Le pouvoir des fleurs

Le pouvoir des fleurs

Les Fleurs du Mâle… C’est le très joli nom offert à l’exposition qui se tient au Musée International d’Art Naïf Anatole Jakovsky, et présentée dans le cadre de la Biennale des Arts de Nice 2022 autour de la thématique florale.

Étrange contraste que cette sulfureuse appellation baudelairienne pour un lieu d’exposition qui, lui, revendique son identité d’art naïf… Il vous resteune petite quinzaine de jours pour aller découvrir les nombreuses surprises et les mystères qu’elle renferme, car les portes de son monde romantique, mais pas que, seront définitivement closes le 19 septembre. Comme l’avait souligné Jean-Jacques Aillagon, commissaire général de la Biennale : « Le Musée International d’Art Naïf Anatole Jakovsky a confié « un très beau commissariat d’exposition à Élodie Antoine qui a intitulé son exposition Fleurs du Mâle, avec une sorte de dialogue entre les œuvres de la collection d’art naïf et des œuvres contemporaines, une remarquable création végétale, une sorte de tableau de cactus sur la terrasse du musée…« 

Point de départ du parcours par une présentation d’Anatole Jakovsky (né en 1907 à Chisināu) qui vous accueille « en personne » et en peinture avec une première toile énigmatique d’Eva Lallemant (1914-1991) qui annonce la couleur. Puis petit tour d’horizon de la donation de 600 œuvres qu’il avait léguées au musée, permettant son ouverture en 1982, peu avant sa mort en 1983. On peut y voir toute une série de portraits déclinée par nombre artistes proches de cet homme qui fut critique d’art, écrivain, collectionneur et porte-drapeau convaincu de l’art naïf français. Une mise en espace de mobilier, une profusion d’objets d’art populaire, de cartes postales et autres carnets, donne l’impression de visiter les appartements privés des époux Jakovsky et de ressentir comme une sensation de proximité avec leurs occupants.

Gravir quelques marches et nous voici en immersion dans l’univers chamarré de 23 artistes qui, tous, ont cultivé ou cultivent avec art, la manière de s’emparer du thème fleur, au prisme de leur désir et de leurs fantasmes interdits, voire explicites. Telle la photo sans équivoque du japonais Araki (Sans titre, 1998), extraite de la série Vaginal Flowers. Et il y aura de quoi faire, entre peintures, dessins, photos, céramiques et diverses installations, dont celle de Genesis Belanger, (In Good Taste, 2021), où se morfondent des fleurs artificielles condamnées à ne jamais flétrir dans la lueur chétive de bougies, tout aussi factices ; au visiteur le soin de décrypter le sens caché de ces œuvres insolentes et lascives qui s’offrent paisiblement à lui.

Il y a aussi la terrasse. C’est là que Ghada Amer, artiste égyptienne diplômée de la Villa Arson, née au Caire en 1963, à la fois peintre, sculpteuse, brodeuse, céramiste, présente Cactus Painting, spectaculaire tapisserie géométrique verte et rouge plantée de cactus alignés au cordeau, dont la première version date de 1997. Ghada Amer explique : « L’idée du Cactus Painting c’est une référence à l’abstraction, très carrée, très cartésienne que j’associe à des peintres que j’aime beaucoup, mais ce sont des hommes, donc c’est toujours ma critique envers la peinture où c’était un espace où les femmes étaient absentes pendant très longtemps et n’ont pas conçu cette manière de peindre… L’hommage au carré que je reprends est très symbolique de cette époque où la modernité s’était faite sans les femmes. » Et d’ajouter, rieuse, à propos de cette multitude de mini cactus qui de toute évidence rappellent des phallus : « C’est ma seule structure de nus masculins, et les délimitations se font avec d’autres cactus colorés. Tous mes jardins sont politiques. Et dans un sens, mon art est politique puisque c’est de la peinture qui en même temps, est une réflexion à la non – présence des femmes en peinture… C’est un acte très délibéré. » Artiste féministe engagée, et assumée, Ghada Amer a gaiement tiré le fil de son aiguille pour tisser une broderie végétale qui pique, là où ça fait… mâle. Mal comme les piquantes aiguilles du cactus. Le monde entier est un cactus… Aïe aïe aïe ! Ouille ! Aïe !

Art naïf, vraiment ? Encore 15 jours pour répondre à la question.

Jusqu’au 19 sep, Musée International d’Art Naïf Anatole Jakovsky, Nice. Rens: biennalearts2022.nice.fr

photo : Cactus painting, 1998-2022, Ghada Amer © Elodie Antoine, 2022