Nos trajectoires

Nos trajectoires

5e édition du festival Trajectoires initié en 2019 par Pierre Caussin, directeur du Forum Jacques Prévert de Carros, où l’engagement et les récits de vies tiennent une place prépondérante dans des spectacles qui concernent en premier lieu les jeunes, qu’ils soient sur scène ou spectateurs et parties prenantes de temps d’échanges intergénérationnels.

De la formation, grâce à l’ERAC à Cannes par exemple, à la création rendue possible par des temps de résidences au Théâtre La Licorne à Cannes ou à l’Entre-Pont à Nice notamment, à la production que soutient particulièrement le Forum Jacques Prévert de Carros, et enfin à la diffusion proposée en de nombreux lieux partenaires, ce festival renforce de fait la création et en consolide les étapes. C’est un tour de force, bien que mené en douceur, avec une programmation fine et sensible, truffée de créations récentes, et prompte à enclencher confidences, échanges philosophiques, considérations politiques et sociales, par le biais du témoignage et du récit intime.

Jeanne Balibar, seule en scène, retrace dans Les Historiennes le parcours de figures féminines — dont le sien en filigrane —, par le prisme de l’Histoire, pour rendre compte des difficultés qu’ont rencontré, et rencontrent toujours, de nombreuses femmes à faire entendre leurs voix et leurs opinions. Et c’est aussi en retraçant les grandes époques politiques françaises que l’on réfléchit au chemin qui a mené à nos vies démocratiques d’aujourd’hui, notamment avec les pièces Génération Mitterrand et La vie et la mort de Jacques Chirac, Roi des Français par la Cie Animaux en Paradis. Là, dans les années 80, nous sommes embarqués dans le récit de l’avènement d’un parti politique fort tant espéré et d’une époque mitterrandienne qui aura, par sa durée et par le charisme de l’homme, marqué une génération (au moins), désormais tiraillée dans ses opinions et ses choix. Et comme figée sur une frise chronologique, l’année 1983 nous réapparaîtra avec la Cie Nova, Margaux Eskenazi et Alice Carré à la plume, dans une pièce ultra énergique qui met en lumière les politiques mises en œuvre dans les quartiers populaires à l’époque, sur fond de violences policières.

À hauteur d’enfant, plusieurs pièces racontent des quotidiens que l’on n’osera plus qualifier d’anodins. Avec Bastien sans main, d’Antonio Carmona et Olivier Letellier, nous vivons la difficile intégration d’un petit garçon en classe de maternelle, que son institutrice va tenter d’aider, sans parfois se figurer ce qui adviendra. Et c’est dans une cour de collège que David Lescot pose son histoire avec J’ai trop d’amis. A chaque âge son langage, ses convictions et ses mots, à prendre au sérieux plutôt que comme un nuage qui passe, à un moment où ces êtres en devenir sont en pleine construction de ce qui sera le socle de leur vie et confrontés au terrible regard du collectif, tel que l’école sait parfaitement le mettre en scène.

Et en grandissant apparaissent aussi les histoires terribles, celles qu’on ne raconte pas ou à mi-mot, comme la Cie Hippolyte a mal au cœur le restitue dans L’Endormi. Un récit mêlant narration et rap, où une petite fille est confrontée à la mort de son grand frère, caïd et victime d’un règlement de compte. Et de ce temps de l’enfance, nous gardons tous les souvenirs de nos parents et de leur relation, de ce qu’on ne saura jamais et ce qu’on aurait préféré ne jamais savoir : Mes parents de Mohamed El Khatib rend compte des ressentis de ces grands enfants, avec pour terreau, le regard que l’on porte sur nos aînés si proches, et qu’on n’épargne rarement.

Nos trajectoires se vivent en commun, parfois sans se croiser et c’est donc une formidable idée que de proposer des cafés-philo et apéros-conférences à l’issue de certains spectacles, pour que le lien se fasse en effet et que nos trajectoires se mêlent. Pour de vrai.

12 jan au 11 fév, Forum Jacques Prévert (Carros), Théâtre National de Nice, Théâtre de Grasse, Médiathèque de Mouans-Sartoux, Scène 55 (Mougins), Théâtre La Licorne (Cannes), L’Entre-Pont, la Villa Arson et Le 109 (Nice). Rens: forumcarros.com

photo : Bastien sans main © Christophe Raynaud de Lage

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