Monaco : les aventuriers du cinéma amateur

Monaco : les aventuriers du cinéma amateur

Monaco est une terre de cinéma. Au cœur de son Cabinet de curiosités, l’Institut audiovisuel de Monaco présente une exposition qui retrace 100 ans d’une certaine caméra et d’une certaine pellicule : Le Pathé-Baby et les films en 9,5 mm. Zoom sur cette Histoire du cinéma amateur à Monaco, visible jusqu’au 29 décembre, avec Estelle Macé, responsable de l’action culturelle de cet Institut.

Laurence Fey : Parlez-nous du rôle de votre Cabinet de curiosités, installé au sein de l’Institut audiovisuel de Monaco ?
Estelle Macé : En 1997, se crée l’Association des Archives audiovisuelles de la Principauté de Monaco, pour devenir en 2018 l’Institut audiovisuel. Cet institut a deux missions majeures : une première mission de « mémoire », d’archivage cinématographique et audiovisuel de Monaco, et un second rôle de diffusion du cinéma d’art et d’essai de qualité, de tous horizons, via le cycle annuel de films baptisé Tout l’art du cinéma. Ces films sont projetés dans plusieurs salles comme celle du Théâtre des Variétés. Depuis 2020, les nouveaux locaux de l’Institut se sont enrichis d’une Petite salle et du Cabinet de curiosités. La Petite salle est un lieu d’échanges : elle abrite des conférences, des projections de toutes les formes d’expression du cinéma, complémentaires du cycle de films Tout l’art du cinéma. On y diffuse des films d’archives et expérimentaux. Des films « à la marge » ou sur les débuts du cinéma. À l’occasion de notre exposition, nous y projetons un florilège de films Pathé-Baby et des films amateurs 9,5 mm, tournés à Monaco entre 1925 et 1972. Quant au Cabinet de curiosités, il permet à la fois de monter des expositions thématiques et de montrer tout au long de l’année la richesse de nos archives photographiques, sonores et cinématographiques ainsi que de nombreux objets et matériels techniques.

Pour l’exposition thématique de cette année, le centenaire des films en 9,5 mm et de la caméra Pathé-Baby s’est imposé ?
Tout à fait, ce centenaire nous a guidés, car ce format de cinéma en 9,5 mm a été pensé tout spécialement pour les amateurs. Dans nos collections, l’on trouve énormément de films de néophytes, une création fondatrice de la pratique du cinéma amateur. Nous sommes membre associé de la Fédération internationale des archives du film, membre de la Fédération des cinémathèques et archives de films de France, et reliés au réseau Inédits, une association européenne. Nous avons travaillé avec Inédits ainsi qu’avec la Fondation Pathé, qui a mis à notre disposition un grand nombre d’archives. Nous avons donc bénéficié de tout ce travail de documentation.

Vous disposiez alors d’un fonds conséquent : comment avez-vous sélectionné les films présentés au public ?
La Fondation Pathé nous a confié quelques films techniques sur l’utilisation du matériel, et des objets. Le CNC (Centre national du cinéma) nous a prêté entre autres deux projecteurs. Mais les fonds patrimoniaux d’amateurs proviennent uniquement de l’Institut. Il s’agit de dépôts constitués par les familles, les pères ou grands-pères. Cela représente 200 films réalisés en 9,5 mm, soit 30 h de films ! Nous ne pouvions malheureusement pas tout diffuser, alors nous avons opéré une sélection. Nous avons divisé ces films en trois périodes de réalisation. Les premiers s’étalent de 1925 à 1932. Il s’agit des Premiers pas des cinéastes et de leurs modèles. Comment apprendre à filmer ? Comment rester naturel devant la caméra sans durée de temps quand on est habitué à poser pour une photo, statique ? Deuxième période, avec un focus sur Monaco et ses environs de 1932 à 1950, puis la dernière, Monaco et ses environs de 1950 à 1973, avec l’arrivée des films sonores et en couleur.
La période avant la Seconde Guerre mondiale est très émouvante, car on observe tous ces moments joyeux filmés alors qu’on est à la veille d’une autre époque. Et l’on mesure bien toutes les évolutions architecturales de Monaco également. Pour les films datant des années 60 et 70, c’est très émouvant également, pour d’autres raisons. Car, que l’on soit de la famille des acteurs ou pas, les films agissent comme un miroir, nous rappellent nos propres souvenirs, les visiteurs se retrouvent… Les images sont diffusées sur de petits écrans pendant l’exposition, mais à certaines dates fixes, les films sont visibles sur grand écran, commentés, dans la Petite salle.

Ce format en 9,5 mm et cette caméra ont vraiment trouvé leur public ?
Ce format était très précurseur. 25 ans après les débuts du cinéma, il est resté très utilisé alors que d’autres formats co-existaient. Il plaisait beaucoup aux amateurs, car il offrait une meilleure qualité d’images. Les formats en 8 ou 16 mm coûtaient plus cher de surcroît. Le 9,5 mm a donc perduré. Pathé a de plus perfectionné son matériel : les premières caméras étaient à manivelle et sur pied. Il a mis un moteur à ressort pour éviter d’utiliser ce pied puis a livré des accessoires afin de pouvoir incruster des titres, faire des gros plans, un peu de montage, réparer la pellicule endommagée… Tous ces accessoires rencontraient un grand succès. Quand on aime être cinéaste, on apprécie quand la technique suit ! Et quand les particuliers possédaient aussi le projecteur Pathé-Baby, ils pouvaient adjoindre à leurs films familiaux le catalogue de films et documentaires Pathé pour des séances de « cinéma chez soi »…

Avec cette exposition, vous rendez hommage à la fois aux amateurs, aux inventeurs et revendeurs de Pathé ?
Effectivement. Cette exposition zoome aussi sur cette technique, et comment elle s’est implantée à Monaco, auprès des amateurs et dans les magasins. Nous avons retrouvé la trace des boutiques qui vendaient le matériel Pathé dans les années 20 et l’on expose les photos de ces boutiques-là. L’un des plus anciens cinéastes amateurs, Joseph Tournay, filmait souvent la vie à Monaco. Dans la rue, il attirait les curieux, faisait la publicité du matériel en direct et donc en vendait beaucoup ! Charles Pathé utilisait les méthodes commerciales modernes et il a notamment embauché d’anciens opérateurs de films afin de démarcher les photographes et les boutiques d’optique. D’ailleurs, notre Cabinet de curiosités fait un clin d’œil à Charles Pathé lui-même, qui a vécu dans les années 30 à Monaco. Nous exposons quelques photos prêtées par la famille.

Nous montrons aussi la richesse plastique des photographies. Via des scans à très haute définition, nous avons agrandi l’image jusqu’à 32 fois. Cet arrêt sur image permet de voir les détails, les arrière-plans, et de mettre en avant la richesse documentaire. Ce centenaire montre vraiment une aventure industrielle, commerciale, à fort impact culturel. Il apporte un regard sociologique très parlant sur cette époque.

Une exposition qui dure 10 mois, c’est plutôt rare ?
C’est l’occasion de travailler en profondeur sur un axe de nos collections. Cela représente un travail très conséquent de trois ou quatre mois. Difficile alors de proposer plus d’une expo par an. Nous ne sommes pas un musée, nous ne sommes pas ouverts le week-end. Donc notre public n’a pas encore le réflexe de venir nous voir, ou alors un public qui ne travaille pas en semaine. C’est pour cela que nous organisons des visites en dehors des horaires habituels afin de permettre à un public plus large de profiter de nos collections.

Jusqu’au 29 déc, lun au ven, 10h-17h30 (17h, le ven). Diffusion de films dans la Petite salle (sur réservation) et visite guidée de l’exposition (11 mai, 15 juin & 13 juil 18h30). Institut audiovisuel de Monaco, L’Engelin, Monaco. Rens : institut-audiovisuel.mc & toutlartducinema.mc

photo Une : Cabinet de curiosités, exposition « Le Pathé-Baby et les films en 9,5 mm – Une histoire du cinéma amateur à Monaco » © Philippe Fitte – Institut audiovisuel de Monaco

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