28 Fév Drôles de jeux de rôle
À Nice, la Villa Arson reçoit l’artiste Danielle Brathwaite- Shirley, dans le prolongement de sa résidence de création, pour l’exposition Before They Were None, un titre qui lui a été inspirée par la lecture du livre d’Agatha Christie, And They Where None (Ils étaient dix). Explications.
« Il n’y a pas un.e seul.e noir.e dans ce bouquin… Quand je me suis penchée sur cette comptine, je suis tombée sur ce livre raciste des Dix petits nègres, rempli d’images horribles style Banania, et je me suis aperçue que ce qui était vraiment offensant, c’était ce qui entourait le livre plus que le livre lui- même« , explique l’artiste, performeuse et conceptrice de jeux vidéo britannique, née à Londres en 1995, dont l’esthétique pixellisée rappelle les jeux vidéo des années 1990. « Ce livre est la source d’un éternel tourment pour les Noir.es. Il y a un effacement qui fait mal, ça fait mal de savoir que cette histoire a existé et que ça a eu sans doute un vrai impact sur les Noir.es… Et ce qui m’a donné envie de faire ces 10 films et ces jeux, c’est cette scène incroyable dans le jeu vidéo Death Stranding, un paysage qui n’arrête pas de changer, tout ce qui se passe autour, et vous entendez cette conversation depuis ce point très réel. »
Entrer dans le monde de Danielle Brathwaite-Shirley, 1er Prix de la Slade School of Fine Art University College London (2015-2019), revient à s’immerger dans un univers inédit, totalement déroutant. Elle exerce dans l’animation, le son, la performance, les jeux vidéo. Sa démarche vise à répertorier la vie des personnes noires trans, dans un mélange réalité-fiction à travers les jeux vidéo, la technologie, le texte et la couleur, en concevant des contrées interactives totalement inexplorées. Ce faisant, ces espaces alternatifs placent leurs utilisateurs/visiteurs face à de véritables cas de conscience qui soulèvent la question de l’identité en les confrontant à la responsabilité de leur prise de décision. Il est ainsi possible de réorienter l’histoire, d’en changer la perspective, à tout moment. Le résultat débouche sur une sorte d’œuvre participative.
« J’ai décidé de devenir artiste après avoir vu beaucoup de mes amis être en quelque sorte oubliés, et une grande partie de ma communauté être effacée de l’histoire, et une partie de moi voulait prendre l’habitude d’enregistrer, d’archiver, et de se souvenir de la communauté trans noire dans son ensemble« . De même, l’artiste refuse la fatalité du malheur et de la mort communément admise au sein de sa communauté. « On compte parfois plus quand on est mort.e que quand on est vivant.e… Comme si effectivement on attendait le moment du meurtre… Les gens s’attendent à nous voir mourir vite… Je voulais que dans toute l’exposition il y ait cette idée de mort, de grande tristesse avec tous ces corps et la perspective que vous alliez assister à leur mort. Et il se trouve que toutes les pièces, tous les jeux parlent en fait de gens qui survivent et non pas qui meurent !… Dans ces jeux que j’ai créés, vous attendez l’instant de la mort, qui ne vient jamais, quoique vous fassiez« , poursuit Danielle Brathwaite-Shirley… « Chacune des « morts » est basée sur les morts du livre d’Agatha Christie, sur la comptine, j’ai tout simplement réécrit la comptine… On ne voit jamais une personne trans mourir tranquillement dans son sommeil à 70 ans, c’est extraordinaire on ne nous dit jamais ça« . Grâce à la technologie, l’outil numérique et l’engagement de son art, Danielle Brathwaite-Shirley est en train de changer les règles du jeu.
Jusqu’au 7 mai, Villa Arson, Nice. Rens: villa-arson.fr
Détails, Danielle Brathwaite-Shirley, 2023 © Danielle Brathwaite-Shirley