Photographier les vodous

Photographier les vodous

Il y eut à la fin du XIXe siècle cette vogue de la photographie spirite avec ses fluides et ses spectres comme si, dans ses balbutiements, l’objet même de la photographie ne consistait pas tant à clouer le réel dans une représentation figée, mais plutôt d’en extraire « la part maudite » pour reprendre les mots de Georges Bataille. De la chambre noire au négatif d’où surgira l’image après qu’elle aura subi l’action d’un « révélateur », c’est alors toute une histoire qui se construit autour de la matérialité de l’image ou de ses fantômes.

À la fois cinéaste et photographe exposée dans d’importantes institutions internationales, Catherine De Clippel pourrait s’apparenter à une photographie de l’informe si, au contraire, elle ne s’était associée avec des anthropologues pour, à travers le vodou, explorer les notions de contemporanéité et ce qui peut en résulter dans le concept même de la représentation d’un monde.

Dans l’ouest du continent africain, parmi d’autres rituels animistes, le vodou demeure une pratique contemporaine en décalage avec la positivité du monde occidental. Il nous rattache à ces flux de la raison et des sensations si chères à Aimé Césaire, par l’inscription d’une réponse collective face au malheur et de la magie blanche ou noire au cœur du quotidien. Reprenant ainsi ce qui fascina les surréalistes et des écrivains tels que Georges Bataille et Michel Leiris, Catherine De Clippel sonde les rituels et les représentations de ce vodou dont la traduction est « l’inconnaissable ».

Dans ses photographies s’impriment ces forces contraires avec des dieux qui protègent ou attaquent, dans un monde flottant de formes indistinctes et de matières répugnantes. Il ne s’agit pas pourtant pour elle de s’en tenir à une vision documentaire, mais de faire surgir dans le corps même de la photo les notions de seuil et de trace. Aussi les images sont-elles au plus près de ce que la pratique du vodou peut aujourd’hui nous enseigner. Dans un noir et blanc parfois indistincts, les photos sont livrées brutalement aux murs ou bien adossées les unes aux autres dans l’espace, sans cadre, comme de simples hypothèses dans leurs relevés de signes terreux, de récipients troubles, de ligatures, de vie et de mort.

La représentation de l’au-delà dans les failles du temps et dans la matérialité d’un autre espace se conjugue au souvenir des arts premiers — telle est cette quête à laquelle la photographe nous convie comme pour une méditation sur la nature même de l’objet photographique. De la chambre noire à la lanterne magique, l’on s’obstina à vouloir capturer la réalité. Pourtant la photographie à l’instar de tous les arts, ne livre-t-elle pas dans le monde d’aujourd’hui sa propre part « d’au-delà » ? Ce que désigne le vodou par ce mélange de fascination, d’attraction et de répulsion qu’il exerce sur nous, c’est aussi le pouvoir des images qui ne cesse de hanter nos jours ou nos nuits.

Jusqu’au 5 fév, Centre de la photographie de Mougins. Rens: centrephotographiemougins.com

photo : Vodou Djagli, Tournage du film Les Dieux-Objets, 1989, Séko, Togo, Tirage jet d’encre sur Rice paper Hahnemühle, 90 x 135 cm © Catherine De Clippel