« Ce qui nous arrive ici, en plein visage »

« Ce qui nous arrive ici, en plein visage »

Voici, selon l’expression de Théodore Monod, l’intitulé d’une recherche en deux temps proposée par le Centre de la photographie de Mougins : la première partie s’intéressait aux travaux de Catherine De Clippel sur les vodous (voir La Strada n°350), la seconde, à ceux de Marie Baronnet autour de la frontière américano-mexicaine.

À l’heure actuelle, l’information circule à une vitesse telle que tout s’enchaine très vite. Notre attention ne parvient pas à s’attacher à un fait, au contraire, s’en détache rapidement pour se porter sur un autre, puis un autre. Pour finalement nous amener à juste effleurer un certain nombre de sujets, sans nous autoriser à en approfondir pleinement la problématique. Et c’est là qu’intervient le temps long du reportage, qu’il soit écrit, photographique, audio ou filmé. La photographie documentaire a ceci de fascinant qu’elle nous donne à voir en détail et sous un angle personnel une problématique contemporaine. Comme cette exposition Amexica, présentée au Centre de la photographie de Mougins par Marie Baronnet, photo-journaliste indépendante pour la presse française et américaine installée à Los Angeles depuis 2011, qui propose une série nous conduisant à la frontière séparant les États-Unis et le Mexique, ligne géographique où se dresse une muraille malheureusement connue de tous. 

Rien n’est dans ce corpus photographique laissé dans l’ombre, tout est montré, sans détour, de part et d’autre de ce mur imposant séparant deux peuples mais surtout des individus dont la naissance d’un côté ou de l’autre de la frontière a de fait défini leur place dans un conflit absurde. Entre objets récupérés en morgue, portraits situationnels, détails, les couleurs franches et contrastées de Marie Baronnet donnent à voir une réalité dérangeante et interrogatrice, car il s’agit ici d’humains, de femmes et d’hommes, de part et d’autre. Certains motivés par une pulsion de vie quand les autres le sont par une pulsion de mort. Les uns s’échappant de leur territoire quand les autres « protègent » le leur. De jour, de nuit, sans aucun répit d’un côté comme de l’autre. À l’instar d’un Matt Black dépeignant dans son dernier ouvrage, American Geography, la précarité extrême des Américains aux quatre coins du pays, Marie Baronnet s’inscrit dans ce courant photographique du documentaire portant un regard neutre, purement informatif, tout en pointant les paradoxes de cette situation et le caractère intenable d’une quelconque justification. 

Un documentaire éponyme à l’exposition, Amexica: le monde de la frontière, est également projeté pour la première fois au public depuis sa diffusion sur Arte en 2021. Il suit le parcours de deux familles mexicaines au quotidien. Ce travail — tant la série que le documentaire — a débuté en 2009 et dépeint les vicissitudes qui sont le lot quotidien de ces « frontaliers ». Une bonne occasion de s’attarder, de s’informer sur une problématique complexe qui s’éternise et dont nous sommes les contemporains impuissants. Brian Agnès

4 mars au 4 juin, Centre de la photographie de Mougins. Rens: centrephotographiemougins.com
© Marie Baronnet

Miroir, outil de communication entre migrants Naco, Mexique, 2010