01 Mar « J’adore l’idée de rassembler par la danse »
Hervé Koubi parcourt les scènes du monde, inlassablement aux côtés de ses danseurs : l’Europe mais aussi les États-Unis dont il revient d’une 18e tournée. Régulièrement, il retrouve la région de son cœur pour permettre au public de partager ses créations. Nous l’avons rencontré.
En mars, la Compagnie Hervé Koubi sera à Vallauris (et à Chateauneuf de Grasse en avril) avec Boys don’t cry, présentera Les Nuits Barbares lors du Grasse Hip Hop Dance Festival, avant d’achever son épopée en mai à Fréjus où sera donnée Odyssey, une pièce à laquelle il convie l’une des plus belles voix du monde arabe, la chanteuse belge d’origine anglo-égyptienne, Natacha Atlas. Un emploi du temps bien chargé qui répond au désir de rencontres avec le public… et dans lequel il a accepté de marquer une pause pour discuter avec nous de son travail chorégraphique.
« Actuellement plusieurs pièces sont inscrites au programme de vos tournées. Comment se situent-elles dans l’évolution de votre travail chorégraphique ?
Je les chéris toutes. Elles sont toutes très différentes ; certaines sont la suite l’une de l’autre, d’autres sont des virages, des ruptures même. Il y a toujours une immense remise en question même quand une pièce comme Les Nuits Barbares est la suite de Ce que le jour doit à la nuit. Certaines créations sont des évidences, d’autres sont nécessaires. C’est une question de moment sur le chemin sinueux que l’on trace chaque jour. Je suis quelqu’un qui est pétri de doutes : c’est peut-être un élément de force, c’est aussi un élément de faiblesse. Mais je crois que c’est par le doute, le questionnement, qu’on avance, pas par les certitudes. Pour moi, c’est ça une création : se bagarrer avec ses propres certitudes et découvrir finalement qu’on révèle quelque chose, autre chose de soi et autre chose des autres.
Vous présentez sur scène une danse extrêmement spectaculaire qui demeure pourtant profondément humaine…
Je suis beaucoup plus sensible à la sincérité de mes danseurs qu’à leurs prouesses techniques. Je propose à mes danseurs de ne pas avoir peur de leur part de féminité… Il s’agit déjà de savoir ce qu’est la part féminine. Je ne suis pas sûr que le féminin soit fragile car c’est dans ces moments-là qu’ils sont justement plus vrais, plus puissants, que les corps parlent et racontent le mieux. La seconde chose est que je préfère parler d’une danse athlétique, physique. Je parle beaucoup de physicalité. C’est vrai que les corps sont engagés. Je suis resté fidèle au gamin qui a adoré danser, je suis resté fidèle à cet amour sincère de la danse. Nos danseurs sont de vrais collaborateurs artistiquement. Quand on a la chance d’être une compagnie qui tourne beaucoup, qui voyage beaucoup et qu’il y a un travail très athlétique, cela demande une vigilance et une exigence des danseurs envers eux-mêmes. Il y a très peu de blessés grâce à un échauffement particulier, un entraînement régulier assez gymnique, beaucoup d’étirements, du yoga, un peu de sophro, beaucoup de cardio : des choses basiques mais qui permettent de protéger les danseurs. Il y a des limites qu’il faut savoir percevoir.
Vous travaillez actuellement à une nouvelle création, Sol Invictus. Quel en sera le thème ?
Il est difficile de parler d’une création en cours. Je la vois comme un élan. Je la présente de différentes manières. Je résume mon travail à rassembler par la danse. J’ai envisagé Sol Invictus en annonçant aux danseurs que nous allions faire une pièce comme s’il ne restait plus que ça à faire avant que le monde ne s’éteigne, comme une sorte de dernière danse d’espoir, ou comme si l’on devait faire une dernière chose, ou si l’on convoquait une dernière fois la lumière, les beaux jours. Pour nous, danseurs, notre façon de le faire sera de danser, et de danser ensemble. Aujourd’hui, je ne m’encombre plus du tout d’une thématique. Je veux passer outre les histoires d’identité qui ont nourri mon travail sur ces dix dernières années, J’ai toujours une équipe très métissée mais ce n’est plus un sujet pour moi. Finalement, je veux présenter une pièce de danse, juste de danse comme je l’aime.
Cette pièce sera co-produite par les Ballets de Monte-Carlo…
Oui, j’ai eu la chance de rencontrer Jean-Christophe Maillot avant la crise sanitaire. Cette rencontre compte énormément. Son amitié m’est très précieuse : ses conseils, nos échanges informels sont une chance. Quand tu sors de son bureau, tu as des ailes. Jean-Christophe Maillot a un œil extraordinaire. C’est un vrai booster, artistiquement et humainement.
Vous êtes également artiste associé au Théâtre de Grasse…
C’est une très belle collaboration. On y a joué Odyssey, on va y jouer Les Nuits Barbares. On y a aussi donné Hippocampe, une création inattendue qui a peut-être désarçonné le public qui nous suit. J’ai eu envie de faire une pièce avec deux danseurs seulement et deux enfants. J’ai eu envie de donner à voir au public comment se passait la recherche du mouvement, l’inspiration. J’ai essayé de transformer la scène en un laboratoire d’analyse : c’était une vraie expérience très particulière. Le Théâtre de Grasse est un endroit bienveillant qui m’a autorisé à prendre un risque et à surprendre le public. J’espère qu’il y aura d’autres rassemblements dansés comme le Bal métissé : j’adore l’idée de rassembler par la danse. Ce sont des moments émouvants. Il faut l’énergie, la musique, trouver quelle histoire je vais raconter. Puis à chaque fois, le public me donne son enthousiasme et ça m’embarque. À chaque fois, c’est très émouvant. »
Rassembler par la danse est également une vision commune avec Jean-Christophe Maillot. Leur devise pourrait bien être : F(ê)aites de la danse !
Boys don’t cry : 18 mars 18h, Le Minotaure, Vallauris – 1er avr 20h, Terrasse des Arts, Chateauneuf de Grasse
Les Nuits Barbares : 31 mars 20h, Théâtre de Grasse
Odyssey : 27 mai 20h30, Théâtre Le Forum, Fréjus
Rens: cie-koubi.fr
photo : Odyssey © Frédérique Calloch