Cassandra mène la danse

Cassandra mène la danse

Le Ballet Nice Méditerranée donne le coup d’envoi de sa saison 2022-2023, avec deux représentations de Cassandra, d’après le roman éponyme Kassandra de l’autrice est-allemande Christa Wolf publié en 1983, sur une chorégraphie de l’italien Luciano Cannito, familier de l’Opéra de Nice, de la Scala de Milan, du Metropolitan de New-York… Rendez-vous les 9 et 10 septembre.

Inspiré par l’ouvrage où Wolf prend ses distances avec le récit homérique en montrant comment les esprits sont conditionnés pour entrer dans un conflit, puis influencés, une fois que la guerre éclate. Entre répression et propagande, la réalité se distord. À son tour, Luciano Cannito s’empare du mythe d’Homère et de la guerre de Troyes, remonte vers les années 50 et déplace la trame historique en Sicile, dans un village perdu à l’abri du progrès et sous le joug de mœurs patriarcales encore régies par d’inflexibles lois ancestrales, où ce sont les hommes qui dictent le sort des femmes. Jusqu’à l’arrivée du monstre télévision, envahissant cheval de Troie infiltré dans les demeures qui pulvérisera toute une culture.

Dans le livre de Wolf, en proie à des visions, Kassandra l’héroïne allemande, symbolise la résistance à la guerre en rappelant celle qui menaçait entre l’Est et l’Ouest, du temps de l’administration Reagan et dans un contexte de Guerre Froide en pleine montée. De l’oppression politique, à l’oppression des hommes sur les femmes, le chemin est court… En sœur contemporaine de Cassandre dans l’Iliade, Cassandra la sicilienne pressent un sombre avenir pour les gens de sa communauté que ses funestes prédictions laissent pourtant dubitatifs… Parce que cela ne sert à rien de prévoir, de toute façon, on n’évite pas. Le drame adviendra.

Au gré de la musique composée par Marco Schiavoni, le ballet se déploie et déplie les mouvements d’une danse, tour à tour folklorique, néo-classique, contemporaine, scandée par des extraits d’œuvres qui alternent entre époques, pays et genres différents, de Saint-Saëns, Prokofiev, Honegger à… Elvis Presley, le King ! Cassandre était « la plus belle des filles de Priam et d’Hécube, belle comme Aphrodite« . D’Apollon elle reçoit le don de prédire l’avenir, mais repousse ses avances. Dépité, il lui crache dans la bouche. Dès lors elle ne pourra plus jamais se faire comprendre ni être crue. Éric Vu Han, Directeur artistique du Ballet Nice Méditerranée depuis 2009, a travaillé avec Marco Schiavoni à maintes reprises et pour l’occasion se remettra dans les pas du personnage d’Enée, amoureux de Cassandra.

Double ration en ce début de saison

Gardez un peu d’espace mental pour aller voir, du 30 septembre au 6 octobre, Rhapsody, sur la musique de Rachmaninov, chorégraphié par l’argentin octogénaire Oscar Araïz, pointure légendaire du monde de la danse qui s’y voit comme la petite branche « d’un arbre généalogique« . L’homme admet sans gêne avoir « volé Paul Taylor et Maurice Béjart qui le stimulait, avoir été influencé par le théâtre de Tadeusz Kantor, le cinéma de Kurosawa, Antonin Artaud et la peinture« . C’est dire la richesse intérieure de cet artiste et l’intensité de ses chorégraphies.

Un double programme qui verra le Ballet Nice Méditerranée enchaîner avec Démons et Merveilles, inspiré de l’intemporel chef-d’œuvre du cinéaste Marcel Carné, Les Visiteurs du soir (1942). Dans une chorégraphie de Julien Guérin et sur une mosaïque musicale de Maurice Thiriet, Joseph Kosma, Ernest Bloch et Max Richter, nous voici immergés dans l’univers fascinant d’un plateau de tournage dans les sinistres années 40 où foisonnaient trahisons et dénonciations qui le disputaient aux actes de bravoure les plus héroïques et désespérés… Parce que la danse transcende les horreurs les plus indicibles et sublime la beauté de sa grâce éternelle.

Cassandra : 9 & 10 sep 20h
Rhapsody + Démons et Merveilles : 30 sep au 6 oct. Opéra de Nice.
Rens: opera-nice.org

photo : Cassandra © Dominique Jaussein