Sans collier

Sans collier

Un titre comme une prédiction, Michèle Pedinielli n’aurait pu choisir meilleur titre pour son dernier roman. Pas d’entrave ni de retenue dans cette écriture qui déroule le parallèle des cani sciolti, des anti-conformistes, deux côtés de la frontière italienne.

Parler d’un livre mais ne pas en dévoiler l’intrigue, expliquer sa substance et conserver son mystère, pour vous le faire aimer. Je n’aurai nul besoin de trop d’effort tant l’entrelacement des histoires rend leur narration irremplaçable. Terminée la verticalité exprimée dans La patience de l’Immortelle, densifiée la détermination échevelée de Diou dans Boccanera. Michèle Pedinielli installe ses personnages baroques au cœur de notre déshérence. Loin des clichés azuréens, elle situe dans un Nice authentique et violent le parcours orbe de son enquête.

Mais elle relie l’histoire déterminée d’une jeunesse italienne toute de beauté et d’intelligence aux calculs mesquins, aux instincts vulgaires et sanglants que perpétue l’ordre établi. Ce va-et-vient dans le temps et la solitude des faibles qui les réunit nous laisse dans une perplexité grandissante. Où veut-elle aller, comment va-t-elle relier ces destins qui se brisent pour les uns et se forgent pour les autres ? La quête patiente de Diou glisse lentement dans un cloaque où ses héros magnifiques et décalés abondent. Toutes leurs transgressions, les phobies et les handicaps ne sont que des remparts contre leurs solitudes et la peur obsidionale de ressembler à la multitude.

Le monde de Diou Boccanera est fait d’une humanité qui n’a ni code ni calcul, un monde de chaleur et de temps qui file. Et la boucle de la vie, cruelle et injuste revient sans cesse pour terminer des histoires qui finissent mal. Lentement, avec pour seule arme une altérité qui rassemble, les mystères se résolvent et la douleur augmente. Ne cherchez pas l’espoir, n’attendez pas l’allégresse, elles sont absentes comme pour ces « cani sciolti » qui courent après la justice. Les coupables ne sont pas toujours les plus puissants et les vainqueurs demeurent absents. Mais dans les odeurs que l’on devine, la pénombre du vieux Nice qui se rit du ciel et impose ses ombres, on se surprend à goûter une absence banale, celle de ces bonheurs jamais croisés. Si nos vies ne sont pas toutes peuplées de Dan et de Jo, elles ont sûrement, enfouies dans nos silences les mêmes accents de tristesse heureuse. Semblable à un Philippe Marlowe privé de ses poings, la détective Diou Boccanera incarne le personnage nostalgique de l’héroïne qui n’en est pas une.

Si Léo Malet se perdait dans les arabesques du Paris d’avant-guerre, tout en banalité qui parfois dérape, Michèle Pedinielli, elle, nous raconte un Sud sauvé seulement par son soleil. Elle est l’auteur d’une ville, comme George Pelecanos l’est de Washington et Ian Rankin d’Edimbourg. Et comme eux, elle préfère aux certitudes intellectuelles des enquêteurs surdoués, l’échec pour les uns et la douleur pour tous.

Sans collier de Michèle Pedinielli (éditions de L’Aube, coll. Aube Noire)