23 Mai Les 20 ans du Peu, une fierté collective
Un festival d’art contemporain dans un village peu connu de l’arrière-pays niçois, il fallait oser ! Il y a cru passionnément et 20 ans plus tard, son initiateur Jean-Marie Audoli, maire de Bonson à l’époque, peut être fier de cette belle expression du vouloir-vivre ensemble qui offert un sacré éclairage sur la riche création contemporaine de notre région. « La culture c’est l’âme de la démocratie et sans culture il n’y a pas de démocratie« , déclare-t-il.
Créé donc en 2003 par Jean-Marie Audoli, sur une idée de Jean Mas, artiste de l’École de Nice, le Festival du Peu sera accueilli pour la deuxième année consécutive dans le village du Broc, sur 4 week-ends, du 7 au 30 juillet. Dans une même éthique et une même énergie, expositions, débats et repas de rue associeront artistes, habitants, des plus jeunes aux plus anciens et, bien sûr, le public. Les enfants scolarisés dans la commune réaliseront leur lettre « P » comme Peu, œuvre personnelle spontanée. Ces 170 travaux assemblés formeront une fresque collective qui sera dévoilée lors du vernissage, le 7 juillet prochain. Pour les 20 ans du festival, bienvenue, et pas qu’un Peu, aux 20 artistes invités: Sandrine Arakelian, Isabelle Boizard, Nathalie Broyelle, Paolo Bosi, Pascal Claeren, Luc Doutre, Caroline Fighiera-Mollanger, Sophie Geffray, Ivan Ghioni, Isabelle Hupfer, Agnès Jennepin, Stéphanie Lobry, Jacqueline Matteoda, Les Ménades, Amandine Rousguisto, Setch, Isabelle Varlet. Jean-Marie Audoli revient, pour La Strada, sur cette aventure unique.
Qu’a motivé la création de ce festival d’art contemporain à Bonson en 2003 ?
Ce fut d’abord la rencontre entre l’artiste Jean Mas et celui qui te parle, qui était alors maire de Bonson en 2002. Je l’ai connu le jour de son mariage, puisque j’officiais. On a échangé et un jour, il m’a proposé de développer une démarche culturelle sur Bonson autour du « P ». J’ai été, tu imagines, étonné… Jean jouait avec la lettre « P », avec les usages du « peu », avec le verbe pouvoir et c’était à la fois un concept ludique, par rapport à la représentation plastique qu’il faisait, et un peu philosophique, sans être prétentieux, parce que le P « p-e-u » et le P « pouvoir ».
Comment l’as-tu proposé à ton équipe municipale ?
On développait une politique culturelle relativement modeste avec l’aide du département et de la Région et j’étais convaincu, avant de connaître Jean Mas, que la culture était un maillon essentiel pour susciter l’ouverture d’esprit, favoriser l’épanouissement personnel de la population, et aussi rendre possible ce que j’appelle « l’acceptation de l’autre ».
En 2002, la commune est en pleine mutation, les enseignes disparaissent petit à petit, une population nouvelle arrive, qu’il fallait intéresser, et cette idée m’est venue de créer du lien social avec un projet culturel structurant, au moment où Jean Mas me propose cela. C’est ainsi que l’idée de créer le festival du « Peu » a germé, pour rassembler des individus qui venaient de tous horizons, pour développer ce sentiment de cohésion au sein de la commune parce que les gens vivaient dans une relative indifférence. Bien que dans un village ça ne soit pas trop le cas… L’objectif après était de susciter le désir du « bien vivre », autrement, mais ensemble. Je m’étais engagé auprès de mon conseil municipal à ce que cet évènement culturel coûte le moins possible à la commune en faisant appel à des subventions publiques et des mécènes.
L’idée fondatrice, c’était d’associer la population du village à ce festival, de manière active, pas simplement comme spectateur ?
Tout à fait, c’était l’idée forte parce qu’on avait un tissu associatif très développé sur la commune. On pouvait mettre en synergie les activités de chaque association, et c’est ce qui s’est passé, l’idée étant aussi de créer du lien social. Dès le début, les deux mots « lien social » sont apparus rapidement entre les habitants anciens, les nouveaux, et entre les générations, des plus jeunes aux plus anciennes. Après il fallait évidemment proposer des activités culturelles autres qui fassent émerger des talents, parce qu’on s’est aperçu que, avec ce « peu », il y avait des artistes au sein de la commune qui ne s’étaient jamais manifesté. Et rapidement les enseignantes ont joué le jeu. Elles ont, de manière pédagogique, incité aussi les enfants à faire leur « peu ».
Et le festival s’est avéré un formidable moteur de découverte du village…
Oui car l’idée était aussi de promouvoir l’image de Bonson. Le village n’avait pas la notoriété que la commune a aujourd’hui. Jusqu’à ce que ce festival existe, quand on parlait de Bonson, les gens répondaient spontanément: « ah oui, c’est près de Gillette. » Et après, quand tu parlais de Bonson, c’était le Festival du Peu. Le Festival a été le lien entre tous ces objectifs et a permis de créer une dynamique inhabituelle. D’autant plus qu’à l’époque, en 2002, il n’y avait pas beaucoup d’élus qui se tournaient vers la culture pour créer du lien social.
Alors que ce lien social est l’essence même de la culture, bien que récemment on l’ait déclaré non-essentielle…
C’est un projet qui a presque été expérimental en son temps. Parce que, parmi les élus de France et de Navarre, pas propre au 06, je me souviens que peu de gens se souciaient de la culture, y compris dans les grandes villes, et encore aujourd’hui hélas. Tout le monde n’a pas les mêmes priorités, et l’art n’est pas obligatoirement la priorité de nos communes. Je ne dis pas que le Peu était la priorité de Bonson mais ça a été un projet, pour moi, structurant culturellement, socialement et économiquement bon. L’alliance qu’il y avait à Bonson entre les vieilles pierres, le patrimoine naturel, les chapelles, les œuvres installées… tout ça venait s’installer au sein de la commune comme une pièce manquante.
C’était aussi une belle impulsion à la création…
Depuis 20 ans, 266 artistes auront exposé à Bonson très exactement. C’est énorme parce qu’évidemment dans les grandes villes, ce chiffre peut paraître dérisoire, mais pour une commune de l’arrière-pays, accueillir sur 20 ans autant d’artistes relève d’une reconnaissance forte du milieu artistique. Et c’est ça la belle histoire du Peu. Parce qu’elle repose plus largement sur l’art. Ce désir collectif a permis à la population et aux artistes de s’exprimer librement, d’imaginer les choses autrement. Et c’était la possibilité d’ouvrir des voies sur ce que j’appellerais « l’émancipation personnelle ». ll y a des artistes à Bonson qui, sur cette dynamique, se sont remis à créer. Dans la vie qu’on mène aujourd’hui, si ce projet a pour seule intention de rendre les gens heureux, le but est plus qu’atteint.
Les repas de rue ont été aussi des moments de grand partage…
Ah, c’était très fort, c’était du partage dans une forme de folie puisque les repas de rue font toujours la clôture du Festival de Peu. Il y a le vécu du moment présent, la nostalgie du festival terminé et aussi l’espoir que ce festival se reproduise l’année suivante. Un moment de transition où il y avait la synthèse entre passé, présent et futur. Des repas que Le Broc poursuit avec succès.
Quels moments ont été les plus marquants pour toi sur ces 20 ans ?
Cette rencontre avec des artistes a toujours généré des émotions positives parce que c’était la découverte de nouvelles sensibilités, de nouveaux imaginaires. Il n’y a jamais eu de censure, ça m’a posé quelques problèmes d’ailleurs, mais ils trouvaient là l’espace de liberté pour exposer leurs créations.
Le plus grand souvenir de ce festival, c’est en 2003, pour fédérer les gens, on leur avait fourni des « P » en bois, de format A3, comme support de création. Ceux qui n’étaient pas intéressés au départ se disaient: « Bon, si je ne fais pas mon P, je vais passer pour un couillon » (rires). Finalement, sur 700 habitants à l’époque, 402 ont réalisé des P, c’était énorme ! Et le grand moment, ce fut lorsque Jean Mas, qui exposait au MAMAC, obtint l’autorisation d’exposer ces 400 « P » de bonsonnois et bonsonnoises en même temps que son œuvre. Là, tu imagines une population, gravissant les marches du MAMAC, se retrouver dans un espace que la plupart d’entre eux découvraient pour la première fois. Je me souviens de l’émotion, pas seulement la mienne, mais celle de tous ceux qui investissaient le MAMAC, alors que jamais on n’aurait pu exposer dans un tel lieu. Exposer au MAMAC fut une grande fierté pour celles et ceux qui ont participé et cette opération a concerné presque toute la commune, ceux qui étaient pour comme ceux qui étaient contre. Après, chaque vernissage, chaque exposition apporte un souvenir, mais le plus grand pour moi reste celui-là.
Que retires-tu de cette aventure ?
Ça a été une grande satisfaction parce qu’au début certains étaient très dubitatifs et j’étais quelque peu critiqué, mais la satisfaction que collectivement nous avons eu, c’est que le tissu associatif est venu se greffer sur cette idée, tout comme les bénévoles et les enfants. De même quand ceux qui étaient contre au début nous ont rejoints plus tard. Lorsque tu y arrives, cela participe du débat. Parce que le débat au sein d’une société permet de mieux se connaître, de critiquer et de repousser les limites qui quelquefois empêchent les gens de se rencontrer et de faire en sorte qu’ils aient une autre vie. Ça a été absolument merveilleux, une fierté collective.
Le passage de relais au Broc est une belle réussite…
Oui, le conseil municipal de Bonson n’a pas jugé bon de continuer ce Festival du Peu, c’est leur choix, ils se sont orientés vers d’autres segments culturels. Ce qui est intéressant c’est que, par le hasard, on est rentré en contact avec le Broc qui a une politique culturelle et des moyens associés plus importants que ceux de Bonson. Ce sont d’abord les élus de la commune du Broc qui ont été intéressés, mais aussi les associations. La dynamique est repartie ! Cette année, les gardiens du Peu sont des Broccois. La transition est faite et j’espère que le Peu continuera. En tout cas, on constate qu’au Broc il est en train de bien se développer aussi.
7 au 30 juil, Le Broc. Rens: festivaldupeu.org
photo: Présentation du visuel des 20 ans du Festival du Peu, Espace Bermont, Le Broc (Jean Mas à gauche, Jean-Marie Audoli au micro) © DR