger du crayon jusqu’à l’épaisseur du trait. On ressent alors le rythme des saisons et, à la fin, le temps qui se désagrège comme éclats de verre. Peu à peu le poète prend le relais, les voix se superposent et ne serait-ce que pour l’émotion d’une telle rencontre, il ne faut pas rater ce rendez-vous !

Pleine lune en poissons, Exposition anniversaire Jagna Ciuchta + invité.e.s, Les Capucins, Centre d’art contemporain, Embrun 2022 © François Deladerrière

Pour célébrer la 10e année d’existence du Centre d’Art des Capucins, c’est vers Embrun qu’il faudra se diriger. L’ensemble des artistes ayant exposé dans cet ancien couvent ont été invités à participer à une œuvre de Jagna Ciuchta : Peine lune en poissons. Un titre pour un rappel de la naissance de ce lieu sous les joyeux augures de ce signe astrologique ! L’exposition se présente telle une architecture déterritorialisée, dépourvue de centre et dans laquelle chaque œuvre interprète son autonomie dans le souffle du collectif. L’artiste s’insère ainsi dans un rhizome par lequel les œuvres présentées perdent leurs racines et s’ouvrent à de nouvelles représentations pour une signification inédite.

L’art ne saurait être l’apanage d’un lieu, aussi prestigieux soit-il. Pour le rencontrer, il suffit d’arpenter la montagne ou n’importe quel village. L’art ne connaît aucun désert si ce n’est celui de ceux qui ne l’ont pas rencontré. Dans ce périple sud-alpin, autant d’édifices, d’arbres, de pierres ou de sculptures nous appellent, pour peu que nous sachions les voir et les écouter. Il faut partir humblement à leur découverte avec toujours au cœur la pèlerine du pauvre et le bâton du randonneur. Bonne route de l’art !

Rens: botoxs.fr

photo : The Mineral Body, Ilana Halperin, 2013 © Neil McLean, National Museums Scotland. Avec l’aimable autorisation de Patricia Fleming Projects