04 Oct Saint-Laurent-du-Var : petits meurtres entre amis
Écrivain solo ou à quatre mains, Éric Giacometti est également scénariste de bandes dessinées et membre historique de la célèbre Ligue de l’imaginaire. Après un ex-douanier, un ex-flic et une ex-juriste, c’est au tour de cet ex-journaliste de présider le Festival du Polar de Saint-Laurent-du-Var. Rencontre.
Laurence Fey : Qu’est-ce qui vous a décidé à accepter la présidence du Festival du Polar de Saint-Laurent ?
Eric Giacometti : Avec mon complice Jacques Ravenne, nous avons plusieurs fois été invités d’honneur dans plusieurs salons. Mais dans la région, c’est la première fois. Contrairement à d’autres salons du polar en France, le choix des genres est multiple à Saint-Laurent. C’est très ouvert, à l’image de ce que l’on trouve dans une bonne librairie.
Vous étiez journaliste (1) et vous avez enseigné au CFPJ à Paris (Centre de perfectionnement des journalistes) alors que vous étiez déjà romancier ?
Oui, j’étais déjà écrivain et scénariste depuis 10 ans. J’étais formateur en alternance et je suivais des promotions. Nombre de journalistes se lançant dans l’écriture de romans ne savaient comment se faire publier et je leur donnais des pistes.
Vous n’hésitez pas à vous déplacer dans le monde entier pour consulter des archives sur place. Vous faites donc encore des enquêtes journalistiques pour vos livres ?
J’étais à Londres en repérage pour mon prochain livre, et il y a peu à Washington. C’est un vrai plaisir d’aller sur le terrain. Effectivement cela ressemble à mon ancien métier. Je suis plus à l’aise pour écrire quand je connais le lieu, les détails, les ambiances. Quand je lis un livre et que je me rends compte que l’écrivain n’a pas mis les pieds dans le lieu qu’il décrit et s’est contenté de recherches sur internet, ça se sent tout de suite et ça coupe la lecture.
Vous auriez pu garder vos deux activités de journaliste et d’écrivain. Comment le choix s’est-il imposé à vous ?
Certains romanciers abandonnent leur précédent métier au premier succès. Ils se sont tellement rêvés écrivains qu’ils arrêtent trop tôt et parfois se plantent. De mon côté, j’ai attendu que ma carrière soit bien installée. Arrivé au million d’exemplaires vendus, je me suis senti assez confirmé pour arrêter le journalisme ! Et puis, quand j’écris un scénario pour la série Largo Winch, c’est du full time, je ne pourrais exercer une autre activité.
Se lancer dans un roman, pour vous, cela représentait quoi au départ ?
C’était une échappatoire, dans un quotidien à l’actualité très anxiogène. Je m’évadais dans les bouquins. Certains auteurs se réalisent dans la souffrance, ils mettent leurs tripes, moi c’est tout le contraire, j’écris dans le plaisir. Mon premier livre – Pannes de cœur – je l’ai écrit pour réparer une injustice, et c’était jouissif. Avec Jacques Ravenne, on veut ouvrir une fenêtre dans la grisaille, proposer un ciel plus étoilé !
Être traduit dans 17 langues, cela change-t-il votre rapport avec vos lecteurs ? Avec vos « collègues » ? Cela impacte-t-il votre façon de concevoir vos livres ?
Non, du tout, ça ne change rien. Nous sommes dans un métier très inégalitaire. Vous vous retrouvez avec des gens dont c’est le métier et qui vendent moins et d’autres dont ce n’est pas le métier premier et qui sont davantage lus. Il n’y a pas de fraternité comme dans le journalisme. Les livres ne trouvent pas toujours leur public. Avec Jacques, avant tout, on se fait plaisir, et notre public le sent. Notre domaine, c’est le thriller historico-ésotérique. On s’ancre dans la réalité, mais il y a une grande part de rêve. Nous aimons basculer dans des époques qui fascinent.
La famille du polar est tellement vaste : par exemple, les lecteurs de Karine Giebel (2) et les nôtres ne sont pas du tout les mêmes et n’attendent pas du tout les mêmes choses. Quel que soit le genre du polar, l’essentiel c’est d’être authentique et sincère. L’offre éditoriale est déjà énorme, d’un éclectisme fascinant. Prenez le Malice domestic, un polar familial, qui se joue à huis clos. Rien à voir avec nous non plus !
« Jacques Ravenne et moi
sommes des chuchoteurs de secrets »
Vous avez à cœur de sortir vos lecteurs de leur quotidien via le mystère ?
Le mystère, c’est le ressort premier de nos bouquins. Comment bâtir un mystère qui emporte notre lecteur ? En arrimant une partie du livre dans le réel, dans l’actualité, comme l’an passé avec les gilets jaunes, et dans l’Histoire, le pédagogique. Dan Brown n’a pas cette part de réel dans son œuvre. L’ensemble des fruits de nos recherches figurent d’ailleurs dans nos livres. Nos lecteurs aiment aller plus loin et certains nous recontactent s’ils ont à leur tour trouvé des éléments supplémentaires. Le dialogue avec nos lecteurs se poursuit au-delà du livre ! Récemment encore un lecteur m’a donné une référence sur un lieu et des personnes d’une loge franc-maçonne. Si c’est intéressant, j’y consacrerai un chapitre.
Vous l’avez dit, vous êtes donc l’heureux scénariste du best-seller Largo Winch. Reprendre après le créateur Jean Van Hamme a dû être un défi. Comment se passe la collaboration avec Philippe Francq qui vous a choisi ?
J’en suis à mon 3e album et le 4e sort l’année prochaine. La collaboration avec Philippe Francq se passe vraiment très bien même si je ne suis pas scénariste à vie ! Comme dans mes livres, mes scénarios sont plus en lien avec le réel, avec un arrière-fond économique, qui colle à l’air du temps, aux préoccupations du moment, comme l’environnement. L’univers est moins macho également. Je garde le spectaculaire bien entendu. C’est un peu comme les James Bond avec Daniel Craig, ils avaient évolué dans le même sens.
Être scénariste de BD est-ce très différent d’être auteur ou coauteur de roman ou de documentaire ?
Je travaille sur un très gros album de BD de 200 pages avec Irène Frachon (3), à paraître chez Delcourt en janvier. Je retourne à mes démons de journaliste. Cela va coller avec le procès en appel du Mediator. Mon premier procès, c’était déjà avec Servier, ça marque une carrière de journaliste ! On était déjà dans un polar, avec des menaces, des barbouzeries… La réalité dépasse bien la fiction dans ce domaine.
Vous êtes également membre historique de La Ligue de l’Imaginaire (4).
Outre la promotion de l’imaginaire, les prix décernés, cela nous permet quelques clins d’œil. Dans plusieurs de nos bouquins, nous glissons les noms de certains membres de la ligue, comme Olivier Descosse par exemple, un grand ami, qui est également présent pendant ce Festival.
Dans le domaine du Polar, il y a des tandems célèbres – comme Boileau & Narcejac, Preston & Child, Nicci French… Comment procédez-vous à quatre mains ?
Le tandem modèle pour nous, c’est Lapierre & Collins (5), des auteurs de thrillers extraordinaires. Avec Jacques Ravenne, c’est une écriture à 4 mains, mais avec 2 lignes de narration. Celle de Jacques se déroule dans le passé, la mienne est contemporaine. Ces deux lignes temporelles sont notre marque de fabrique. Nous établissons un plan très précis, avec des correspondances. Il faut que tout cela fasse sens et soit cohérent.
J’aime travailler en équipe comme naguère au sein d’une rédaction, je suis plus stimulé en équipe. C’est dommage qu’en France il n’y ait pas assez de duos. Cette stimulation, je la retrouve avec Philippe Francq, avec Irène Frachon. Les labos pharmaceutiques, ce n’est pas ésotérique du tout, mais on est également en osmose. L’important c’est de partager les mêmes fascinations, les mêmes détestations, les mêmes centres d’intérêt, la même passion pour le sujet défendu. J’aime l’idée des pools de scénaristes pour les séries. Bill Clinton et James Patterson ont livré un excellent polar – Le Président a disparu. Ce type de duo ne se fait pas (encore) en France. Et il manque aussi un espace pour échanger davantage sur le métier de romancier.
Parlez-nous de votre dernier livre, Le Royaume perdu avec votre complice Ravenne ?
Ce livre sera présenté en avant-première à Saint-Laurent ! Sans trop dévoiler, on y parle notamment du Livre d’Hénoch et de textes apocryphes, récits religieux qui datent d’au moins 2 000 ans, qui n’ont pas été admis par les religions de la même époque à part l’église éthiopienne. On croise de nouveau présent et Histoire, manuscrit perdu et ordinateurs quantiques, aux pouvoirs et aux enjeux colossaux. Ce type d’ordinateur va tout bouleverser et résoudre des problèmes insolubles actuellement. Imaginez un Rubik’s cube de la taille de Paris, avec des milliers de facettes ? Capable de résoudre en une minute des problèmes comme le réchauffement climatique ou de trouver des solutions énergétiques qui changeraient toute la donne ? Imaginez la course effrénée que se livrent Google, Amazon, la Chine et autres pour être les premiers sur cette avancée monstrueuse ? Nos lecteurs aiment ces croisements entre passé et présent, et découvrir les rapports entre eux. Ravenne et moi aimons à dire que nous sommes des chuchoteurs de secrets…
(1) Ancien chef de service du journal Le Parisien.
(2) Précédente présidente du Festival du Polar, spécialiste du thriller psychologique et des sujets de société.
(3) Pneumologue qui a joué un rôle clé dans l’affaire du Mediator.
(4) Collectif créé en 2008, qui regroupe vingt membres et une secrétaire, et promeut l’imaginaire dans les œuvres et le monde moderne.
(5) Deux anciens journalistes également.
L’ASSASSIN HABITE À SAINT-LAURENT
Quatrième édition du désormais très établi Festival du Polar de Saint-Laurent-du-Var. Après la talentueuse Karine Giebel l’an passé, c’est donc au tour du non moins émérite Éric Giacometti, de présider l’événement.
À ses côtés, du 8 au 9 octobre 2022, 34 auteurs de romans policiers et de nombreuses animations à découvrir. À Saint-Laurent-du-Var, on met les petits meurtres dans les grands. Afin de ravir les amateurs de thrillers, la ville a effectivement eu la riche idée de lancer son Festival du Polar, voilà 5 ans déjà. Temps fort de l’automne, la 4e édition présente un programme à rebondissements.
Du théâtre inquiétant
En guise de cliffhanger du Salon, le 7 octobre se jouera Fausse note, une pièce de théâtre inquiétante de Didier Caron, dans un face-à-face étrange et oppressant où se confrontent Pierre Deny et Pierre Azema.
Des enquêtes stupéfiantes
Ensuite, plongée dans le noir, dès le samedi 8 octobre. Si l’inauguration a lieu vers midi, vous pourrez dès 10h : faire dédicacer vos livres par vos auteurs préférés, mener une enquête à huis clos ou vous adonner à la réalité virtuelle, vous initier à des jeux de société dans le thème du salon ou encore jouer au fin limier sur une scène de crime en échangeant avec des professionnels – agents de police technique et scientifique –, et en testant diverses techniques d’investigation : recherche d’ADN, d’empreintes… Le dimanche 9, en plus de toutes les animations démarrées le samedi, assistez au concert de Ted & CO Trio qui revisite des musiques de films policiers et des standards de jazz.
Un café bien noir
Parmi les débats organisés dans ce Café Polar, retrouvez un entretien avec Éric Giacometti, notre président de cette édition 2022 (voir inter-view), mais aussi une table ronde sur le thème du Polar au féminin ou encore Les auteurs azuréens du Polar.
Une salle d’audience haute en crimes
Animée par des journalistes et une chroniqueuse littéraire, partagez des archives criminelles et des entretiens avec des spécialistes.
Des partenaires d’affaires
Cette année, le Salon met un éditeur à l’honneur : Albin Michel. Plusieurs auteurs de cette grande maison seront d’ailleurs présents et une expo-sition grand format mettra en valeur un échantillon de couvertures de ses ouvrages historiques.
La Cinémathèque de Nice est une habituée de ce festival : elle y propose une exposition d’affiches emblématiques de sa collection.
Des auteurs à frissons
Parmi les 34 auteurs présents : des habitués comme Sonja Delzongle, des locaux comme Jean Emelina, des primés comme Olivier Descosse, des figures de l’ethno-polar comme Julie Ewa, des réalisateurs, scénaristes et même acteurs, comme René Manzor… Ces 34 auteurs ont au moins trois dénominateurs communs : le goût de l’imaginaire, le plaisir de la lecture et l’envie de transmettre. Laissez-vous surprendre !
7 au 9 oct, salle Louis Deboulle, Saint-Laurent-du-Var. Rens : saintlaurentduvar.fr
photo : Eric Giacometti © Chloe Vollmer-Lo