[L’Anthroposcène] Liberté, Sobriété, Prodigalité

[L’Anthroposcène] Liberté, Sobriété, Prodigalité

Ce qui est fascinant avec les mots, c’est qu’on peut leur faire confiance jusque dans la forme pour être fidèles à ce qu’ils véhiculent. 

Sobre… 

Il y a dès la prononciation, une formidable économie. De son, d’articulation, d’intensité. Un mot-murmure. Pas fun dès la mise en bouche. Et pourtant des occurrences à foison, dans les médias et autres agoras, depuis que la fin de l’abondance a quasi le statut de décret présidentiel.

La sobriété, concept honni depuis l’avènement de l’ère petrol addict.

Un certain Pierre Rabhi avait pourtant réveillé son antique statut de vertu cardinale.

Car la sobriété est tempérance, modération, retenue. 

A l’instar d’un Épicure en son Jardin, le philosophe-paysan avait souhaité réhabiliter « la mesure en toute chose » via l’habile concept de « sobriété heureuse ». Habile, car l’oxymore du plus grand nombre allait devenir le motto d’une minorité qualifiée de décroissante.

Mais ça, c’était avant. Les marginaux d’hier sont devenus les experts d’aujourd’hui.

Le Covid est passé par là. Et pire que le Covid : le GIEC !

Je ne vais pas reprendre ici les arguments objectifs qui justifient le constat de la « descente énergétique » dans laquelle nous sommes entrés, non sans une soudaine inflexion inquiétante. L’empreinte CO2 est devenu l’étalon de nos activités. Soit. Mais nous continuons à nous comporter comme les aveugles autour de l’éléphant. Car le problème n’est pas que le C02. Tout s’effondre. Et toutes les limites sont franchies, les fameux 9 équilibres planétaires : effondrement de la biodiversité, acidification des océans, usage des sols… Faut-il vraiment démontrer encore et encore l’urgence à la modération dans nos productions comme dans nos consommations ? Plutôt que d’être le énième à vous faire la leçon, je préfère conserver mon téléphone une onzième année supplémentaire et aller avec les anciens déposer mon verre et mon papier dans les points d’apport volontaire. Je laisse le soin à Christine Magnan et Abdelatif Azdine de nous rappeler ici à quel point la modération est souhaitable tant sur le plan de l’énergie que sur celui des humeurs. Pour souhaiter une longue vie à l’humanité, nous pouvons justement nous appuyer sur la recette de la longévité des sages de l’antiquité : manger à moitié, marcher le double, rire le triple… Aimer sans limite.

Il me reste juste quelques signes sur cet édito pour nuancer un peu cette histoire de sobriété. La conscience de la finitude des ressources terrestres est une chose, le droit au dépassement des limites existentielles en est une autre. Il y a dans la sobriété cette acception particulière qui n’est pas la mesure mais l’abstinence. Abstinence de psychotrope, et plus particulièrement d’alcool. Je veux conserver à l’égard de la sobriété la liberté de l’exercer ou non. Je revendique mon droit à l’ivresse et à l’hubris. Je veux conserver la liberté d’en user sans un TrackMyWatt qui vient fliquer ma consommation d’électricité, avec peut-être demain les amendes qui vont avec. Je veux user de ma volonté de puissance. Même si je ne suis pas une femme, je veux pouvoir courir avec les loups. Ok Baloo, il en faut peut pour être heureux. C’est déjà mon cas, si peu porté à la consommation en dehors des biens de première nécessité. Je veux pratiquer quand il me chante la sébriété, néologisme que me souffle soudain cet excellent Médoc du soir, et que je veux définir comme une ivresse choisie. Je tiens à être responsable mais je refuse une vie étriquée et veut faire mien les mots de Yannick Haenel (dernier livre paru cette année chez Gallimard : Trésorier-Payeur) dans le dernier Philosophie Magazine :
« la prodigalité est une manière de rejoindre ce qui anime l’Univers lui-même, qui à chaque instant s’ouvre en excédent. » 

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